massacre à la tronconneuse

Simon Dreville

Massacre à la tronçonneuse

« -Vous verrez bien, quand ils viendront ! » nous dit le jeune homme de la tribu voisine.

Il parlait des chercheurs de métal jaune bien sûr.

Des histoires se racontaient depuis quelques temps déjà mais je ne voyais pas comment des gens, si mauvais soient ils, pourraient venir inquiéter une tribu vieille de plusieurs millénaires.

De plus, ce territoire est le notre et la terre est notre mère nourricière à tous. Comment un être humain pouvait il se mettre en tête de la détruire ?

Ce serait comme se jeter dans les rapides se trouvant quelques kilomètres en amont de mon village, un suicide !

C’est donc avec ces pensées positives que j’attrapai mon arc pour partir à la chasse.

Je m’appelle Txana et je suis un Yanomami.

Je vis avec ma tribu en pleine foret amazonienne et ma langue est l’arawak.

Nous vivons de la culture du manioc, de la chasse (à l’arc ou à la sarbacane), de cueillette, de la pêche et nous faisons aussi de la poterie, de la vannerie, de la peinture corporelle, vous appelez ça Body Painting…

Ah oui, j’ai une passion, la navigation fluviale.

Je suis le meilleur de ma tribu et j’en suis fière.

Je suis polygame et anarchiste mais je ne suis ni réducteur de tête, ni cannibale…. Il faut arrêter d’être réducteur !

Notre tribu habite dans des grandes maisons collectives, vit en totale harmonie avec la nature et ce n’est pas pour cela que je flèche facilement les étrangers… Aujourd'hui, vingt mille Indiens Yanomamis vivent à la limite du Brésil et du Venezuela.

A l'inverse des Blancs, nous sommes parfaitement adaptés à ce milieu, que vous surnommez l'enfer vert.

Pour nous, c'est le paradis.

Nous habitons des petits villages où les familles vivent en communauté dans une grande habitation ronde, ouverte en son centre.

Les hommes chassent des singes, des pécaris, des tatous et des serpents, munis d'un arc avec parfois des flèches empoisonnées au curare.

Les femmes, quant à elles, s'occupent des jardins disséminés autour du village.
Chez les Yanomamis, la propriété n'existe pas.

Le travail n'occupe que deux ou trois heures par jours, le reste du temps est surtout consacré à la discussion, à la sieste et aux fêtes.

Nous sommes des bons vivants.

Nous étions partis au lever du soleil et la forêt se réveillait doucement.

Le chef avait décidé de partir vers le nord et au bout de deux jours de marche, nous tombâmes sur une tribu Guayaki, des chasseurs-cueilleurs nomades et pacifistes.

Nous partageâmes notre repas et c’est là que j’entendis parler des hommes blancs qui détruisaient les arbres.

J’avais entendu des rumeurs, mais cette fois ci, les Guayakis les avaient aperçus. Ils conduisaient des monstres d’acier qui arrachaient tout sur leurs passages et parlaient une langue incompréhensible.

Leur campement se trouvait à vingt jours de marche mais ils avançaient rapidement dans la direction de notre village.

Ils s’arrêteraient sûrement avant, cependant notre chef semblait préoccupé. Le lendemain, nous sommes rentrés au village.

Ma religion est le chamanisme et mon prêtre le chaman.

Il est à la fois médecin, psychologue et sert aussi de conseiller mystique pour les habitants des villages, il est considéré comme le messager des dieux.
Il fallait donc le consulter.

La cérémonie de l’ayahuasca !

Après une semaine de diète sévère (régime sans sel, ni viande, ni sexe…) et dans une véritable démarche de recherche spirituelle la cérémonie de l’ayahuasca est essentielle à l’harmonie de la tribu.

A la base, le produit bu est le mélange de deux plantes : la liane de l’ayahuasca - irremplaçable et en général les feuilles de l’arbuste chacruna.

La seconde plante permet de révéler les effets de la première…

Le produit, ingéré sous forme d’un thé marron clair au goût légèrement terreux, âcre et amer, est un mystère en soi.

Censé révéler la personne à elle-même, faire entrer le consommateur en contact avec les dieux et les esprits peuplant toutes choses, selon les croyances amazoniennes, il a longtemps été utilisé pour permettre aux chamans de comprendre l’esprit des plantes et d’apprendre à les utiliser au mieux.

Les destructions faites par l’homme blanc faisaient pleurer la forêt et il fallait que cela s’arrête.

La vraie question était de savoir si nous les arrêterions par la force ou par le dialogue.

Nous essayerons la deuxième solution en priorité et si vraiment ils ne comprenaient pas, nous nous servirions de nos arcs et de nos poignards.

Nous ne sommes pas un peuple de guerriers mais ne faut-il pas soigner le mal par le mal ?

Moi, Txana l’amazonien, je ne laisserai personne dégrader mon espace vital, les poumons de notre planète.

Plutôt mourir.

Les hommes les plus vaillants se mirent en marche.

Nous étions une quarantaine de jeunes chasseurs prêts à en découdre, en pleine possession de nos moyens.

L’homme blanc et ses machines de mort ne viendraient pas troubler notre vie.

Quitter le village pendant aussi longtemps nous était difficile car nous sommes un peuple sédentaire depuis quelques décennies et que, vivant dans une harmonie parfaite, nous étions tous heureux et n’en demandions pas plus.

Quels genres de personnes pouvaient venir dans cet endroit bénis des dieux pour y semer le trouble et la désolation ?

Croyaient-ils en quelque chose ?

Pourrions-nous les arrêter ?

Quelles sont leurs intentions ?

Autant de questions qui animaient et alimentaient nos discussions lors des veillées au coin du feu.

Les avis étaient partagés.

Les plus jeunes ne voulaient pas discuter et taper dans le tas, alors que les anciens étaient pour la discussion.

Mon opinion était partagée mais s’il fallait se battre, j’en serais.

Au bout de trois semaines de marche, nous sommes enfin arrivés au lieu indiqué par la tribu Guayaki et quelle ne fut pas notre surprise de voir les dégâts occasionnés par cette peuplade de barbares.

La forêt était dévastée et de nombreux arbres arrachés.

De plus, la terre était brûlée sur de nombreux hectares et ce spectacle de désolation nous mit hors de nous.

Comment discuter avec des êtres humains capables de telles horreurs ?

Nous étions donc sur le sentier de la guerre et nous empêcherions l’envahisseur de progresser.

Nous avons retrouvé les monstres d’acier quelques kilomètres plus loin et le plan était simple, il fallait les cerner et les cribler de flèches.

Nous sommes pourtant un peuple pacifique mais trop c’est trop.

Notre attaque fut éclair, mais même avec la surprise, nous nous sommes fait massacrer.

Nos flèches rebondissaient sur les monstres d’acier et des explosions retentissaient de toutes parts.

Un à un, mes frères tombaient le corps troués de toutes parts et lorsqu’ils attrapèrent les quelques survivants, dont je faisais partie, ils nous enfermèrent dans une cabane en acier.

L’homme blanc sentait mauvais et était habillé de drôles de toiles qui recouvraient presque la totalité de son corps.

Il parlait dans une langue inconnue et buvait une boisson qui le rendait fou.

Ils appelaient ça Whisky.

Attachés comme de vulgaires singes, ils défilaient devant nous, les uns après les autres, en nous observant comme si nous étions des animaux.

Quand ils avaient trop bu de leur boisson du diable, ils nous battaient et nous jetaient des pierres.

Au bout de quinze jours, une maladie inconnue nous terrassa tous.

Ils appelaient ça la grippe.

Au moment de partir rejoindre mes ancêtres, je me demandais encore ce qu’il adviendrait de mon village et des gens que j’avais aimés.

Mes yeux se fermèrent pour ne plus jamais se rouvrir.

Moi, Txana l’amazonien, je suis resté libre dans ma tête jusqu’à la dernière seconde.


« Selon les écologistes et spécialistes, il n'y a plus de miracle pour sauver ces forêts.

Il existe des solutions aux problèmes du déboisement en Amazonie et ailleurs mais il faudrait qu'une véritable volonté politique soit là pour qu'elles s'enclenchent.
Ainsi les poumons de la terre pourraient vraiment disparaître à jamais.
De plus, la moindre perturbation de cet équilibre écologique peut cependant être fatale à ce système, pour la survie des espèces.

Donc même si la forêt n'est pas détruite au complet, la faune et la flore qui y vivent pourraient disparaître et on compte ainsi que plus de quarante espèces qui disparaissent chaque jour, rien qu’en Amazonie.

Selon les écologistes, le déboisement est loin de cesser.

Il faudrait des décennies pour qu'une forêt comme l'Amazonie puisse repousser. Malheureusement, la forêt originale avec toutes ses essences ne repoussera jamais car l'écologie est bouleversée et ce à jamais.

Et le pire, on prévoit que pour encore au moins une génération la forêt va subir un taux encore plus accéléré de déforestation.

Des politiques et une meilleure gestion avisée, mais avant tout une plus grande prise de conscience, devraient permettre non seulement de préserver les dernières forêts tropicales amazoniennes mais aussi d'en faire des sources de revenus intéressantes et durables pour les populations qui y vivent.

En ce qui concerne les grandes entreprises qui élèvent des bovins (Mac Donald et autres fast Food) des limites ont été fixées.

Malheureusement, il nous reste beaucoup à faire pour être assuré que l’Amazonie ne disparaîtra pas, mais nous continuons de nous acharner sur l'une de nos ressources les plus vitales. »

Chaque jour, à chaque moment, notre écosystème dépérit, plus de 29 hectares de forêt tropicale, brûlés et ce en grande partie à cause de l'exploitation agricole abusive...
Les végétaux et animaux qui la peuplent menacent de disparaître à jamais.

Qu’ont gagné les Indiens à nous connaître ?

Ils ont perdu leur autonomie, leurs traditions et contracté des maladies.

Dans leur univers mental, rien n’explique en effet, cette rencontre.

Ni leur cosmogonie, ni leur mythologie, ni leurs valeurs.

C’est une forme de génocide ! 

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