Massacre au Rantamplan

masavi

Légitime grosse fatigue déclara le brigadier Futal pas futé, mais sincère, à l’enquêteur en bleu qui cocha la case légitime défense. Avec l’état d’urgence c’était légitime de tirer sans réfléchir.



 

Oeuvre publiée sous licence Licence Art Libre (LAL 1.3)

Image de couverture : https://pixabay.com/fr/malinois-avec-ballon-662719/

 

 

    Les rafales s'enchaînaient et les corps autour de Francis sursautaient. Le sien se crispait à chaque claquement du kalachnikov, à chaque impact sur un voisin, à chaque cri étouffé. Une torche balayait la piste tapissée de chair frémissante et de cadavres immobiles. Parfois, un silence suivi d'un claquement sec annonçait la rafale suivante. La porte à deux pas, était ouverte et sans gardes, parfois une silhouette s'y engouffrait lors d'un silence entre les deux « clacs » d'un chargeur pour y disparaître ou s'y effondrer sous une balle si l'accalmie s'interrompait trop tôt.

Francis ne pensait plus qu'à cette porte, qu'au courage qu'il aurait ou pas, de s'y précipiter parce que le crépitement mortel frappait partout et l'avait épargné jusqu'alors.

La chance ferait-elle plus encore ?

Mais une balle vint à siffler à quelques centimètres et se ficher sur un crâne voisin dans un bruit mat suivi d'une gerbe de cervelle. C'en était trop, il était dans les starting-blocks, prêt pour un départ fût-il fatal. Il se leva dans un silence soudain plus long que de coutume. Quand les chargeurs des deux kalachnikovs claquèrent, il avait franchi le seuil et quand la première rafale jaillit dans le faisceau du projecteur, ce fut pour son ombre.

Il courut dans un couloir étroit comme un sprinteur, puis comme un coureur de demi-fond, mais comme il n'était ni l'un ni l'autre, il marcha très vite les poumons en feu.

Les murs étaient sales, délavés et noircis par le tabac de quelques générations de fêtards.

Le Rantamplan. Hein ? Ça en jetait dans une petite ville de province. Une salle municipale cradingue pour les concerts amateurs arrosés de « grattes » mal accordées, pour le loto souvent et quelques réunions publiques municipales.

Fallait que ça lui tombe dessus à lui, Francis, ce cauchemar éveillé. Car en définitive, il le savait, des flics et les militaires d'élites, ils étaient à Paris, fallait bien qu'ils aillent « kalachniquer » plus loin, les décérébrés d'Allah pendant que les charlots de la république laïque réformaient la Constitution en prolongeant l'état d'urgence.

Morts de peur qu'ils seraient les djihadistes après ça, qu'ils disaient, les députés. Les cons !

Ce qui fit que des GM au taquet et pas futés, étaient arrivés plus d'une heure après le début de l'attaque du Rantamplan.

Francis marchait toujours dans ce couloir au son des cris et des crépitements d'armes automatiques. Les premiers hurlements, les premiers ordres gueulés et puis des bruits de pas pressés dans son dos lui firent allonger les siens et dévaler des escaliers en se retenant par deux fois in extremis à la rampe.

Les foulées derrière lui se rapprochaient, il n'osait pas se retourner. Soudain, il vit un homme accroupi devant une porte. Plutôt basané le mec, pensa-t-il machinalement inquiet. Il s'avança vers lui, il reconnut la silhouette d'un kalachnikov posé au sol. Il stoppa net devant la porte des toilettes que l'homme semblait surveiller. Quand ce dernier se releva bizarrement dépité, pour lui faire signe d'entrer, Francis ne bougea pas alors que des pas de course proches résonnaient derrière lui.

— S'il te dit d'entrer, entre, connard ! fit une voix féminine dans son dos.

Il sentit un violent coup entre les omoplates qui lui coupa la respiration et le projeta dans les toilettes en renversant l'homme au kalachnikov. La porte claqua derrière eux, la lumière s'éteignit dans la pièce et dans le couloir.

— Ali ! Ali ! où es-tu ? Ouvre, sale chien !

Entendit-on soudain tout proche puis encore des coups de feu, une rafale balaya la porte, une balle rebondit à deux pas de Francis et une autre finit dans la jambe du gardien des toilettes au kalachnikov silencieux. Puis plus rien, quelques invectives et les salves reprirent plus loin, soutenus et denses.

Ils restèrent tous trois allongés immobiles et muets dans l'obscurité. Quelques interjections aux consonances arabes sortirent de la bouche du blessé et ça sonnait la douleur. Une puissante lampe LED éclaira une jambe ensanglantée. Francis s'approcha en rampant.

— Prends la torche, je vais jeter un coup d'œil à cette jambe, elle pisse grave, fit la voix féminine d'un ton martial.

Quand Francis prit la torche, il ne vit qu'un genou nu et fléchi, couvert d'un collant et des cheveux longs et noirs qui dansaient dessus. C'est ce que vit sans doute le malheureux blessé qui lança un cri étouffé en se hissant sur un coude pour repousser la femme de l'autre main.

— Oh ! Putain ! c'est un bof salafiste ! Chuchota-t-elle.

— C'est peut-être un terroriste, fit Francis.

— C'est surtout un gros con misogyne qui va crever si on ne comprime pas cette plaie. Moi, c'est Mila, fit-elle enfin en tendant une main fine à Francis dans le faisceau de la lampe.

— Excusez-moi pour le coup dans le dos, mais ça pressait j'avais un terroriste à mes basques.

— Ce n'est rien, moi j'en avais un devant. Il est blessé. C'est grave ?

— Une hémorragie, la fémorale sans doute, faudrait comprimer, puis poser un garrot.

— Vous êtes médecin ?

— Chirurgienne, oui.

La lumière blanche des LED éclaira soudain un beau visage et des yeux verts craquants. Il était sous le charme, le Francis. Il avait presque oublié la centaine de cadavres qui devaient joncher le parquet de la salle de concert.

— Moi c'est Francis, instit, mais je veux bien faire votre infirmier.

— Lui, ce doit être le Ali qu'appelait le mec qui a tiré derrière la porte.

Ali, le visage pâle avait le front moite et des yeux qui s'enfonçaient dans ses orbites. Quelques mots en arabe échappèrent de ses lèvres, puis en français :

— La femme ne me touche pas !

— Alors, crève connard ! s'écria Francis.

Une violente explosion fit trembler la pièce quelques plaques de polystyrène se décrochèrent du faux plafond.

— Il y en a un qui a dû se faire péter là-haut, fit Mila.

— Il doit y avoir de la cervelle sur les murs, compléta Francis en balançant la lumière sur le visage d'Ali. Ces yeux tournèrent soudain et son visage qui se perlait de sueur prit une teinte grisâtre. Il perdit connaissance.

Mila se jeta sur lui, très professionnelle, elle prit un pouls carotidien.

— Il bat lentement, ce n'est qu'un malaise vagal, le stress sans doute plus que l'hémorragie.

— On va pleurer ! fit Francis.

— Non, mais on va en profiter pour lui faire un garrot, sinon il va pas se réveiller ! J'aurai besoin de votre chemise, la mienne ça le ferait, mais… fit-elle avec un sourire ironique et déconcertant de calme.

C'est là que Francis remarqua la naissance de deux seins probablement merveilleux. Même dans les pires situations, il y a toujours des merveilles. Mila en était une.

Les tirs reprirent en bordées toujours désordonnées et nourries. Ils résonnaient dans le couloir, mais semblaient encore loin.

Il enleva prestement sa chemise en découvrant avec une certaine fierté sa musculature cultivée. Mais Mila s'affaira à déchirer savamment le tissu sans se soucier de ce qui était dessous. Elle indiqua un point de compression que Francis appliqua un peu au-dessus d'un genou en bouillie.

Ali reprit ses esprits quand Mila faisait le dernier tour du garrot avec un morceau de métal qui servait d'axe au rouleau de papier cul des toilettes. Francis l'avait trouvé à tâtons non sans s'être cassé la gueule dans l'obscurité par deux fois. C'est ainsi qu'il remarqua un soupirail près du plafond d'un des WC.

Le Maghrébin vit avec effroi les mains de la femme sur sa cuisse, il fit une tentative de recul, mais en vain. Mila se retira prestement.

— Toi, tu me touches pas ! fit le fou de dieu après avoir aboyé probablement un morceau du Coran.

— Te bile pas tu pourras bientôt te faire péter aussi grâce à Mila ! Fit Francis en levant les yeux au ciel.

— Tu dis ça à cause du Kalach, fit la médecin en riant, t'as entendu le bruit qu'il a fait quand il est tombé ? C'est du plastic, un jouet !

Francis resta médusé, alors qu'Ali s'emparait de son arme factice.

— Pan ! T'es mort ! C'est ça que tu vas dire, s'écria la femme.

Francis pas convaincu leva les bras en l'air. Mila arracha enfin l'arme des mains affaiblies d'Ali.

— T'es gonflée chuchota l'éphèbe au torse nu en baissant les bras.

— Pas de mérite, j'ai fait mon temps dans Tsahal, je connais les armes.

— Tu es juive ?

— De confession oui, pas de cœur, je suis athée.

Ali écarquilla ses yeux, terrorisé à ces mots.

— Juive, Aathée ? Ses yeux se révulsèrent à nouveau et il retomba dans les pommes.

Mila lui reprit le pouls doctement.

— Malaise vagal, c'est un choc spirituel… Je préfère ça, il s'en sortira.

— Ha, euh, je suis catholique non pratiquant, fit Francis en s'excusant presque.

— Vous faites bien de préciser, ça m'évitera des impairs !

— C'est bizarre, non ? Ce loser avec un jouet devant les chiottes ?

— Ba, c'est la province ! fit Mila d'un air désabusé.

 

Les détonations semblaient se rapprocher…

Ali s'éveilla. Mila se tint à distance et Francis s'empara du kalach postiche et le pointa sur le malheureux. Peut-être que l'objet lui donnait le courage de paraître plus méchant qu'il ne l'était dans la vraie vie. La normale quoi, celle où tout le monde il est beau et tout gentil, comme lui.

— Tu vas parler, qui es-tu ?

L'homme semblait abattu, on le fut à moins !

— Ali ben blader, je suis le frère de l'un des martyrs qui sont dans la salle.

— Martyrs ? Assassins oui ! fit Francis.

— Assassin, si tu veux, fit l'homme anéanti, une larme à l'œil ; puis il chuchota une longue histoire sous les échos d'explosions et de cris martiaux parfois en français qui se rapprochaient.

 

Il était éducateur dans un centre pour enfants polyhandicapés. Son frère avait débarqué chez lui voici trois semaines. Il revenait de Syrie pour préparer un attentat dans ce dancing. Il n'a pu le chasser c'était son petit frère, son parcours avait divergé à l'adolescence.

Benjamin d'une famille de salafiste pacifique, son échec scolaire l'avait poussé vers la sortie naturelle en ces circonstances : le marcher du travail sans qualification, Maghrébin et musulman dans une France qui avait portée JM Le Pen au second tour des présidentielles en 2002. D'humiliation en humiliation, il avait lentement glissé vers la délinquance puis ce fut la prison et la rencontre avec des djihadistes radicaux. À son retour à la maison, Ali n'avait rien remarqué, son petit frère était simplement plus rigoriste, plus religieux et c'était dur de l'être plus dans une famille de salafistes quiétistes. Un jour, il est parti en laissant un mot annonçant son djihad vers la Syrie.

— Mes parents en sont morts de chagrin, mais m'ont fait jurer avant de rejoindre Allah, de le protéger.

Quand il est revenu, j'ai accepté de le suivre pour veiller sur lui. J'ai perdu mon travail et j'ai deux femmes et trois enfants à nourrir. Ils avaient besoin d'un chauffeur, ils avaient de l'argent, beaucoup d'argent.

C'est moi qui les ai conduits jusqu'à ce soupirail dans les toilettes par où ils sont entrés. J'avais pour consigne d'attendre son retour. Ma religion interdit de tuer, alors ils m'ont collé cette arme en plastic.

Mais elle est arrivée, et a fermé la porte et la lumière, fit-il en fixant Mila d'un air dédaigneux.

— Sauf qu'elle t'a sauvé la vie, connard, fit Francis passablement énervé.

Mila retint sa main qui allait frapper.

— C'est un parcours singulier que celle de votre frère déjà de confession salafiste, fit Mila.

— Ouais, ou celui de l'arroseur arrosé. J'ai peut-être un bon copain mort là-haut, fit enfin Francis en étouffant un sanglot.

— Qu'Allah le protège, fit bêtement le wahhabite.

— Mais je vais lui en mettre un dans sa gueule ! s'écria Francis.

Mila le retint encore.

Une rafale résonna dans le couloir, suivie du hurlement d'un chien. Puis les cris d'un homme derrière la porte.

 

— Quel con ! J'ai flingué mon Croupion !

 

La lumière du couloir brilla et la porte des toilettes s'ouvrit, un garde mobile masqué apparut enfin au grand soulagement de Mila et de Francis. Une armoire d'au moins 1,90 m pour 90 kg de muscle et 1 gramme de cervelle sous son casque. Il jeta son bouclier criblé d'impacts de balles et resta les bras ballants son FAMAS à la main.

— Ça fait un quart d'heure que le premier terroriste s'est fait sauter là-haut et les cons de l'équipe 2 ont perdu le contact et tirent sur tout ce qui bouge et les abrutis de la 3 ripostent, résultat, tous mes gars au plancher, je ne dois la vie qu'à mon bouclier et j'ai flingué mon croupion en visant le second terroriste qui fuyait, vociféra-t-il désespéré au micro miniature qui pendait sous sa lèvre.

Un chien noir gisait à ses pieds. Un beau malinois, le fleuron de la caserne et sa mascotte.

C'est craquant un malinois galonné mort pour la France d'une balle en plein cœur. Surtout quand cette baballe là, c'est son maître qui l'a tirée !

— Il me manque le troisième terroriste…

Le mobeu s'interrompit quand il réalisa enfin qu'il n'était pas seul et distingua le kalachnikov dans les mains de Francis. Il souleva alors son FAMAS pour une bordée de « tirs de saturation » réglementaire.

 

Légitime grosse fatigue déclara le brigadier Futal pas futé, mais sincère, à l'enquêteur en bleu qui cocha la case légitime défense.

Avec l'état d'urgence, c'était légitime de tirer sans réfléchir.

Il y a des métiers où réfléchir n'est pas légitime…

Pour Mila, Francis et croupion se fut la case dommages collatéraux, secret défense.

Pour Ali se fut « we are the champions ! »

 

Le lendemain, la place de la mairie solidement gardée par des gardes mobiles en armes pour rassurer le citoyen, se remplit de bougies en hommage aux victimes du Rantamplan.

Il y avait celles, parmi plein d'autres, de Mila, Francis et Croupion que les bottes des robocops maladroits piétinaient copieusement sans faire exprès.

Ce n'était pas grave, les Français unis étaient tous Croupion ce jour-là en solidarité avec la province meurtrie et son toutou héros.

Paris avait eu son Bataclan, la province avait son Rantamplan.

Pendant la messe républicaine en présence du chef de l'État et de ses ministres, certains d'entre eux applaudirent et embrassèrent même Futal, le maître chien.

Croupion eut la médaille en chocolat posthume et le pays 6 mois de plus d'état d'urgence en attendant le prochain drame, les prochaines représailles, les prochains raids, les prochains dommages collatéraux sur des milliers de civils qui feraient les réfugiés de demain et rempliraient les prisons d'après-demain pour un futur policier et sécurisé.

 

 

Cette farce n'est bien sûr que pure fiction, mais s'inspire de faits réels concernant la mort du malinois Diesel lors de l'assaut « héroïque » du Raid à Saint-Denis. Onze balles furent tirées par les terroristes contre 1500 par les forces de l'ordre qui se sont copieusement arrosées. La jeune femme paumée Hasna Aït Boulahcen qui accompagnait les terroristes a demandé à sortir, mais elle est morte étouffée sous les décombres après l'assaut.

 

http://www.lemonde.fr/attaques-a-paris/article/2016/02/01/attentat-du-13-novembre-precisions-sur-l-assaut-du-raid-a-saint-denis_4857176_4809495.html

 

 

 

 

 

 

 

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