Mars 2019: BBP

Melvin Dia

Le mois de mars vient de s'achever. Retour sur ces trente derniers jours...

Mettre les mots sur le mois qui vient de s'écouler, qui fut ce long mois de transition entre l'hiver et le printemps. Et, si je devais répondre à cette question qu'il m'est arrivé de poser à tant de reprises en entretiens ces dernières semaines pour sonder des candidats à l'oral : "Qu'est-ce qui vous a marqué, rencontres, visites, détails, dans ces dernières semaines ?". Tout pour ma part ! Tant j'ai le sentiment d'avoir eu plusieurs vie en un mois. Sorte d'éponge du temps présent  !

Première réflexion. Suis-je un fou parmi les fous ? Pourquoi ai-je cette propension à attirer dans la rue, les lieux publics ces marginaux ? Je mange en terrasse, sous un soleil printanier, une femme fâchée avec sa toilette, les cheveux hirsutes, m'aborde en me marmonnant quelques scories incompréhensibles sur des dangers qui ne sont que dans sa tête. Besoin de parler sans nul doute, j'écoute alors et marmonne je ne sais trop quoi en retour. D'ailleurs qu'est-ce qu'un fou ? Une personne qui en public a abandonné tout filtre ? Il m'en reste quelques uns. Alors je me dis, mon côté avenant doit mettre en confiance. Pour me rassurer...

Et pour prolonger, les britanniques sont-ils eux aussi devenus complètement fous ? Ou bien le Brexit et ses rebondissements désormais quotidiens n'est-il que le juste exercice de la plus vieille démocratie ? Fracturé comme jamais, pourtant le pays tient. Faut-il leur être reconnaissant d'avoir respecté la vox populaire, jusqu'ici,  fût-elle contraire à la doxa européenne, et ce bien que les négociations piétinent, la laĉheté et la fuite de ceux qui ont initié le processus ? Pour ma part, je fais confiance au peuple britannique pour trouver les ressources afin de surmonter cet épisode de leur grande histoire.

D'ailleurs, quelles leçons pouvons-nous leur donner au regard  de notre opéra-comique à la française ? Les gilets jaunes, ce drôle de feuilleton, dont personne ne connaît la fin, qui faute de réels leaders (grisés par leur propre image), du refus de l'incarnation, et surtout de hiérarchiser leurs demandes, s'enlise désormais en happening plus ou moins violent du samedi.

Dans le 16 mars dernier, où ça dégénère sur les Champs Elysées, comment ne pas voir la répétition du 01 décembre, où la haute bourgeoise prît peur, et finit par imposer à Macron quelques concessions ? Signal malheureux, que la violence paie, avec cette fascination morbide en direct live BFM. Sachons qu'on ira donc de soubresauts en soubresauts, tel un volcan dont on ne sait jusqu'où iront les scories.

Comment peut-il en être autrement avec un président qui s'enferme et qui pense toujours que l'on peut diriger un pays à la manière d'un supermarché moderne: sans caissières, et donc sans élus, sans base ? L'autoritarisme c'est l'autre versant du macronisme, faute de réelle autorité.

Et, de part et d'autre végète une opposition fantomatique. Sans projet. Wauquiez ayant compris qu'avec son image de premier de la classe que l'on déteste, il valait mieux faire profil bas, se fait désormais remplacer par un bel ami, premier de la classe à qui l'on donnerait le bon dieu sans confession. Aux de bouts du spectre politique: un Mélenchon qui oscille entre analyse fine et excès mégalomaniaque. Et une Marine le Pen qui par delà les bons mots, s'évertue à ne dire que des sottises: mentir, mentir il en restera toujours quelque chose. Et éparpillés de-ci de-là, des formations à côté un paysage fragmenté où chacun tente de faire entendre sa voix dans ce concert mal accordé.

Sinon, j'aimerais m'arrêter un moment ce mois-ci sur la masculinité. Au masculin donc ce mois de mars, comme un pied de nez, à la journée internationale des droits de la femme. Si je n'ignore pas que dans tant de régions du monde(et même en France bien sûr), souvent liée à de la pauvreté ou de la précarité, la condition de la femme est déplorable, j'avoue être quelque peu fatigué par les sermons de nos féministes modernes.

Et surtout, cette nouvelle religion, ou croyance, le féminisme 3.0, sorte de volonté mal assumée de toute puissance, occulte les ambiguïtés de ces femmes qui veulent tout et son contraire, et qui finissent par ne plus très bien savoir ce qu'elles veulent vraiment. Ont-elles oublié les efforts quotidiens de ces nouveaux pères, si loin de nos papas d'antan ? Il est vrai que ça n'est plus nécessairement monsieur qui fait bouillir la marmite, certaines en prenant avantage pour enfoncer le clou, voire humilier.  Mais ces pères qui amènent désormais leurs enfants au parc, ou à l'école, leur consacre du temps, ou qui sont capables de les garder tout un weekend, ont parcouru un chemin remarquable. Allez-y molo mesdames !

Pour ma part, je garde une infime reconnaissance pour ma maman pour ce qu'elle a fait pour nous, pour moi. Lui dis-je suffisamment ? Femme de sa génération, comme beaucoup d'autres, qui ont su être libres, assumant vaille que vaille leurs rôles, sans coup de menton. Elle a été, elles ont été à la hauteur.

Les jeunes femmes d'aujourd'hui ? Eh bien ! Je trouve qu'elles sont paumées. Alors elles tweetent, et mènent le combat à coup de hashtags, relayées par quelques anciennes gloires en manque d'exposition.

 

"Que penses-tu vraiment ?", me demande-t-on parfois après m'avoir lu. Ce travail sur le présent, qui consiste à dire avec ma subjectivité, ce temps qui passe, pour que ce présent devenu passé, soit dans un futur proche ou lointain un témoignage vivant de notre époque, je le veux le plus éloigné des excès du moment.

Alors ai-je des convictions ? Bien entendu ! L'une d'elle que la société française a atteint un niveau de fragmentation telle qu'il convient de remettre du liant entre nous. Telles des plaques  tectoniques se chevauchant et ne se rencontrant que par secousses successives. Je cherche, sans prétendre le trouver, ce dénominateur commun qui nous relie. Et en résistant à la tentation de l'immédiateté. Résister aussi au buzz permanent et ce qui va avec: l'insulte, l'excès. J'assume alors d'être un écrivain de la dualité, loin des postures martiales qui assurent la lumière. Rester dans l'ombre autant que nécessaire s'il faut...

Mais dans ce pays devenu si triste, comme me le soulignait un jeune couple d'espagnols croisé à la gare St Jean, j'ai la volonté aussi de faire souffler quelques brises de légèreté.

Conscient aussi que nous entrons, ma génération, dans décennie fatale. Celle de la bascule, où les couples s'effritent, la quarantaine s'éloignant, la cinquantaine approchant. Et où le célibat, choisi ou subi, devient jour après jour la norme.

Je me garderai bien d'avancer quelques solutions, moi qui ait été incapable jusqu'alors de construire, victime de mes propres ambiguïtés, et de mes propres illusions. Moi qui ait toujours refusé toutes les étiquettes, ayant choisi de faire par intervalles un bout de chemin.

Être un père, un mari, un amant, un compagnon... Chacun va apprendre à vivre ses propres ambivalence.

On m'a posé aussi cette question récemment : "Le fait d'aimer un autre homme, comment l'as-tu vécu ?". Est-ce un élément singulier de mon histoire ? Oui. Cela a été au cas par cas une difficulté, mais intérieurement j'ai coïncidé avec moi-même. Chaque rencontre aura été singulière, et l'est encore. La personne avant le genre. Et au-delà de toute étiquette, toujours. Je joue sur les mots et c'est mon métier. Ce qui me définit c'est la somme de mes expériences, celles dont j'ai parlées, celles que j'ai tû et dont je parlerai plus tard, bonnes et mauvaises.  Il faudra en parler frontalement, sans esquive, en trouvant la manière. Cela n'est pas encore le cas. J'y reviendrai.

Sinon, tout va bien. C'est la conclusion logique de ce mois. Encore faut-il se le dire. On ne peut jamais se peindre fidèlement soit que l'on dresse un portrait au vitriol cédant à tentation de l'auto-flagellation ou bien trop flatteur. On ne peut, ligne après ligne que tenter de dresser une esquisse de soi-même. Le reste appartient aux autres, ceux qui vous lisent, et ceux qui vous connaisse. En définitive, je n'essaie même plus de convaincre, ou même de me convaincre. C'est bien là le privilège de la maturité, ou de l'âge, on apprend à vivre avec soi-même, et le rapport aux autres devient bien plus simple.

En anticipant, on dira: un ego démesuré ! Sans doute. Une hyper-sensibilité ! Aussi. Mais pourquoi écrirais-je autrement, si ce n'est pour rendre cette hyper-attention au monde, aux autres ? Je note cependant, et c'est sans doute aussi le privilège de l'âge, un certain détachement. Et surtout la prise de conscience sincère des avantages, petits, mais tout de même, qui sont les miens. Loin des grands malheurs, il importe d'être pleinement conscient de la chance d'être là. J'observe tant personnes mécontentes de leur sort, pour beaucoup d'entre elles sans raison.

Car à force de se mettre en scène en images, à ne présenter qu'une image tronquée de soi-même, à se comparer par réseaux sociaux interposés, on finit par ne plus se correspondre, et à céder finalement à l'angoisse. Peur de perdre ce que l'on a, et surtout ce que l'on n'aura jamais. 

Prendre ces moments pour ce qu'ils sont, parce qu'on est là, présent au monde. Pêle-mêle en mars : la voix de mes petits neveux à l'autre bout du fil, hésitant, ne sachant que me dire, puis: "Quand est-ce que tu reviens tonton ?". Je fonds. Un seul être vous manque, et... Ils me manquent, comme mes nièces. Il m'en manque tant ! Aussi en mars, un marathon à Barcelone, laborieux, dont il m'a fallu plus de deux semaines pour m'en remettre. Les retrouvailles avec Massimiliano, toujours à Barcelone, indéfectible ami avec qui je peux tout dire. Je pourrai ajouter la soirée de gala de l'école sous le signe du kitsch, mais une très belle soirée sous le signe de l'émotion aussi où les étudiants nous témoignent leur reconnaissance pour le travail accompli.

Dernier weekend, et escapade express à Paris pour l'anniversaire de Vincent. Leur bande, les zamis comme on les appelle depuis le début, est au complet. Avec Hicham avec qui je m'y rends samedi soir nous sommes des pièces rapportées. Je suis toujours surpris et admiratif par la solidité avec laquelle ils affrontent en bloc le temps qui passe. Façade ? Je ne pense pas, malgré les années, les embrouilles, ils restent liés par des liens forts. Ils sont bien là, les mecs, leurs femmes et ou leurs compagnes. Et ils dansent. "Cette soirée, ils ont dû la faire il y a deux semaines.", me glisse Hicham. Les mêmes, et on recommence avec plaisir. Une certaine fraîcheur émane de ces quadras. Notre bande ? Sylvestre, Hicham, Adnane, Sylvain, Yasser, Mathieu... Je peux le dire, on a été nul ! Regardant en arrière, au mieux des potes, difficilement des amis, qui ont joué perso, moi compris.

Ce soir, je suis content d'être parmi eux. Sans être un de leurs intimes, ils ont toujours été bienveillants à mon endroit. Surtout les observant, je me rassure de cette France diverse, où l'on peut encore croiser des juifs, des athés, des musulmans, des arabes, des noirs, des blancs... Que sais-je encore ! Mais faire la fête ensemble. Une diversité non pas théorique mais faite de liens, de ruptures, de retrouvailles, de plus de trente ans à se côtoyer. Près de vingt ans bientôt que je les connais pour ma part.

Dimanche en milieu d'après-midi retour sur Bordeaux. Le weekend s'achève et avec ce long mois de mars. Trente jours engloutis qui m'ont mené aux différents points de ce triangle qui est désormais ma vie : Bordeaux - Barcelone - Paris. BBP. Les trois lettres que j'évoquais dans mon titre. Je rentre dans l'un de ces trains qui tant fois m'a ramené à l'un de ces points, et par delà des vitres duquel je ne me lasserai jamais d'observer les calmes campagnes de France.

Nouveau triangle amoureux: Bordeaux, Barcelone et Paris. Ironique car il m'est arrivé à plusieurs reprises dans ma vie d'avoir des relations, amoureuses ou amicales, triangulaires. J'ai appris aussi, à mes dépends souvent, qu'à trois il y a toujours un qui s'en va. Impair et passe...

Le train avance, je pense à ce dernier trio amical, et je me remémore alors les mots de Corneille à l'évocation de la mort de Richelieu : "Il a m'a fait trop de bien pour en dire du mal. Il m'a fait trop de mal pour en dire du bien.".

Le mois s'achève. L'été approche. Je me laisse baigner par la lumière.


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