Mangles

Eka Abassi

Une femme ne tenait plus debout. Elle parlait du vent et de la pluie et elle tombait. Elle se dirigeait vers le puits et elle tombait. Elle comptait l’argent du marché et elle tombait. Elle mettait le pain sur la table pour le dîner de son époux et elle tombait.

Elle alla voir le guérisseur.

Je tombe. Je tombe tout le temps lui dit elle.

Le guérisseur ne connaissait pas cette maladie. Mais il connaissait les femmes et savaient que leurs rêves étaient leur meilleure médecine. Il lui prescrit de rêver pendant 3 jours.

Le premier jour la femme rêva qu’elle se perdait dans les mangles. Elle devait les traverser, mais ne voulait se mouiller ni les pieds ni les cheveux. L’eau poussa vers elle une barque, mais impossible d’y monter. La femme se transformait en palétuvier, et la barque prisionnère de racines du palétuvier disparaissait mangée par les mouks.

Elle se réveilla les mains affolées cherchant à arracher de sa peau les mouks et les petits crabes qui lui mangeaient le corps. Son époux lui dit qu’elle n’avait rien à craindre. La femme tomba.

Le deuxième jour, son rêve la mena dans la ville, elle devait acheter une robe pour un bal, mais hésitait quant à la couleur. Devait-elle la prendre couleur de nuit ou devait-elle la prendre couleur du jour? La vendeuse cependant ne voulait lui en vendre aucune. Elle lui dit que les robes n’étaient pas pour elle, et que d’ailleurs dans la barque elle ne pourrait protéger ses cheveux, même avec une robe.

Le troisième rêve fut encore plus étrange. Un joueur de flûte se présentait à la ville. Tous les habitants montaient dans sa barque. Quand vint le tour de la femme de monter elle aussi. Ses cheveux se mirent à pousser, à pousser tellement que la femme devint prisonnière de sa chevelure. Seule restait la musique du joueur de flûte sur laquelle elle ne pouvait même pas danser.

La femme raconta les 3 rêves au devin.

Ce dernier l’écouta attentivement. Après un long silence, il lui dit:

Je ne peux rien pour toi femme. C’est parce que tu ne sais pas que tu danses que tu tombes.

Comme la femme ne comprenait pas il lui expliqua:

La barque est ta fente que tu veux offrir au joueur de flute sans perdre tes cheveux et sans salir tes pieds dans l’eau boueuse des mangles. Ton refus d’assumer ton désir, ne te préservera pas de la vérité sur toi même. Que tu te transformes en palétuvier, ou que tu deviennes prisionnière de ta chevelure, tu resteras dans les mangles. Si tu veux en sortir devient pleinement femme et apprend à danser. Danses si tu ne veux pas tomber. Danses.

Et la femme dansa.

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