Mes Chums et Moi

Elise T

Manon, 24 ans, part à Montréal retrouver le mystérieux Québécois avec qui elle a passé une nuit torride. Ce qu'elle va découvrir : la poutine, les caribous pas farouches et des chums en tabernacle !

Personnages principaux

 

Manon, 24 ans

Manon a deux passions dans la vie : le Nutella et les pensées salaces. « Trop à la ramasse pour se fondre dans la masse, » elle se retrouve toujours dans des situations improbables. Son humour potache et sa répartie inégalable donnent beaucoup de saveur à ses anecdotes. Élevée par une mère qui l'a eue très jeune, et un père gay, Manon n'a pas reçu une éducation traditionnelle et ne correspond pas vraiment aux clichés habituels sur la gente féminine. Gourmande, piquante, elle aime les « trucs de fille » sans se prendre pour une princesse qui doit attendre son prince charmant en soupirant. Non, Manon serait plutôt du genre à se moquer des fanfreluches de ce sale bourgeois de prince charmant, tout en essayant de faire du gringue au beau forgeron du coin à coups d'œillades coquines et de frotti-frotta awkward sur son enclume.

Derrière cette force de caractère se cache aussi un cœur brisé : Manon n'avait que 22 ans lorsque sa mère, qui a toujours été sa meilleure amie du fait de leur proximité d'âge, est décédée des suites d'une maladie.

Sa rencontre inopinée avec Marc-André surnommé « le caribou », un bien mystérieux jeune homme venu de Montréal, lui fait l'effet d'un électrochoc — les bonnes parties de jambe en l'air et les conversations alcoolisées autour d'un kebab sauce samouraï à trois heures du mat' peuvent avoir cet effet-là sur une jeune femme qui a connu deux ans d'abstinence, et bien plus d'années encore de déceptions sentimentales. Manon se lance alors dans un projet fou : migrer outre-atlantique au Canada… et peut-être y retrouver le charmant cervidé qui a fait chavirer son cœur.


Marc-André, 26 ans
Beau brun à l'œil bleu, Marc-André est chercheur en neurosciences, et musicien à ses heures perdues… ce qui résume assez bien sa personnalité paradoxale et inattendue. Vivant dans une galaxie bien à lui, Marc-André est un jeune homme bullaire, plein de surprises, capable de lire 50 Shades of Grey, Twilight, et les notices de médicament en entier… juste pour avoir une idée de la manière dont les gens « fonctionnent en ce moment ». Accessoirement, ses lectures romantiques lui donnent un sens inné de la mise en scène amoureuse : il sait comment marquer les esprits de la gente féminine... C'est par ailleurs un Québécois qui n'aime pas le hockey, qui a gardé une sorte de douce naïveté façon petit chiot perdu. Aussi décalé que Manon, il a donc tout pour lui plaire. Mais Marc-André a aussi sa part d'ombre. Jamais disponible, toujours étourdi, et souvent indécis, il a une vie sentimentale bizarre, bien plus compliquée qu'il n'y paraît...


Montréal, Québec
Bien plus qu'un simple décor, Montréal est un personnage à part entière. Cette ville est en effet un doux paradoxe : semblable à un immense village, elle est à la fois foisonnante et paisible. Elle regorge de trucs improbables à découvrir — entre les festivals de musique dans des igloos, ses spécialités culinaires incongrues, ses fêtes délirantes, sa faune insolite peuplée de lumbersexuels merveilleusement musclés et de hipsters sans gluten... on s'ennuie rarement dans cette ville. Parce que Montréal est bordélique, vivante, et terriblement attachante… Manon s'y sent très vite chez elle.

 

Extrait du roman

 

Chapitre 1 : Comment j'ai esquivé les marketteux libidineux pour goûter au caribou sauce samouraï

 

J'ai toujours été une nana assez hors contexte. Comment dire ? Ma mère disait toujours : « Manon, tu es trop à la ramasse pour te fondre dans la masse. » J'ai beau approcher le quart de siècle — ô rage ô désespoir ô bref — j'apprends pas de mes erreurs. J'apprends toujours pas qu'il faut que j'évite ce genre de soirée de merde, où je me retrouve entassée dans un appartement riquiqui de Saint-Germain-des-Prés. J'ai l'impression d'être une sardine pas fraîche parmi des jeunes bourgeoises décorées façon sapin de Noël, et des mâles en rut qui utilisent l'excuse de l'alcool pour se comporter en poulpes libidineux. Pourtant, quand j'ai reçu l'invit' Facebook de la soirée, je me suis dit tout de suite : « N'y vas pas Manon, tu vas te faire chier, tu vas connaître personne là-bas, et ils vont tous te snober car pendant que t'es caissière chez Monop' à pas savoir quoi faire de tes quinze licences avortées en sciences humaines, eux, tous ces CSP+ — ces Cons Supérieurs Parisiens de plus — se triturent la nouille à des vernissages de galeries d'art, et vont parler de tous ces gens meilleurs que toi que tu ne connaîtras jamais. » Mais non, les obligations sociales sont ce qu'elles sont, et me font parfois oublier tout sens commun. Il suffit que ma pote Alexandra se pacse avec un « Louis-Antonin » — le Blond, avec un grand B, style raie trop bien dessinée sur le côté, pull en cachemire sur les épaules, chemise à carreaux bien repassée par sa femme de ménage portugaise ; évidemment en école de commerce, rêvant de la dernière BMW avec ses milliards de chevaux qui compensera la taille de son… Bref, il suffit qu'Alex tombe amoureuse d'un prénom composé et nom à particule  — oui le ‘sieur cumule — pour que je me sente obligée d'aller à une fête censée célébrer leur couple… Voilà donc comment je me retrouve faite comme une rate au dernier rendez-vous des Normaux Supérieurs et marketteux à la manque.

Alex me dit que je juge les gens trop vite. Mais comment ne pas juger ces boulets ? Ils ont tous les mêmes Ray-Ban noires carrées, et le même sourire TF1 des gens qui ont trop de zéros sur leur compte en banque... Je suis née d'une soirée alcoolisée entre une lycéenne qui allait devenir infirmière et un lycéen destiné à finir comptable gay ; je ne suis pas donc pas vraiment née avec une cuillère en argent dans la bouche. Plus le genre cuillère en plastoc de chez MacDo remplie de Sundae à la fraise — le seul truc capable de me calmer quand j'étais gosse. Du coup, les soirées type Ferrero Rocher, où ça rit avec la gorge si déployée qu'on voit jusqu'aux amygdales des convives... c'est vraiment trop éloigné de mon univers impitoyable.
Ça fait tout juste une demi-heure que je suis là, il ne reste plus que de la vodka frelatée, un jus de fruits infâme, du vin rouge prétentieux et du Redbull pour me consoler de voir l'énième poulpe humain suçoter la bouche d'une poule de luxe en chaleur. J'essaie péniblement de m'échapper aux toilettes. Survivre au flot des fêtards qui se contorsionnent dans le couloir trop étroit est assez pénible. Surtout que forcément, il fallait un imbécile pour me renverser son rhum coca sur l'épaule : c'est froid, ça pue, merci connard.

Et puis merci Alexandra ! Franchement, t'as jamais été une flèche niveau mecs, mais j'en viens à regretter ton ex qui parlait de tuning toute la journée et voulait te faire faire un plan à trois. Louis-Antonin est pire en fait : il hennit à ses propres blagues. Et dire que tu t'es pacsée avec lui ! Enfin, l'amour rend aveugle comme on dit, et je dirais même qu'il vous rend aussi intelligent qu'un gamin de deux ans qui rigole en mettant son pied dans sa bouche et qui pleure ensuite car il s'est fait mal au pied tout seul. C'est con les gosses.

Non mais Alexandra je l'aimais bien avant, quand je pouvais l'appeler, espérer boire un café avec elle pendant plus d'une heure. Maintenant, ses séances d'épilation intégrale ou de ashtamanianiania yoga ont pris le pas sur nos soirées bitchage. Ça fait bientôt six mois qu'elle a décidé de fusionner avec le mou du bulbe pour devenir une sorte de sangsue hystéro-dégoulinante. Elle se prépare lentement, mais sûrement, à devenir une Desperate Housewife.
Il est vingt-trois heures quarante-quatre, j'ai fait ma B.A en signifiant ma présence à Alex, qui m'a oubliée pour virer sournoisement une brunette se frottant d'un peu trop près à son Blond. Il est vingt-trois heures quarante-quatre et de deux choses l'une : ou c'est mission alcool en intraveineuse pour pourrir les toilettes ou je me casse. L'idée de trasher cette soirée est presque tentante, mais bon. Comme toute jeune 2.0 qui déteste les réseaux sociaux mais qui déteste encore plus les situations sociales contraintes et exiguës, je vais aller chercher mon portable dans ma veste et regarder qui a liké mon avatar de grumpy cat.

Il paraît que je mâche pas mes mots. Mais faut dire que ma famille m'a pas aidée : ma mère a toujours juré comme un charretier — et je ne sais pas pourquoi ils sont connus pour jurer comme ça, ces pauvres charretiers. Puis mon père, avec son coming-out et son remariage avec un coiffeur gay, il n'a pas hésité à dire merde à tout le monde — question de survie, et je l'ai toujours admiré pour ça faut dire.

J'arrive dans la chambre de Louis-Antonin pour trouver ma veste et mon téléphone. J'ai un vieux malaise en voyant la table de chevet bancale — Alexandra m'a raconté qu'une partie de baise ayant mal tourné a amené à cet accident de mobilier… Puis je contemple la masse de manteaux noirs tous identiques gisant sur le lit.  J'ai assez peu de problème à trouver ma veste militaire dans le tas, j'attrape mon téléphone et ô Facebook te voilà. J'ai eu deux Likes sur mon grumpy cat : une sorte de groupie à qui je n'ai rien demandé depuis qu'on était en 5ème B ensemble ; et mon père, dont je tire une bonne partie de mon mauvais sens de l'humour. Il a demandé à être mon ami sur Facebook il y a quelques mois, j'ai pas eu cœur de refuser. Soupir.

Soudain la masse de manteaux se met à bouger. Vague mouvement de panique : c'est la fin, c'est le fantôme d'une petite fille aux cheveux beaucoup trop longs et noirs et aux dents jaunies qui est venue me déchiqueter en rondelles. Ça, ou j'ai regardé un peu trop de films d'horreurs japonais ces derniers temps ; un des effets secondaires du célibat prolongé, faut croire. C'est pas si grave de dormir avec un couteau sous son oreiller non ? Façon, dans mon appart' de douze mètres carrés, ma cuisine est aussi ma chambre et ma salle de bain ; je mange souvent dans mon lit tout en faisant la vaisselle sous ma douche.

Voyant émerger une masse de cheveux improbables, une silhouette svelte et définitivement masculine, je réalise qu'il s'agissait juste d'un mec. Un drôle de spécimen s'était endormi là, sous ce nid de manteaux noirs qui valent tous plus cher que mon loyer mensuel. Je m'aperçois aussi que ma veste est agréablement chaude entre mes doigts poisseux de rhum coca. J'ai du mal à voir la tête de l'énergumène sous sa tignasse brune et ébouriffée.

— Hmmm... ‘quelle heure ? marmonne l'inconnu d'une voix pâteuse.

— 23h46.

— Oh non. Métro...

— On est samedi, t'as encore une heure pour émerger.

— Non... RER.

— Ah. T'es condamné à rester ici. Mes condoléances.

D'un geste assez inattendu, il rabat ses cheveux vers l'arrière et ouf ! Je me raccroche à la table de chevet bancale pour ne pas me vautrer comme une godiche, mais bordel...! Je ne m'attendais pas à ces yeux bleus vifs, à cet air d'ours mal léché, à cette bouche souple et humide. Négligé ce qu'il faut, sexy en diable. D'où il sort ? Qui l'avait planqué là ? C'est l'after de Louis-Antonin et Alex, genre leur manière de fêter le PACS ? Je me pacserai bien aussi à ce prix-là tiens. Au bout de longues minutes d'intense effort, tandis que j'essaie de ne pas me transformer en calamar géant — c'est pas tous les jours que je me retrouve seule avec un beau gosse dans une chambre — l'inconnu s'assoit au bord du lit et regarde vers la table de chevet. Cette table prend soudain un tout autre sens en me rappelant les frasques sexuelles d'Alex, et je me retiens de rire. Je suis très douée pour les associations d'idées — surtout sexuelles. Mais le bonhomme a vu autre chose sur la table de nuit : le dernier bouquin de Twilight. Je grimace : Alex est vraiment tombée trop bas pour moi.

Sauf que l'inconnu commence à lire le bouquin, mais genre vraiment. Genre je n'existe même plus dans la pièce. Depuis le début, il ne m'a même pas regardée une seconde. Je suis peut-être devenue un fantôme. C'est flippant. Puis, ça me fout en rogne aussi. J'ai envie de lui dire subtilement : « Eh, oh, c'est pas parce que t'as pas du tout l'air d'un Normal Supérieur et que t'es anormalement supérieurement beau que t'es dispensé d'un minimum de sociabilisation. Enfin je suis pas contraignante, je te donne le choix : soit on parle, soit on baise. Et perso je suis pas du genre causante. » Mais au lieu de ça, je lance :

— Donc toi, ton délire, c'est les vampires qui brillent au soleil ?

— C'pas si pire, répond-il du tac-o-tac.

Et là je suis obligée de le regarder un peu intensément de mon œil culpabilisant. Il lève la tête, me regarde droit dans les yeux et sourit :

— Mais je préfère 50 Shades of Grey.

Je me fige. Des images à la con qui me viennent malgré moi. Je gifle intérieurement mon cerveau. C'est qui ce mec ? Je finis par bredouiller, réprimant un sourire de greluche :

— Tu te fiches de moi ?

— Je lis tout. Je lis les notices de médicaments.

— Et genre t'arrive à les replier dans le bon sens et à les remettre dans leur boîte après ?

— Heu… oui.

En fait cet homme est fou ou n'existe que dans ma tête. Il prend un air pensif pendant très, très longtemps. J'hésite même à le poker pour lui demander s'il est toujours vivant — ou réel. Mais finalement il déclare :

— En fait, lire de tout, ça me donne une idée… de comment les gens fonctionnent en ce moment.

Est-ce un androïde ? Suis-je dans une dimension parallèle ? C'est quoi cette conversation ? Il a un accent chelou aussi au fait. Définitivement pas de cette planète.
À la porte de la chambre, je vois au loin défiler une tripotée de slims-chemises à carreaux en train de glousser comme des gorets, et dès lors ma résolution est prise : on se casse ! Mais l'endormi du fin fond de la nuit marmonne derrière moi :

— Je vais me chercher à boire. Tu veux-tu quelque chose ?

Y'a pas un « tu » de trop dans sa question ? Et ma bouche qui se met soudain à délirer toute seule :

— Un rhum-coca.

Je déteste le rhum-coca. Je trouve ça infâme. Les cocktails avec du coca c'est juste du liquide de vidange sucré qui te donne envie de te tirer une balle et du coup tu rigoles pour que ça passe. En fait j'aime pas beaucoup l'alcool. Enfin pas tout le temps. Ça dépend avec qui.

— Merci, dis-je en prenant le verre qu'il me tend.

Lui s'est servi du vin : probablement un choix plus judicieux à cette heure… Ah, son œil bleu mi-endormi mi-malin...

— Je m'appelle Marc-André, dit-il soudain. Et toi ?

— Marc-André ? C'est quoi ce prénom en bois ?

Oups, j'ai pensé tout haut. Je pique encore un fard. Il éclate de rire et marmonne pour lui-même :

— Ils sont niaiseux ces Français...

— Niais... niaiseux toi-même !

Il m'ignore. Il retourne dans la chambre pour étudier la bibliothèque de nos hôtes.

— Et t'as un prénom en bois toi ?

— Ben non. Moi c'est Manon.

— Ma si ?

Je le regarde. Il se marre tout seul. Et ça n'a pas l'air de l'embarrasser le moins du monde. J'hausse un sourcil ironique :

— T'es pas d'ici toi non ?

— Je suis de Montréal, me dit-il en feuilletant un énième bouquin de mummy porn.

Alex tu crains, je t'avais déjà dit de lire du Marquis de Sade plutôt que ces fadaises. Si j'avais persisté en fac de lettres j'aurais probablement fait mon mémoire là-dessus.

— Et qu'est-ce que tu fais là ? je demande au Marc-André.

— Je connais Charles-Henri, il m'a proposé de venir.

— Ah.

C'est vraiment l'invasion des prénoms composés douteux ce soir.

— Moi je connais Alexandra...

On arrive au moment où je réalise soudain que je suis bel et bien face à un jeune mâle esseulé au regard croustillant et à la bouche certainement goûtue, assise sur un lit de manteaux noirs, sirotant un rhum coca infâme et voyant mon sens de l'équilibre devenir plus qu'incertain. En clair, je suis gentiment bourrée, et je sens que j'ai le talent conversationnel d'une huître pas fraîche.

Voire le sex-appeal d'une huître pas fraîche. En plus je crève de chaud dans ma veste militaire. Je devais pas partir au fait ? Quelle heure est-il ? Le Montréalais est si dégingandé et appétissant... Un sursaut de cerveau grandiose me fait soudain balancer de but en blanc :

— Bon, on se casse ?

 

Peu après les malentendus se sont enchaînés : sur un malentendu, je me suis retrouvée à faire un concours de Teq' Paf avec une bande de lunettes carrées-écharpes blanches qui venait de débarquer. Sur un autre malentendu j'ai piraté la liste Spotify de la soirée pour passer La Bamba triste du grand Pierre Billon et je me suis retrouvée à danser avec un Marc-André mort de rire, alors que les Normaux-Supérieurs-Cadres de l'avenir nous toisaient avec effarement. J'ai sans nul doute fait fondre une partie de leur cerveau et révélé quelques tics nerveux chez certains d'entre eux, ce qui m'a fait beugler de rire. Un dernier malentendu m'a propulsé hors de cet appart' bien trop petit, et je me suis retrouvée dans mon palace de douze mètres carrés dans le vingtième à Paris, avec un caribou entre mes cuisses.  

Un caribou entre mes cuisses ?

« Caribou », on s'entend, hein. Je suis pas passée zoophile en deux heures, le malentendu aurait été un peu trop gros, même pour moi. En plus, avec un bestiau de cette taille dans mon entrejambe, je donnerais pas cher de ma peau — ce serait horrible en fait, mon dieu, non, je ne veux pas imaginer ça maintenant...! Bref, j'aime bien donner des surnoms à mes nouvelles conquêtes — et pour être tout à fait honnête, elles ne sont pas franchement nombreuses. C'est donc un petit défi sympathique à chaque fois. Là, je dois dire que le Québécois a effectivement la nonchalance de ce beau cervidé et il a le poil aussi doux, en fait — bien que je n'ai jamais caressé de Rudolph ou assimilé, je suppute que ces bestiaux ont le pelage pas trop rêche si on les prend dans le bon sens. Monsieur Caribou sait effectivement prendre les choses dans le bon sens et dans pas mal de sens différents, c'est assez impressionnant. Oui bon alors, il s'avère que je suis en pleins ébats sexuels avec un mec beau comme un dieu et que je suis en train de le comparer au renne du Père Noël. Mes pensées vagabondent parfois — souvent — dans ce genre de situation avant que je dise un grand « Ta gueule » à mon cerveau. Mais je découvre une toute nouvelle langue là, le Québécois ! C'est une langue à la fois familière et très différente et… chaude. Cette découverte linguistique a du bon, d'autant plus qu'elle est aventureuse, audacieuse, pleine de ronds et de déliés… Ok, je veux bien admettre que faire des jeux de mots pourris sur la linguistique pendant que je me fais lécher, c'est complètement idiot et cinglé, j'ai probablement manqué une case niveau sexytude style : « Comporte-toi comme dans un porno gémis la bouche ouverte au lieu de délirer toute seule dans ta tête ! » Mais ça faisait bien longtemps hein, quasiment deux ans d'abstinence — si on compte pas la masturbation évidemment. J'en reviens pas de sentir sous mes doigts la chevelure d'un type qui est en train de me faire tressauter comme un...

Ta gueule, cerveau.

Mais soudain le caribou se redresse, et dans un jeté de crinière qui me donne envie de le mettre tout entier dans ma bouche, il me lance d'une voix avinée :

— T'as-tu un condom ?

Y'a encore un « tu » de trop dans sa phrase putain ! Et sinon je réponds :

— Tu quoi ? Capote ? … Non.

Pouin pouin pouin pouin.

On se retrouve dans la rue. En fait, il s'avère qu'il y a bien plus de kebabs au mètre carré que de distributeurs de capotes fonctionnels dans mon quartier. Du coup, usant de toute ma verve subtile et spirituelle, je dis :

— En fait j'ai faim.

Deux minutes plus tard je savoure un kebab-frites sauce samouraï et je m'en mets au moins autant partout que le caribou il y a quelques temps plus tôt — oh c'est dégueulasse ce que je raconte en fait. Mais qui a dit que les filles devaient avoir le cerveau pas crade ? À bas le genre et tout ça, avec un père homo et une mère infirmière ascendant charretière, j'ai jamais aimé les clichés prudes. Les filles c'est dégueulasse comme les garçons parfois, ça pète et ça fait caca et tout. Sans déconner ! Quand j'ai réalisé que j'étais pas obligée d'aimer le rose et les papillons comme mes copines Cynthia et Mélissa en CE1, sans pour autant être taxée de « garçon manqué » — cette expression est l'expression la plus horrible du monde entier — je me suis sentie vachement plus libre. Même si j'aime parfois le vernis rose et les arcs-en-ciel, surtout dans les pubs Skittles, je peux aussi faire des blagues grasses dans ma tête — ou ailleurs — quand ça me chante. C'est la démocratie dans mon cerveau ! Bon, du coup on est peut-être un peu trop nombreux à s'engueuler là-dedans, mais on finit par être tous copains, surtout quand c'est le festival de la culotte en bas.

Marc-André — je ne peux pas me faire à ce prénom à coucher dehors même si je vais le faire coucher dans mon lit ce soir — sourit devant mon enthousiasme à dévorer mon ‘dwich et dit :

— Ça goûte presque aussi bon que la poutine.

— Poutine ? Vladimir ?

Pouin pouin pouin pouin.

Mais le caribou n'a pas peur des grands espaces sauvages de mon humeur vaseux et conclut d'un loquace :

— Oh, da.

Je glousse comme une poupoule mouillée — c'est pas peu dire et... La gallinacée et le caribou, dernière fable de la Fontaine sur l'idiotie féminine en chien qui a bu une gorgée d'exotisme. C'est toujours dégueulasse ce que je me raconte dans ma tête, je ne peux pas m'en empêcher.

— Et sinon tu fais quoi dans la vie ? lui dis-je d'un ton décontracté, la voix traînante et grave, encore réchauffée de tequila, genre ça se voit pas que mon cerveau a fondu depuis que je t'ai imaginé en train de chatouiller mes lèvres avec ton bel organe canadien.

— Je suis chercheur en neurosciences.

Là, double sourcil haussé signifiant cette onomatopée on ne peut plus expressive : « Wow. »

— Et toi ? demande-t-il à son tour, pas du tout impressionné par lui-même ou par mon impressionnement face à lui-même.

Là, me vient un début de pouin pouin pouin… que je balaie vaillamment à grands coups d'orgueil alcoolisé. J'avale ma dernière bouchée de kebab sauce samouraï sans pleurer et je lâche avec panache :

— Ce que je fais dans la vie ? Je vis et c'est déjà pas mal, moi, Monsieur.

— Oh désolé, je voulais pas être… désagréable ? s'excuse Marc-André, peu sûr de lui.

— Ah non, ça, c'est nous les Français qu'on est spécialistes, dis-je en riant.

Là-dessus Marc-André demande avec une tête de petit chiot qui comprend pas :

— Mais pourquoi vous trouvez ça bien d'être méchants ?

Le docteur en neurosciences a l'air de poser cette question avec beaucoup de sincérité, comme un enfant qui demande pourquoi la sorcière elle bute la princesse à coup de pommes empoisonnées ou d'autres symboles censés signifier que la pucelle est en âge de passer à la casserole et qu'elle a intérêt à se dégoter un prince charmant pour lui sauver les miches. Alors je sais pas ce qui me prend mais ça m'agace et je réponds :

— C'est pas qu'on aime être méchants, mais tu vois ça donne un certain point de vue sur la vie, on est jamais contents de ce qu'on a, mais quand on arrête de se plaindre — je sais, ça arrive pas souvent — ben on commence à faire des trucs que personne ferait à notre place et à ce moment-là, là ! On est les meilleurs du monde ou presque, enfin des fois on fait mieux que les autres parce qu'on est insolents, on est pas méchants nous les Français mais insolents, voilà c'est ça le mot ! C'est ça qui nous permet de faire des trucs avec panache, tu vois le panache à la française c'est unique quand on y pense, enfin c'est vrai c'est plus un truc de romans maintenant quand tu vois la bande de… niaiseux qu'il y avait à la soirée. La France c'est un peu de la merde depuis un moment ouais. En fait je crois qu'on a tous un peu des doubles personnalités ici… Le méchant en nous, il commente tout ce qu'on fait, un peu comme un garde-fou et un mauvais génie en même temps, tu vois ? Non ? Mais je dis pas que c'est un truc bien et même c'est vrai que tout le monde nous déteste à l'étranger et moi-même je déteste souvent les Français comme tous les Français en fait, mais bon tu sais ce qu'on dit l'amour la haine blabla — il n'y a qu'un pas et tout genre. Enfin c'est con tout le monde est pas à mettre dans le même bateau, les Français méchants c'est un peu un mythe en vrai. Tu vois par exemple, ma mère, ben elle est décédée y a bientôt deux ans — le temps passe, c'est fou — une méchante maladie qui lui tombe dessus comme ça de nulle part et ça m'a fait détester la vie un temps, enfin y'avait pas plus gentille que ma mère et elle était une Française pur jus ! Elle avait tellement la classe avec rien et en même temps elle disait merde et putain à tout bout de champ, elle avait un ascendant charretier comme je me disais tout à l'heure, haha ! Une infirmière que tout le monde aimait car elle était la bonté même, genre la bonté à la française tu sais, celle qui y va pas avec le dos de la cuillère à pot. Elle avait la gentillesse de celle qui t'aime, qui est ta meilleure amie et ta sœur en même temps car elle t'a eue super jeune avec ton père qui a fait son coming-out cinq ans plus tard après que tu sois née. Ok bon, tu vois je te sors ça comme ça de but en blanc mais en vrai ça va, j'ai eu de la chance, mes parents se sont pas séparés dans la douleur et ils sont même restés bons potes jusqu'au bout. Un peu un miracle quand j'y pense. J'aime mon père, je suis contente qu'il soit heureux — il s'est trouvé un mec coiffeur, il me coupe les cheveux et tout... Ah par contre je peux pas vivre avec eux j'ai essayé à la mort de ma mère mais au bout de deux mois, j'en avais juste trop marre de leur chien ! Un bouledogue moche qu'ils ont appelé Bijou — non mais Bijou, franchement !  T'appellerais notre chien comme ça ? Bon c'est vrai je veux pas de chien et on est même pas ensemble, hahahah ! N'importe quoi. Je crois que j'ai trop bu, j'ai soif en fait. Bref, Bijou bavait sur toutes mes fringues, sans exception, et il est tellement moche, mais moche ! Bon il est drôle aussi, surtout quand à Halloween je lui ai mis une citrouille sur la tête j'ai bien ri, mais bon au bout d'un moment c'était plus possible alors j'ai déménagé dans cet appart' minuscule. C'est vrai que j'ai un autre appart' à Montreuil en fait, mais j'ai pas pu y revenir, je vivais avec ma mère là-bas et tout et bon tu vois, trop de souvenirs, j'y suis jamais retournée en fait depuis le décès. Ça fait même presque deux ans que j'ai pas franchi la porte de Montreuil. Enfin bon, j'ai hérité de cet appart', mais je l'ai même pas fait relouer encore car ça me saoule de m'occuper de ça, enfin c'est comme ça, et du coup tu vois ça fait un an et demi que je vis comme une ermite dans mon douze mètres carrés que je paye à l'arrache en bossant à Monop' car j'en ai marre des études, j'ai trop de licences sur mon CV. Je sais plus pourquoi je te raconte tout ça en fait ? Ah oui ce que je fais dans la vie ! Et les Français pas vraiment méchants... Ouais ben ça va en fait, là c'était quand même une soirée toute pourrie ce soir mais ça m'a fait chaud au cœur de te rencontrer, je te le dis gentiment et ch'uis française tu vois ! Donc dans la vie ce que je fais c'est que je vis et que j'aime plutôt ça, vivre, en fait, au final, malgré tout. J'ai pas de super boulot, pas de vocation, pas d'ambition, pas de passion, pas de mec, je suis souvent désagréable comme une bonne Française... Au final tu vois ce que j'aimerais faire plus tard, eh ben c'est faire ce que je veux avec panache sans être trop méchante mais sans être con-con non plus, faut pas déconner, je veux faire honneur à cette insolence, à ce panache français qu'on a oublié ! Je dis que des conneries ce soir. Bref pour l'instant je m'en sors pas trop mal et j'en connais pas beaucoup des comme ça, qui sont juste contents d'être en vie, français ou pas en fait. Et toi, t'es content ou pas ?

Et soudain, dans ce kebab quasi désert à trois heures du mat', une bande de vieux marocains crie joyeusement « Buuuut ! » en regardant la retransmission du match Maroc-Portugal. Marc-André me regarde un bref instant, puis m'embrasse goulûment et murmure en souriant :

— Avec toi ? Oui.

Et dans mon ventre, c'est la danse des chamallows qui fondent au soleil.

 

Tandis qu'on écume les distributeurs de capotes en vain, il commence à me raconter sa vie : son enfance à Sherbrooke, un petit patelin pas loin de Montréal, avec son grand frère à enchaîner les conneries ; ses études en littérature anglaise, puis en cinéma, puis en neurosciences… parce que c'est ça qui le branchait au final. Il n'a jamais connu sa mère, a surtout été éduqué par ses grands-parents paternels vu que son père passait son temps à voyager — c'est donc ça qui lui donne ce petit air rétro et incongru dans sa manière de réagir ou de parler. Il est surnommé « Alien » par tous ses potes car il a une collection improbable d'objets sur le film, il a toujours détesté le hockey mais s'accommode très bien de la viande fumée et du fromage en tube. En somme, un drôle de type venu d'une galaxie lointaine... à laquelle je m'accroche comme un koala à son eucalyptus.

Et enfin on dégotte un condom comme il dit pour rouler jeunesse ! On cabriole sur mon plumard qui grince, entre deux coups enflammés j'entends les petits oiseaux piailler par la fenêtre, je gémis, on passe en levrette, il va bientôt faire jour, je vais bientôt jouir, je suis heureuse, je l'entends râler, je sens mon corps en sueur pris de puissants spasmes, j'ai la chair de poule, mes doigts mordent les draps, je sens mes cuisses cogner contre les siennes, son coup de rein est formidable eh bordel ! On s'emboîte magnifiquement comme des Legos, j'ai rarement connu ça avec qui que ce soit, surtout dès la première fois… Voilà une montée qui prédit un orgasme comme c'est pas permis, je me mets à gueuler, je le dévore des yeux de la bouche et des oreilles et des moindres pores de ma peau qui glisse contre la sienne, je m'écrase sur le ventre, j'ai chaud et j'en veux encore, et soudain je lâche prise, il lâche tout, on s'en fout et j'aime tellement ses grognements virils, son foutre chaud qui jaillit en moi, je me sens fluide, émue, je tremble ; je me sens mienne, lui, nous, enfin. Peau contre peau, j'ai le cœur qui bat dans ma tête, je soupire. Lui aussi. On se vautre sur le matelas, épuisés, haletants, ruisselants. Je souris à perdre haleine, je ris. Je me sens si vivante, je m'exclame :

— Tabernacle !

On glousse comme des benêts, on se fait une bataille de coussins mous, je m'endors la bouche ouverte avec mes jambes molles en travers des siennes, virant ses cheveux semi-bouclés et bruns qui chatouillent mon nez humide, et ronflant à moitié sur son torse velu de caribou en pleine fleur de l'âge. Je nous sens tellement beaux tous les deux ensemble, un truc de dingue.

Quelques heures plus tard, avec la bouche pâteuse et mes cheveux sur la tronche, j'ouvre un œil : Marc-André est déjà debout et se rhabille. Il a la tête d'un petit chien qui aurait pissé sur mes fringues.

— Je dois y aller... Je dois prendre l'avion tantôt.

Pouin pouin pouin...

— Ah, dis-je.

ENFOIRÉ DE QUÉBÉCOIS MES FESSES ONT APPLAUDI POUR TOI ET TOI TU TE CASSES COMME UN CONNARD COMME ÇA SANS RIEN DIRE ?

— Je suis désolé...

SALOPARD DE CARIBOU DE MES DEUX QUI M'A RETOURNÉ LE CERVEAU ET LE CORPS ET J'AI TROP DE COURBATURES POUR TE CASSER LA GUEULE MAIS FRANCHEMENT TU MÉRITERAIS BIEN UN BON COUP DE PIED AU CUL ET JE T'EN FERAI BOUFFER DE LA POUTINE PAR LES TROUS DE NEZ ET...

— Ah non, pas de stress, c'est cool, dis-je encore d'une voix absolument calme.
Je ramasse ma culotte en silence. Il referme le zip de sa veste. J'ouvrirais bien la fenêtre. Il s'approche de moi, hésite et m'embrasse le front du bout des lèvres. Je frissonne. Je le déteste. Il me regarde un moment sans rien dire avec ses grands yeux bleus rougis, magnifiques. On dirait qu'il va pleurer. Ou bien c'est la fatigue. Je le déteste encore plus. Je lui propose :

— Tu veux un café ?

Avant d'ajouter aussitôt :

— Ah non en fait j'en ai pas.

— C'est gentil... Je… je vais y aller.

— Bon, ben à la prochaine ? je lâche, un peu sèchement malgré moi.

Il s'en rend compte. Il m'embrasse une bonne fois. Je me retiens de le mordre et de l'attacher à mon lit pour le fouetter à coups de kebab.

— Si un jour tu veux venir à Montréal… dit-il enfin.

Tentative de sourire. Peine perdue de mon côté. Il ramasse son écharpe. Je croise une dernière fois ses yeux immenses, clairs, vertigineux. Je reste détachée — ou presque — et insolente, car j'ai de l'orgueil bien français dans mes veines.

— Bon voyage ! je lance, avec un geste de la main qui se veut plein de panache, mais qui me fait putain de mal au bras.

 

 

Chapitre 2 : Comment je me suis demandée si j'allais pas fuir la mère partie pour aller botter le cul au caribou traître

 

Deux heures plus tard, me voilà dans le salon de coiffure de mon beau-père Pierre. En train de chialer toutes les larmes de mon corps.

Pierre en quelques mots : jeune quadra rouquin fringant, ultra-maniaque, qui porte du cuir « vegan » et va tous les jours en salle de gym. Mais faut pas croire, on a quand même un point commun : il est au moins aussi langue de pute que moi. Je vais toujours le voir quand j'ai besoin d'une bonne paire de gifles pour arrêter de jouer à la neuneue qui pleure à cause d'un demeuré.

— Je suis sorti avec un Québécois une fois, me raconte Pierre. Un bûcheron…!

Sourire rêveur de Pierre. Mon père est plus du type émo-comptable-nerd-titi parisien. On est loin du lumbersexuel de l'érable.

—  Bon, une vraie girouette par contre ! continue Pierre. « Je te veux mais je sais pas ce que je veux je veux pas m'engager mais je sais pas ce que ça veut dire blablabla. »  Donc je l'ai jeté et je suis sorti avec son pote latino. Je te coupe les pointes, beauté ?

— Je sais paaaaas...

Et je rechouine comme une conne, avec son chien Bijou qui bave sur mes genoux. J'atteins rarement de tels sommets de dégoulinitude — enfin il y a eu cette fois bizarre avec ce type sur Adopte un mec… Bref. Pierre, guère impressionné, enchaîne :

— Ce stress rend tes cheveux tout ternes… je vais te faire un soin.  

— Je suis tellement une grosse conne...!

— Mais non. Tu es juste un peu attardée émotionnellement parfois. Comme ton père.

— Merci, Pierre.  

Pierre agite une boîte de gâteaux sous mon nez morveux. Je ne peux refuser. Manger, ça me calme. Pierre lance soudain :

— Et si tu te cassais ?

— Je te saoule à ce point ?

— À Montréal, je veux dire !

— Très drôle. Comme si j'allais tout plaquer du jour au lendemain pour...

— Tout plaquer ? Tu veux dire… ton boulot chez Monop' et ton huit mètres carrés avec toilettes sur le pallier ?

— Douze mètres carrés. Et je vois la Tour Eiffel en collant ma joue contre le mur du fond près de l'évier. Enfin je crois.

Ah Pierre, la délicatesse incarnée. Je le déteste. Surtout quand il a raison.

— Paraît que c'est super facile de migrer au Canada… ajoute-t-il perfidement.

— Mais je sais rien de ce type ! Si ça se trouve, c'est un putain de serial-killer québécois et t'imagines ?! Il pourrait genre m'abandonner dans une forêt couverte de sirop d'érable et tout pour que les castors me bouffent en me traitant d'ostie.

Sourire ironique de Pierre tout en jouant avec ses ciseaux :

— Je suis sûr que tu manques beaucoup à ta psy.

— Ha ha. Nous allons très bien dans ma tête, t'en fais pas.

Tandis qu'il époussette mes épaules des quelques cheveux qu'il m'a coupé, Pierre déclare :

— Et donc, ce fameux Marc-André... Tu as repéré sa couleur préférée et le numéro de son compte en banque sur Facebook ?

Je grommelle dans mon coin. Marc-André n'est pas sur Facebook ! Il fait partie de cette race de gens que j'admire pour dire non à cette bouse infâme de face de bouc. Et en même temps, il n'y a que les hippies, les anarchistes et les serial-killers pour dire non à Facebook de nos jours. Ou bien peut-être qu'il n'existe pas. Que j'ai imaginé tout ce qui s'est passé. Meilleure hallucination de ma vie je dois dire.

— Enfin, il n'y a rien à te dire, là, c'est ça ? demande Pierre. Tu fais juste ta chieuse pour te donner une bonne raison de t'empiffrer de Nutella.

— Y'a jamais de mauvaise raison de manger du Nutella.

 

Le soir, je passe chez Alexandra, prétextant avoir oublié une écharpe qui n'existe pas. Cette grande bringue d'Alexandra est en train de préparer une tarte à la tomate pour son conjoint non moins tarte.

En la regardant cuisiner, comme ça, avec son petit tablier violet, ça me fait tout drôle. On s'est connues au lycée avec Alex. Un temps merveilleux où on est passées par toutes les phases — Emo-goth, Gossip Girls, Normcore, punk... On était un peu les Laurel et Hardy de la Terminale L2. Ah mon Alex, ma grande brindille, mon roseau un peu éthéré, avec tes cheveux de paille qui moutonnent les jours de pluie : t'as bien changé depuis le temps où tu pensais communiste. T'es bien devenue une super housewife. Tu me fais tellement flipper. Est-ce que je vais finir comme ça aussi ? Est-ce le funeste destin de la gente féminine au vingt-et-unième siècle ? Est-ce qu'après un demi-siècle de luttes féministes, on se tourne toujours vers le plumeau et le missionnaire ? Triste perspective !

Non, ma mère et mon père m'ont montré d'autres exemples. J'en veux pas du prince charmant, c'est rien qu'un pervers narcissique qui te fait ramper pour mieux t'exploiter.

— Et sinon, tu connais Marc-André ? je lui demande, l'air le plus détaché du monde

— genre j'ai pas les pupilles dilatées et le cœur qui joue des castagnettes entre mes oreilles en attendant la réponse.

— Qui ça ?

— Le Québécois qu'il y avait à ta fête.

— Ah lui ? Non. C'est un pote de pote de Charles-Henri.

— Je connais pas Charles-Henri.

— C'est un pote de Louis-Antonin.

— J'aurais pu m'en douter.

— Pourquoi tu me demandes ça ?

Je rougis comme une tomate trop cuite.

— T'as couché avec le caribou ?! balance Alexandra en gloussant comme une petite hystérique.

Après un faux soupir las, je lui raconte quelques détails croustillants sur les techniques du Québécois et le coup du kebab. Morte de rire, Alex balance :

— Et donc tu pars à Montréal ? Ah t'as tellement de chance, il paraît que c'est génial là-bas...

— Vous voulez tous que je me jette dans la gueule d'un caribou serial-killer ou quoi ? Je connais même pas son nom de famille !

— Petite joueuse.

Alexandra, avec qui on pensait un jour monter une agence de détectives privées pour laisser libre cours à nos dangereux penchants pour le stalkage de gens sur Internet, épluche Facebook un bon quart d'heure... en vain.

— Va falloir attendre Louis-Antonin, on dirait qu'il est pas sur Facebook ton caribou.

— Ah tu vois ? C'est un mec trop bien pour être sur Facebook. Ou un serial-killer. Ou bien mon nouvel ami imaginaire. Que j'aurais aimé rencontrer plus tôt.

Dans tous les cas, Marc-André est le genre bâtard qui se casse sans me laisser le temps de bien remettre ma culotte. C'est la pire espèce ça, celle qui me fout des frissons, qui me donne envie de l'étrangler tout en lui mangeant la bouche. Garanti cent pour cent d'emmerdes québécoises pour le restant de ma life.

Louis-Antonin rentre enfin de sa journée de dur labeur en tant que machine à punch-lines. Dire que c'est à cause de lui qu'on va acheter les yogourts affreux de demain sans gluten. Il s'exclame, suite à notre interrogatoire corsé avec Alexandra :

— Ah oui, le Québécois chelou assis dans son cerveau ? Ouais, je comprends jamais rien à ce qu'il dit avec son accent-là ! Tabernacle poutine hahaha !

Et donc ?! Tu me donnes des infos ou je te mets une tarte à la tomate dans ta face de cheval ? C'est pas que je te déteste mais ta mèche blonde, sur ton front, elle a du mal à cacher ta crétinitude. Me voyant fulminer, il ajoute :

— T'as couché avec lui ? Bien ouéj', meuf !

C'est quand même bizarre que ce soit la bourgeoisie parisienne qui ait repris le verlan à son compte… Bref, je me lève, cramoisie comme jamais. Alexandra voit la fumée sortir de mes naseaux de dragon frustré, et met aussitôt la table pour trois — il n'était pas prévu que je dîne avec eux, mais elle connaît mon rapport à la bouffe. Elle me sert une part de sa tarte à la tomate. Je mange en grognant.

— Ah mais oui, je crois que son nom de famille c'est genre… « Bourreau des cœurs », un truc bien ridicule comme ça ! enchaîne Louis-Antonin.

— Bourreau des cœurs, t'es sûr ? dis-je de la voix la plus aimable du monde.

— Attends je vais appeler Charles-Henri.

Et hop, l'impression que mes amygdales ont triplé de volume dans ma bouche pendant que le Blond attrape son téléphone portable :

— Ouais vieux ça va ? Je voulais te demander, l'autre soir t'étais venu avec le Québécois là… Marc-André ouais c'est ça… Ah c'est ton cousin ? Je savais pas.

Soudain je me dis que Charles-Henri va devenir mon meilleur ami du monde entier. Louis-Antonin poursuit :

— C'est lui qui a un nom de famille à la con c'est ça ? JOLICOEUR mais oui c'est ça !

Le marketteux explose de rire. En temps normal ça m'aurait fait rire, mais les hennissements de Louis-Antonin ont un pouvoir super spécial : ils castrent mon sens de l'humour. Ça explique pourquoi je peux pas le piffrer. Après cinq minutes de cris animaliers bien insupportables, Louis-Antonin reprend la conversation :

— … Ah non c'est rien, c'est juste une pote d'Alexandra qui me demandait... Manon, tu vois qui c'est ?

Je me lève, prête à l'étrangler de mes blanches mains, tandis qu'Alex essaie de me retenir à coups de tarte à la tomate. Louis-Antonin, ce sale traître de fumier que je vais maudire jusqu'à la douzième génération même s'il engrosse Alex, s'enfuit dans une autre pièce et continue :

— Ouais c'est elle. (Ils se marrent et je prépare mes poupées vaudou dans ma tête.) Ouais ben… (Un temps) Ah ouais ! Marc-André t'a parlé d'elle ? (Encore un temps) Ah truc de ouf ! (Passez-moi ce téléphone !) Ah ouais ? Haha ! Sans déconner !

J'ai soudain comme un flash, moi à la kermesse en CE2, montant sur scène pour un spectacle de danse, et m'apercevant trop tard que ma jupe est coincée dans ma culotte.
Finalement Louis-Antonin raccroche et se rassoit en silence pour mastiquer sa salade. J'attends. Longtemps. Refermant lentement mes doigts sur mon couteau de table. Alexandra, un peu effrayée, balbutie à son conjoint :

— Ça avait l'air... drôle ce qu'il racontait, Charles-Henri.

— Oh ouais.

— Oh ouais ? je grogne, tout en m'essuyant la bouche de manière très distinguée avec ma serviette de table — grosso modo, je suis pas loin de me râper les lèvres jusqu'à la moelle.

— Le prends pas comme çaaaaa… dit le Blond de ce ton follement exaspérant qui sous-entend que je n'ai pas le moindre sens de l'humour. Un peu comme un fermier qui claque sa Noiraude pour la réconforter de rentrer à l'étable.

— T'en fais pas, il t'a trouvée cool… me dit enfin le sale marketteux avec un clin d'œil grivois.

Entre des envies de meurtre et une impulsion subite de prendre le premier avion pour Caribouland, il y a trop d'émotions qui se foutent sur la gueule en moi. Je me venge sauvagement sur la tarte en carburant à plein tubes dans ma tête. Qu'est-ce qu'a dit Marc-André ? Quels étaient ses mots exacts dans sa bouche délicieuse de… bordel de tabernacle ?! Faut que je parle au Charles-Henri. Faut que je devienne son âme damnée. Faut qu'il enregistre toutes ses conversations avec Marc-André pour me les faire écouter et pour que je déchiffre ses mots et de ses intonations. Parce qu'on sait jamais hein, je veux dire, je doute du quotient intellectuel de Louis-Antonin pour retranscrire parfaitement la situation, sachant que les faits lui sont rapportés par un Charles-Henri qui est probablement un double de lui-même aussi crétin, et qui lui-même a donc conversé avec le caribou qui m'intéresse. Ça fait trop d'intermédiaires attardés pour être un témoignage fiable. En plus si ça se trouve le caribou qui m'intéresse — enfin, « m'intéresse », c'est juste que ses talents linguistiques et sportifs du matelas Ikéa pourront potentiellement créer une sorte de manque pour les jours et semaines à venir… Bref, si ça se trouve, Marc-André a adapté son discours pour qu'il soit intelligible par un imbécile de CSP+ français ayant un pote au rire équestre.  Mais comment Charles-Henri et Marc-André peuvent descendre d'une même branche familiale ? J'espère que Marc-André n'est pas en réalité un CSP+ undercover qui essaie de me faire passer du côté obscur. Pour me transformer en Alexandra 2. L'angoisse. J'imagine même pas nos fêtes d'anniversaire. Genre on pliera nos serviettes en papier pour faire des fleurs, on fera des toasts maison et du macramé. Le cauchemar. En plus je sais rien de Montréal, si ça se trouve là-bas les neurosciences et le marketing ne font qu'un, et je n'étais peut-être que le sujet d'un test pour lui.

Je rejoue les cobayes quand tu veux, grand fou.

Malgré toutes mes tentatives ô combien subtiles de tirer les vers du nez de Louis-Antonin — et bon sang il a une chiée de vers dans son gros pif à particule et c'est vraiment pas ragoûtant comme processus de l'amadouer tout en le torturant un peu tandis que sa moitié me dévisage car je mange toute leur tarte et squatte leur soirée qui aurait dû être en amoureux — je n'arrive pas à tirer grand-chose de lui à part ceci : grosso modo Marc-André a parlé à Charles-Henri, a dit qu'on avait passé la nuit ensemble — en quoi ça regarde Charles-Henri ? Est-ce que je vais raconter ce qui s'est passé à mon cousin ? J'en ai pas de cousin mais après ? Ça se fait pas de parler de ses histoires de fesse au tout venant. D'accord, c'est un peu ce que j'ai fait, mais moi j'ai le droit car j'ai pas grand-chose d'autre à raconter à part ça d'abord. Et comble du comble, le caribou a donc conclu que « c'était cool comme soirée. » C'est pas moi qui étais cool en fait, mais la soirée. Je demande quinze fois à Louis-Antonin de répéter ça, d'essayer de retranscrire l'intonation et la nuance exacte des termes de Marc-André d'après Charles-Henri — je commence vraiment à confondre tous ces noms composés — afin d'y lire les potentiels milliards de sous-entendus foireux qui pouvaient s'y trouver. Mais apparemment Marc-André a juste dit ça, ni plus ni moins. « Cool. » Super. Dans le genre effet Kisscool… De la part d'un mec qui lit Fifty Shades of Grey, j'attendais un peu plus d'éloquence. Mais non, « cool quoi. » Finir sa tête dans mon entrejambe au bout de deux heures, c'est « cool. » Savater mon plumard à coups de levrette, c'est cool. M'entendre raconter toute ma piètre vie tandis que je me repeins la tronche avec de la sauce samouraï, puis ensuite m'entendre jouir comme une malade parce que j'ai un des meilleurs orgasmes de ma vie, c'est cool.

Je vais bannir ce mot de mon vocabulaire.

 

Je dîne avec mon père. Planqué derrière ses petites lunettes rondes, il me sort d'un air faussement indifférent :

— C'est cool Montréal. J'y suis allé dans ma jeunesse.

Ah non mais merde il va pas s'y mettre avec les « cool » lui aussi ! Bordel !

— Non mais tout le monde veut que je me casse ou quoi ?

C'est vrai à la fin, il suffit que je couche avec un type pour qu'on m'expédie de l'autre côté de l'océan pour le pécho. Je suis un cas si désespéré que ça ? Ok, c'est le désert de Gobi dans ma vie amoureuse depuis deux ans, et alors ? C'est pas du tout ce pour quoi j'avais signé, et d'abord j'avais rien signé, et d'abord je sais même plus s'il me plaît encore ce caribou. Ce serial-killer de l'érable qui trouve que les choses sont cool.

— T'as toujours eu envie de partir à l'étranger... ajoute le paternel en me servant un hamburger maison juteux.

— Mais si mais. Non.

Je croque lentement quelques frites, l'air penseur, avant de conclure avec mon orgueil de greluche :

 

— Pas pour un mec.

— Crois-moi, tu ne manqueras pas de beaux gosses au Québec pour te consoler, insiste Pierre.

Et je repense à son bûcheron indécis, je secoue la tête et essaie d'effacer de ma mémoire la visualisation de mon beau-père avec un lumbersexuel. Beurk ! Mon père lance un petit coup d'œil soupçonneux à Pierre. Aussitôt celui-ci se reprend :

— Les filles aussi ! Les gens sont cool là-bas. Ça te ferait du bien.

— Cool cool cool.

Bordel de bon soir, encore un qui la ramène avec ces histoires de coolitude ! J'engloutis mon hamburger maison en faisant la moue.

— Façon j'ai pas de fric, j'ajoute.

— Si tu mettais l'appartement de ta mère en location… avance Pierre tout en reculant — un beau paradoxe, mais il sait très bien qu'il s'avance en terrain miné.

Vague silence. Mon père déglutit avant d'ajouter :

— C'est vrai que c'est dommage que...

— Je sais, ‘Pa.

— Non mais tu pourrais tout à fait le vendre, cet appartement, lâche Pierre tout en s'enfuyant dans la cuisine façon : « J'ai lâché Hiroshima, salut ! »

Je le regarde s'éloigner sans rien dire, tandis que mon père garde le nez dans son assiette. Je finis par dire :

— Je préfèrerais le faire louer.

Mon père ne bronche pas, mange son burger végé l'air pensif — et il est visiblement peu convaincu par l'aspect végé de la chose, comme d'hab'. Mais Pierre soutient depuis des années que sa galette de tempeh-peuh-bleh vaut un bon steak — et je suis navrée de le contredire.

— Comme ça tu pourras commencer ce fameux tour du monde que...  finit par dire mon père, sans parvenir à terminer sa phrase.

Mais je connais très bien la fin de cette phrase : « … que ta mère et toi aviez prévu de faire ensemble, mais tu pourrais quand même partir maintenant… même si elle n'est plus là. »

Je ne sais pas, Papa. C'était Maman l'aventurière, la femme courageuse, celle qui n'en faisait qu'à sa tête, celle qui savait toujours rebondir et se sortir de n'importe quelle situation avec panache… jusqu'à cette putain de maladie.

 

Me voilà quelques jours plus tard, sur la ligne 9 du métro, me préparant à descendre à Mairie de Montreuil. J'ai l'impression que ça fait une éternité que j'ai pas pris le métro dans ce sens-là, mais rien n'a changé. Toujours les mêmes visages un peu fatigués et déprimés, mais plus chaleureux qu'à Paris quand même : la population est bien plus prolo de ce côté-là du périph'. Paris vingtième, c'est devenu méga hipster. J'ai cette fameuse sensation de déjà-vu en sortant de la station, et en même temps je ne me sens plus vraiment chez moi. Je me revois pourtant en train de rentrer des cours, à compter mes quelques euros pour acheter de quoi bouffer au Royal Kebab. Ma mère aimait tellement leurs frites… et la sauce samouraï. C'est elle qui m'a transmis ça.

Je sors de la station, des odeurs familières qui me reviennent aussi… Il fait beau aujourd'hui. J'ai rendez-vous avec un agent immobilier dans l'ancien appartement de ma mère, dont j'ai hérité. En bas de l'immeuble, je tremble un peu. Je n'arrive pas à retrouver le Royal Kebab des yeux, et ça me perturbe. L'agent immobilier arrive. Une petite quadra rondelette qui prend des notes sur tout et rien sur un bloc, en suçotant ses ongles beaucoup trop longs et beaucoup trop roses. Elle porte aussi des lunettes autour du cou, retenues par une chaînette de faux diamants. La dernière fois que j'ai vu ça, c'était sur ma grand-tante Annette que j'ai vu une seule fois dans ma vie. Ça me perturbe aussi. J'écoute à peine la nana de l'agence pendant qu'elle me parle à un débit supersonique — à la parisienne — et qu'on monte les escaliers menant à l'appart'.

En poussant la porte de cet appartement tout vide, j'ai un haut-le-cœur. La nana passe de pièce en pièce en bavassant toute seule, je l'entends vaguement répéter le mot « cachet » — ce logement a du cachet, cachet, cachet… Je revois les mains tremblantes de ma mère, penchée sur le lavabo de la salle de bain, essayant d'ouvrir son flacon de cachets entre ses doigts grêles…

Me voyant pâlir, la quadra aux ongles roses m'interroge. J'ai l'impression d'être super éblouie. J'ai le vertige.

Deux secondes plus tard, je réalise que j'ai dégueulé sur les talons aiguilles roses de la nana de l'agence. Tiens, j'avais pas remarqué qu'elle avait assorti son vernis à ses chaussures. Ça me fait marrer. Je me sens mieux. L'agent immobilier ne partage pas mon enthousiasme, bizarrement. Pourtant, j'entends le doux rire de ma mère résonner à mes oreilles, sa voix en train de m'appeler Kenny car je vomis trop souvent — référence à South Park qu'elle ratait à chaque fois, car elle avait une super mauvaise mémoire des prénoms. Elle confondait Kenny et Stan, le gamin qui dégueule quand il est ému. Je corrigeais toujours ma mère entre deux salves de vomi, puis elle finissait par me comparer à Farrugia dans la Cité de la Peur, et je lui criais de me ficher la paix.

Ça faisait longtemps que j'avais pas pensé à tout ça. Ça me fait sourire.

À la fin de la visite, et après que la bonne femme a nettoyé ses chaussures dans les toilettes pendant vingt minutes au moins, je lui tends machinalement une paire de clés. Les clés de ce bien immobilier qui est censé m'appartenir… C'était bel et bien chez nous. Mais ça n'est plus chez moi désormais.

Je me retrouve sur le trottoir, à regarder un gamin courser un tout petit chien ridicule. Un teckel. Un saucisson sur pattes. Il est terriblement moche, presque pire que Bijou. Je ricane enfin malgré moi. Le vent d'automne souffle et j'ai un peu froid. J'aperçois le Royal Kebab, que je n'avais pas reconnu en arrivant. En fait, c'est devenu Kebab Santé. Il est devenu tout propre, les cuistots ont désormais une moustache de hipsters et des galettes sans gluten pour justifier la hausse des prix de un euro cinquante. Comme quoi tout change.

Les années que j'ai passées ici me paraissent si loin. Comme si c'était arrivé à quelqu'un d'autre que moi. Quelqu'un que je connais vachement bien mais qui s'est fait la malle ailleurs. Et qui m'a laissée comme un poids sur l'estomac, même si j'ai les épaules plus légères.
J'appelle enfin mon père et je lui annonce :

— Je m'en vais, au vent mauvais.

 

Quelques mois plus tard, voilà mon père qui m'amène à l'aéroport Charles-de-Gaulle pour que je prenne l'avion pour Montréal-Trudeau. Tudieu que la vie est bizarre. Il suffit de coucher avec un caribou pour vendre l'ancien appart' de sa mère défunte et décider de se casser outre-Atlantique pendant un an — car oui, quitte à partir, autant le faire vraiment — et de ne plus dormir pendant des jours et des jours pour constituer un putain de dossier de Permis Vacances-Travail. J'ai dû raconter toute ma life depuis dix ans, expliquer pourquoi le Québec c'est cool, pourquoi j'y serais amplement productive, puis je me suis fait doubler par soixante mille autres Français au bout de deux minutes sur le site Internet de demandes de PVT pété et surchargé, j'ai cassé mon stylo préféré, j'ai cassé mon imprimante en changeant l'encre, j'ai gueulé sur mon beau-père parce que j'y comprenais rien, j'ai bu trop vite du coca qui m'est ressorti par le nez et j'ai maugréé en regardant Gilmore Girls pour me détendre. J'ai stressé pendant des semaines interminables à harceler Louis-Antonin de questions et à essayer de contacter Charles-Henri qui a eu le bon goût de partir au Mexique et d'être injoignable, et finalement j'ai reçu une sacro-sainte lettre chérie qui m'autorise à siéger douze mois dans une cabane au Canada. Pour y trouver quoi ? Ch'ais pas, il paraît qu'il y a de l'emploi là-bas, peut-être que je pourrais faire femme-sandwich arrosée de sirop d'érable pour serial-killer à la manque, ou nourriture pour castor junior ou que sais-je encore. Il paraît que tous les Français y vont et ne reviennent pas. C'est évident qu'on se fait tous séquestrer comme esclaves sexuels de caribous assis dans leurs cerveaux et qu'on n'a plus envie de rentrer en Europe après. Il paraît qu'on s'y gèle sérieusement les miches mais c'est pas grave. D'accord, partir au mois de janvier à Montréal est peut-être pas l'idée du siècle, mais ça ira. Je crois. Je sais pas. Je me suis baladée chez Picard en minishort pour m'entraîner. Puis, les lumbersexuels auront bien de la grosse bûche bien calibrée à revendre à la maudite Française que je suis. Sinon, au pire du pire je me construirai un igloo dans la neige et je jouerai avec Petit Ours Brun jusqu'à l'arrivée des beaux jours. S'ils arrivent un jour. Winter is coming n'est-ce pas ? Mais qu'est-ce que je vais foutre là-bas ? Telle est la nouvelle question.

J'ai quand même récupéré l'adresse d'un autre cousin de Charles-Henri qui vit à Montréal. Histoire de ne pas finir gelée dans le fleuve Saint-Laurent — ouais, j'ai révisé ma géographie avant de partir. L'individu sympathique, nommé Édouard — à qui j'ai donc brièvement parlé virtuellement avant grâce à l'énergumène au prénom composé qui se planque pour échapper à mes questions « cool » — va m'héberger quelques temps, me montrer du pays… et accessoirement me mettre sur la voie de son cousin Jolicoeur. Mais très accessoirement. Enfin je n'ai pas osé aborder le sujet directement, pour être honnête. Je ne sais pas à quel point Édouard et Marc-André sont proches. Je ne sais pas si Édouard sait pourquoi je viens à Montréal. Si ça se trouve je vais trouver Marc-André tout nu dans un immense gâteau de bienvenue préparé par Édouard. Et si c'est le cas, c'est avec plaisir que je vouerais un culte éternel à Édouard et lui ferais des offrandes en nourrissons congelés pour le restant de mes jours.

En clair, je m'en vais surtout à l'aventure parce que j'avais bien besoin de changer d'air... et non pas pour « montrer ma carte du tendre » à un des meilleurs plans cul que j'ai pu connaître dans ma courte et chétive existence sexuelle.

Tandis qu'on poireaute à l'aéroport, Papa grignote des Skittles l'air nerveux et me demande :

— Ça va, pas trop nerveuse ?

Je lui ris un peu au nez et je lui fais un bisou.

— Merci.

— Tu vas me manquer, qu'il me répond, ce couillon-là.

Il va me faire chialer le vilain je le déteste.

— Me dis pas ça maintenant !

— Désolé. On se skype bientôt, hein ?

— Si tu veux on se fait un Skype là, genre je vais au kiosque à journaux en mode espionne et on s'appelle de loin ?

Il sourit. Je regarde l'heure : il est temps. Et ça me fend le cœur.

— Ramène-moi à la maison, Dad, je veux plus y aller.

— Mais non.

— Je flippe ma race.

— C'est bon signe.

Je lui donne un coup de poing mou dans l'épaule et lui demande :

— Tu passeras me voir ? Pierre peut venir aussi.

— Avec tous ces gens beaux ? Enfin bon, oui, il faut qu'on économise.

On se fait un gros câlin. Je traînasse ma petite valise bien remplie de conneries, je passe les portiques, je fais un dernier coucou :

— Tabernacle !

Et je le vois partir trop loin.

Tout un océan entre lui et moi, ça va être dur, putain. Je ne suis pas une fifille à papa ou rien, je le trouve souvent un peu trop gentil et je le voyais pas si souvent que ça, même si j'habitais à cinq stations de métro de chez eux. Mais ça me fait bizarre là, maintenant. Je ne suis jamais partie aussi loin toute seule. La dernière destination lointaine que j'avais faite vraiment solo c'était... Cherbourg pour aller voir ma grand-mère. En plus quoi, le Canada ?! Je ne sais rien de ce pays ! Et faut pas que je dise Canada aux Québécois sinon ils vont me trancher en lanières de bacon pour se faire un drapeau indépendantiste. Miam, bacon. Bon, j'ai au moins un objectif solide : voir un caribou. Enfin le véritable animal, je veux dire, pas l'autre avec son nom à coucher dehors par moins quarante et au comportement aussi volage qu'une feuille d'érable et qui met trop de « tu » dans ses phrases tout en trouvant les choses cool.

Je ne suis pas quelqu'un de cool, je sais pas prendre les choses à la cool, et je m'en vais donc au pays de la coolitude.

Au revoir, France !

 

 

Chapitre 3 : Comment je suis arrivée à Caribouland pour surgeler mes fesses de babouine et finalement croiser un musicien familier

 

Après sept heures de vol dans un low-cost trop étroit, avec un vieux qui a dormi sur mon épaule en bavant, tout en s'étalant sur les trois quarts de mon siège, plus un mioche de deux ans et demi qui a pleuré pendant tout le trajet car sa mère avait le malheur de lui répondre « non » à ses demandes à la con — je vous le dis, il devrait y avoir une clause spéciale sur les trajets aériens, on devrait placer les enfants dans la soute à bagages… ou mieux encore, on devrait avoir le droit de les balancer par le hublot quand on survole le Groenland. Ça aiderait à la surpopulation mondiale et ça dissuaderait les voyageurs de se reproduire, ce qui est quand même le mal de notre siècle.

Enfin bref, après ce long trajet bien relou, j'arrive donc à Montréal-Trudeau ! Les gens parlent tous avec l'accent québécois, j'ai l'impression que les panneaux de signalisation et les pubs ont aussi l'accent québécois, et ça me fait ricaner comme une benette. En arrivant devant les guichets de la douane, j'ai mon cœur qui fait un peu boum : vont-ils découvrir que je suis une incurable fumiste venue squatter leur sirop d'érable ? Vont-ils me prendre pour une terroriste prête à les assassiner à coups de fromage corse moisi ? Est-ce que ma coupe de cheveux post-sommeil laborieux type balai à chiottes va les effrayer au point de me refuser la porte du Québec ? Non parce que s'ils sont censés être tous beaux, ces Québécois, je ne vois pas pourquoi ils accepteraient les gueules de déterrée dans mon genre. D'ailleurs je me demande comment ils ont pu me filer un permis vacances-travail avec la photo d'identité de gardienne de prison que j'avais mise.

Malgré tous les efforts de Pierre, mes cheveux sont intenables en situation de crise — ni bouclés ni raides ni frisés, juste épais n'importe comment, l'indécision capillaire complète. Ils sont sûrement hors-la-loi dans le pays de la bogossitude à l'érable. J'arrive devant une première nana, qui me demande si je n'ai ni vin ni alcool ni fromage ou viande dans ma valise.

— Non, pourquoi ?

Pourquoi tu demandes pourquoi à une douanière ? Air suspicieux illico, elle me sermonne sur les règlementations en vigueur. Et soudain je réalise que j'aurais peut-être dû blinder ma valise de ces victuailles qui doivent valoir une fortune sur le marché noir québécois. J'aurais peut-être pu lancer une mafia du foie gras ou un truc de ce genre. J'aurais pu me faire appeler Don Camembert. Après c'est vrai que les mafiosi du coin sont censés être des gros bikers, des Hells Angels — si j'en crois mes maigres souvenirs tirés de l'article Wikipédia du Québec. Oh, des bikers québécois, y'a moyen qu'ils soient comme le beau gosse de la série Sons of Anarchy... En ce cas je veux bien faire passer du claquos de contrebande ou vendre mon âme au diable pour pouvoir chevaucher la… belle monture de Jax. J'en ai le moteur qui vrombit d'avance…  

Mais bref, en bonne bergère, je me dois de revenir à mes moutons et d'arrêter de regarder la douanière avec un œil vitreux genre je suis en train de fantasmer sur autre chose dans ma tête. La gardienne du Québec m'envoie vers d'autres guichets derrière des portes vitrées, où règnent un silence de plomb et une lumière un peu trop tamisée. Est-ce que je me suis fait griller dans mes futurs plans machiavéliques de contrebande fromagère ? Pourquoi je suis la seule à avoir été consignée dans cette pièce trop sombre ? Mes Converses couinent sur le sol ciré. Je ravale ce qui me reste de salive pâteuse et m'avance vers le seul type présent, assis derrière un guichet.

Il relève les yeux et me regarde : j'ai les genoux qui font des claquettes. Pas que le type soit effrayant, non.

En fait le type est méga beau, genre l'oeil bleu vert, lumbersexuel qu'a fait une pub chez American Outfitters ou je ne sais. Welcome to Canada.

— Bonjour, je viens chez vous ! je lance malgré moi.

Je glapis, je couine comme un petit cochon frétillant — en gros, je ris un peu en m'étranglant à moitié de honte devant mon bide intégral — avant d'ajouter :

— Pour... travailler...!

Je sors ma lettre d'acceptation du gouvernement canadien — qui s'il m'observe sur les caméras de surveillance, doit regretter amèrement sa décision de m'accepter dans leur contrée — et la tend au douanier blasé et insensible. J'ai soudain envie de lui balancer : « Pour toi, je ne suis qu'un numéro de plus, c'est ça ?! Sale caribou insensible de mes deux, vous êtes tous pareils, on vous ouvre les jambes et vous dites rien, mais dès qu'il s'agit de nous recevoir dans votre tabernacle de pays, vous oubliez toute politesse ! » Bon je réalise que oui, effectivement, je ne dois être qu'un numéro de plus à ses yeux. Un sacré numéro peut-être. Mais comment draguer un douanier ? Je devrais peut-être me faire passer pour une dangereuse criminelle afin d'avoir droit à un interrogatoire musclé… Ça, ou je devrais arrêter de regarder de mauvais pornos sur l'Internet.

Le beau monsieur me tamponne mon papelard — mais oui, tamponne-moi, grand fou — puis pianote sur son écran sans décrocher un seul mot. Peut-être qu'il est super timide et que je l'impressionne, ou que je lui rappelle un souvenir ému et lointain et qu'il n'ose pas me déclarer sa flamme ? Oh bon, ta gueule cerveau quoi. Le douanier agrafe un nouveau papelard sur mon passeport et me rend le tout... toujours sans rien dire. Je pense ma crétinerie est tellement aveuglante que ça lui a juste coupé la chique.

— Merci Monsieur ! dis-je, d'une voix de ménagère émoustillée qui vient de voir Harrisson Ford torse nu dans sa télé.

— Bienvenue, répond-t-il d'une voix totalement neutre.

— Merci ! Bonne journée !

— Bienvenue.

Alors de deux choses l'une, ou il est vachement plus accueillant que je croyais, ou il est bourré — quand je suis saoule je me lance parfois dans ce jeu affreux où je répète tout ce que les gens disent. Dernière option : il y a du jargon québécois que je n'ai pas saisi, va falloir que j'enquête là-dessus. Un dernier petit sourire crispé en bouche, je m'éloigne sous le regard du beau douanier… en évitant de réajuster la culotte qui m'est rentrée dans les fesses — ce genre de choses m'arrive toujours de manière impromptue et au pire moment.

Donc effectivement, l'accueil québécois est tout à fait à l'image de sa contrée : des gens beaux qui te snobent une fois qu'ils ont fait ce qu'ils avaient à faire avec toi, mais des gens beaux tout de même qui disent des trucs bizarres. C'est rafraîchissant.

Arrivée au niveau des tapis roulants, j'essaie de repérer ma valise — mon machin aux roues cassées avec un sticker Mickey Mouse qui date de la cinquième. C'est fou comme je déteste les arrivées à l'aéroport pour ça, pour ce moment précis où une petite vieille te bouscule en se collant au tapis car elle comprend rien, où les mioches qui n'en peuvent plus d'attendre choisissent précisément de se placer à cinq centimètres de ton oreille pour crier à deux cents décibels… pendant que toi, tu attends devant ce putain de tapis d'une lenteur abyssale en priant pour que ta valise n'ait pas été défoncée ou chopée par je ne sais quel énergumène à moins qu'elle ne soit en partance pour Tombouctou par erreur... Bref, je hisse mon bagage bien trop lourd qui m'écrase le pied, je sors prendre une navette pour aller en centre-ville — « Downtown » comme Édouard a dit — Édouard le cousin du cousin de l'autre cervidé, on se le rappelle.

Le nez dehors, je réalise : rafraîchissant, ce pays ? Sans nul doute : BORDEL JE ME LES GÈLE.

Alors oui on m'avait dit, il fait froid ici mais si tu te couvres bien la tête et les pieds tout va bien, et de toute façon tout se fait en souterrain et bla bla bla. On ne m'avait cependant pas prévenu que le froid, ici, il fait MAL. Comme une maîtresse SM qui a décidé de te gifler les cuisses avec des orties beaucoup trop fraîches et de surgeler ton jean pour te transformer en bout de barbaque en promo chez Picard. Vous avez déjà été dans un congélo géant réglé sur moins quinze ? Le Québec c'est la même en janvier. Oh putain de bordel de tabernacle.
Comme si de rien n'était, l'autre enfoiré de Murphy avec sa loi de merde décide de me confirmer sa théorie vicelarde en me balançant un gros pâté de neige dans la gueule. Comme ça, parce que c'est gratos l'emmerdement maximum, parce que la neige, ici, elle ne tombe pas par gouttelettes maigrelettes qui te mouillent vaguement le blouson, elle tombe en gros tas comme si Dieu ou n'importe quel être supérieur avait décidé de te faire manger le froid à pleine bouche pour te faire pleurer des glaçons.

Mais enfin le bus arrive, ouvre ses portes et déverse sa douce chaleur sur mon corps engourdi. J'hésite à rouler une pelle à la chauffeuse de bus, mais je pressens que ce n'est pas tout à fait dans les mœurs du coin. Même si les Québécois sont sympas, emballer une inconnue avec mon haleine post huit heures de vol, ça le fait pas trop je pense. Quoique si ça se trouve ça passerait : après tout, ils sont suffisamment malades pour faire la queue avant de monter dans le bus ! Ils font la queue par moins quinze et personne ne se double ou ne se bouscule ! Ils ont compris que les premiers arrivés à l'arrêt de bus doivent légitimement monter les premiers par la porte avant du véhicule… et même que la chauffeuse elle dit bonjour et elle te sourit ! De deux choses l'une : ou je suis tombée chez les Bisounours, ou ils sont tous sous acide. Enfin, c'est tellement étrange de croiser autant de gens civilisés, de ne pas se faire cracher ou hurler dessus parce qu'on traîne un peu la patte...

Je monte dans le bus et m'en vais bouder au fond telle une gangsta qu'a rien compris car Montréal est tout sauf une ville de gangstas — je veux dire, y'a qu'à voir la tronche de K-Maro. Mon vaisseau démarre, prêt à m'emmener vers l'infini et au-delà ! Je soupire d'extase un peu bruyamment, et j'ai même droit à des sourires complices de quelques Montréalais qui me voient faire. Genre je suis un être humain et toi aussi, et on peut se sourire même si on se connaît pas ? Trop bizarre, je ne sais pas si je vais arriver à me faire à tant d'humanités. Où sont passés les Parisiens désagréables qui te hurlent dessus ? Ils ne vont pas me manquer !

En entrant dans la ville, j'ai mon âme toute frétillante qui s'illumine en voyant les bâtiments se dessiner dans l'horizon neigeux... avant de réaliser que, mouais, Montréal c'est moche en fait. Entre le style bunkers gris moches des usines, énormes panneaux de pubs laides, et maisons en carton qui ne tiennent pas debout, heu. Mais la neige, la neige ! Qu'est-ce que c'est joliiii...

J'arrive chez le fameux Édouard à Hipsterland — comprenez le Mile-End, avec ses magasins remplis de… rien, genre en vitrine, t'as une chemise à carreaux, un animal empaillé — beurk — et un magazine de design, chaque article valant plus de trois cents dollars parce que c'est bio-équitable, sans gluten et antique —  datant des années quatre-vingt en somme.

Bref, dans un pseudo-loft avec briques apparentes qui, je dois le dire, a méchamment de la gueule, Édouard m'accueille avec un grand sourire et un grand câlin. Ah, j'avais oublié que les Nord-Américains ne sont pas trop bisous-bisous. Mais les hugs je trouve ça presque trop intime. Ça me fait toujours bizarre de percuter un autre torse avec mes nénés. En fait, j'aime avoir un périmètre de sécurité autour de moi, sauf si y'a du bon léchage à la clé.

Sinon Édouard, c'est un petit photographe, mais vraiment tout petit — je suis plus grande que lui avec mon mètre soixante-cinq. Il est aussi tout blond et tout rigolo. Il a un nœud papillon et des lunettes, bien sûr — uniforme de hipster oblige. Le voilà qu'il me lance d'une voix bien plus virile que prévue pour son gabarit :

— ‘Y fait frette en tabarnak !

Hein ? Hein ? Hein ? Et le voilà qui continue sur sa lancée :

— … Faque on va magasiner comme ça t'auras de quoi. Tiens prends la tuque à Judy, ça fera la job.

Fac de quoi quoi ? Tuc Soufflé ? On dit pas un job au fait ? C'est quoi cette réplique à la mords-moi-le-noeud façon ? Bon je sais pas pourquoi on doit mordre un noeud et de quel noeud on parle dans cette expression d'ailleurs mais bon. C'est qui Judy ? Au secours je comprends rieeeeen !

Allez ta gueule cerveau, continue de sourire et ne te fâche pas avec l'autochtone car il peut te foutre dehors par moins cent-quarante au soleil et que tu seras obligée de vendre ton corps au premier caribou hipster venu pour survivre, car même les ours ils ne voudront pas manger de ta chair surgelée — ils sont tous en train de pioncer pour l'hiver et ils ont tellement raison. Ça ou il se moque un peu de moi et force un peu son accent juste pour me dérouter — c'est ce que je ferais à sa place. ‘spèce de caribou fourbe va.

Je me laisse emporter jusqu'à un centre commercial, où je me sens en terrain nettement plus familier : le shopping — ou le magasinage comme il dit — avec les pubs qui te crachent à la gueule des slogans à te siphonner les neurones, les vitrines qui te font sentir comme un vieux boudin périmé et moche comparé à ces faces de cire taille trente-deux, de la techno dégueulasse en fond sonore à te faire saigner les tympans, et des fausses promos pour ruiner ton portefeuille déjà bien trop vide... Ouais, les magasins sont internationalement le Mal. Ils sont juste… encore plus gigantesques au Canada puisqu'il y a des magasins jusque dans leurs fameux souterrains — où je pourrais mourir si on m'y abandonnait car je serais incapable de m'orienter dans ces boyaux sans fond. Je vois bien la une des journaux : « Une maudite niaiseuse Française a été retrouvée morte d'inanition dans les souterrains, comme bien d'autres avant elle, puisque c'est notre piège habituel, c'est bien fait pour leur gueule. Faque Marc-André aura de quoi en tabarnak. »

Évidemment, je n'ai envie d'acheter que de jolies fringues très chères de la collection printanière — genre une petite jupe en velours toute douce rouge bordeaux, des petits talons de fifille colorés et assez originaux ma foi, un peu à la Londonienne... puis je regarde la tempête de neige dehors et je pleure toutes les larmes de ton corps. Rentre chez toi Jon Snow avec ton foutu hiver qui va pas s'en aller de sitôt. Devant mon désarroi et ma détresse neuronale, le petit Édouard vole à mon secours et choisit pour moi des trucs laids mais tenant très, très chaud. Du genre chaudasse comme une couverture du dernier catalogue Damart : attention Marc-André, me voilà ! Enfin lui ou un autre hein. On s'entend. Je ne suis pas là pour ça, ça ne fait pas du tout douze heures quarante-trois minutes que je me demande non-stop comment aborder le sujet avec Édouard. Pas du tout.

En tout cas, je ne pensais pas que mon choc serait plus climatique que culturel tiens. Ah ben oui ma bonne dame, en voilà enfin un pays où ça peut être utile de parler du temps qu'il fait car la météo, ici, elle te bifle un peu tous les jours en se marrant bien fort. Puis soudain elle t'inonde d'un soleil éblouissant, radieux ! Tu ne sais même pas comment c'est possible de passer de l'apocalypse hivernale au halo de lumière céleste qui fait scintiller la neige à te brûler les yeux, et du coup t'as l'impression qu'il fait délicieusement chaud par contraste. C'est comme nager dans du chocolat chaud tout moelleux... J'ai faim… Et même fringuée comme un bibendum obèse qui aurait décidé de se vêtir d'une doudoune taille américaine, je me sens légère... jusqu'à glisser sur une plaque de verglas et me retrouver les quatre fers en l'air rue Sainte Catherine, pendant que trois québécois, sincèrement inquiets (!) te demandent si ça va sans se moquer de toi (!!) et t'aident à te relever sans chercher à te piquer ton sac à main (!!!) Je penche vraiment pour la théorie de l'acide en intraveineuse. Ou la weed, c'est vrai que ça sent le cannabis partout dans les rues ici. Ça doit être une mesure gouvernementale pour calmer les gens. Bref, en attendant, en me relevant du trottoir gelé, je ne suis pas super détendue de la fesse pour continuer à marcher. Ça mouille et ça pique, mon cucul doit être en train de bleuir de douleur et de froid. Babouine des glaces, bonjour !

 

Bon et puis sinon Marc-André. Que sait Édouard là-dessus ? Il est censé être le cousin du caribou maudit. Parfois Édouard lâche le mot « cool » dans ses répliques et je frémis — pas seulement à cause du froid je veux dire. Peut-être que Marc-André lui a dit que j'étais cool. Qu'on avait passé une nuit cool. Peut-être que l'autre imbécile de Charles-Henri en a rajouté des caisses. Je ne sais absolument pas ce qu'ils se sont dit lors de la cousinade, j'ai juste contacté Édouard sur Facebook qui a accepté sans broncher d'héberger une demoiselle du vieux continent. Comment questionner subrepticement l'autochtone ? Je ne vois pas de bonne tactique. Enfin, je ne vois pas de méthode d'approche où je n'aurais pas l'air d'une grosse folle qui aurait changé de continent pour retrouver un type avec qui elle a couché un soir.

En même temps, je me demande si Édouard n'a pas une idée derrière la tête. Je veux dire, je peux pas croire qu'il veuille juste me rendre service en m'accueillant chez lui. Peut-être qu'il attend quelque chose de moi. Qu'il s'attend à ce que je sois « cool » avec lui ou avec « Judy » ? Eh. C'est pas ce à quoi je m'attendais. Je suis pas prête pour à faire du tricycle là, direct en sortant de l'avion. Je suis encore en plein jet-lag.

— Donc tu connais Marc-André ? me sort soudain l'étonnant petit homme au dîner le soir — enfin, ils appellent ça le « souper », à l'ancienne ! Parce que le dîner c'est le déjeuner et parce que le déjeuner c'est le petit déjeuner. Ils sont fous dans ce pays, vraiment.

— Heu...

Je passe du rouge au vert au rose au blanc. Benetton des émotions à la con. J'avale très lentement une fourchette de purée agrémentée de grains de maïs qui soudain me paraît avoir un goût très étonnant — la fameuse Judy, la nana d'Édouard en fait, a préparé un hachis parmentier chelou qu'elle a nommé « pâté chinois ». Mais il n'y a rien de chinois dedans, sauf si la viande utilisée est de la viande de chinois — et franchement le cannibalisme ça ne m'a jamais tentée. Bref, sortant des affres culinaires de mon cerveau dérangé, j'affecte mon air le plus dégagé — donc avec un bazooka qui me serait soudainement rentré dans le derche jusqu'aux oreilles — et dans un jeté de cheveux idiot — mais idiot, pourquoi j'ai fait ça ? — pour rabattre ma frange vers l'arrière, je me grattouille le front et je marmonne :

— ... Ouais.

Judy — blondinette anglophone qui est le clone féminin d'Édouard en fait — balance en riant :

— She knows him !

— You know something?! je réplique aussitôt, avec mon accent le plus franglais qui soit.

Je pense qu'elle met un peu de temps à comprendre ce que je raconte et je ne lui en veux pas : je parle anglais comme un vieux Briton qui aurait trois pancakes dans chaque joue et viendrait de les avaler en toussant dans son thé pour terminer sa phrase.

— Je peux te donner le numéro de son cell si tu veux, annonce Édouard.

Cell, genre comme le méchant de Dragon Ball Z ? Pourquoi je pense à Dragon Ball Z ? Faut dire que j'en ai bouffé du club Dorothée. Même si je n'aimais pas Dorothée, comme tout le monde. Voyant ma tête éberluée, Édouard ajoute :

— Son numéro de téléphone je veux dire.

Je réponds un vague bwofhofhofbwohouaisbwohbouaisbehcommetuveuxtabarnak, qu'il n'écoute pas vraiment car il est en train de vérifier le numéro avec Judy. Celle-ci me regarde d'un air malicieux et me dit un truc en anglais que je comprends comme :

— C'est marrant, t'es pas du tout le genre de nana avec qui il sort d'habitude.

Je ne sais pas comment le prendre. Compliment ? Pas compliment ? Marc-André sort-il avec des prostituées ukrainiennes faisant un mètre quatre-vingt d'habitude ? Ou avec des nanas plus calmes et plus gentilles qui ne déballent pas leur vie et leurs parties intimes au tout venant ?

Je prends le numéro du caribou fuyard noté sur un papier — eh, c'est plutôt old-school, mais mon téléphone marche pas super dans cette vaste contrée. Ma main est vaguement tremblante, du coup le papier tombe dans ma purée, je ricane de manière suraiguë — je crois que j'ai gagné quelques octaves depuis mon arrivée, effet Kisscool-cariboule j'imagine — je ramasse le numéro, il est presque illisible mais ça fera « la job » comme dirait l'autre. Je me retiens de prendre Édouard dans mes bras façon guenon hystérique, de taper mes fesses en chantant Girls Wanna Have Fun — et le remercie juste poliment.

— Bienvenue ! me répond-t-il.

Oh non, encore ce bug québécois avec le bienvenue qui ne s'arrête jamais…?!

— You're welcome! lance enfin cette intelligente et étonnante Judy et je commence enfin à percuter que ces bûcherons de québécois ont fait du pâté chinois anglais avec notre grammaire française. Eh bah bravo.

 

J'envoie quelques messages rapido à Alex sur Facebook pour lui raconter. Notre dialogue est des plus pertinents :

— Et alors tu vas l'appeler ? demande-t-elle.

— J'ai pas de téléphone.

— Tu peux appeler avec Skype, c'est pas cher...

— J'aime pas Skype.

— Tu vas lui envoyer un texto ?

— Les textos ça craint.

— Mais qu'est-ce que tu fais au Canada alors ?

— Je me gèle le cul. Littéralement. C'est assez unique comme sensation, tu devrais essayer.

— Je connais, j'ai fait du patin à glaces.

— Ouais c'est vrai j'avais oublié... Bref. J'ai fait ma part du boulot en traversant tout l'Atlantique, c'est à lui de se bouger maintenant, non ?

— Il sait même pas que t'es au Québec, non ?

— Faut que je te laisse, j'ai poutine.

— C'est une expression de là-bas ?

— … Ouais.

Connaissant Alex, elle serait fichue de me croire. Je change alors mon statut Facebook pour cette blague idiote et je résiste à la tentation de m'auto-liker — parce que quand même, j'ai un peu de dignité. C'est comme les gens qui rient à leurs propres blagues, je comprends pas. Après bon, il est vrai que quand je fais des blagues et que personne ne rit, pas même moi-même, les gens font une drôle de tête.

 

Je déploie des efforts surhumains pour me coucher à vingt-deux heures quarante-deux et me réveille sur le canapé à quatre heures cinquante-quatre. Foutu décalage horaire. En plus c'est dans ce genre de moment, quand il ne fait pas encore jour, quand je ne suis pas bourrée mais quand même très fatiguée, que je me mets à faire des bilans. Et attention sortez les violons les mouchoirs la Häagen-Dazs macadamia et tout le tralala. Mais là en fait non. Le canapé-lit couine un peu et… le lit d'Édouard et Judy aussi. Merde en tabernacle. Ils sont en train de pratiquer une activité qui violente mes chastes oreilles à cette heure indue. Ces murs sont en carton ! Non mais je suis là quand même, ils s'en fichent ? À moins que ça les fasse tripper ? Je sais pas j'ai rarement été d'humeur exhibo niveau sexe... Non en vrai c'est pas vrai, j'adore me balader à poil ou baiser la fenêtre ouverte. Enfin pas tout le temps. Pas quand j'héberge des gens quand même. Enfin sauf dans certains de mes fantasmes où j'héberge Ian Somerhalder de passage en ville tout en sortant avec le mec de Vikings. Mais quand même, forniquer avec une étrangère à côté ? Ces caribous sont trop confiants. Imaginons par exemple que je suis une fétichiste exhibo qui ne serait pas contre des plans à plusieurs. Ils auraient l'air con si je débarquais dans leur chambre avec du pâté chinois sur les nichons. Quoique ? Si ça se trouve c'est une stratégie. Si ça se trouve c'est trop des échangistes ! On en revient à mon idée de départ : ils ont bien voulu m'héberger car Marc-André leur a dit que j'étais « cool » ! Ce qui en langage de québécois veut peut-être dire : toujours fraîche de la culotte ! Ils ont quand même la fesse libérée ici malgré le froid polaire, c'est fou. Enfin on m'avait raconté qu'ils n'avaient pas trop de complexes, et si je m'en réfère au nombre de sex-shops au mètre carré — ou au pied carré, pourquoi ils utilisent le système métrique pour certains trucs mais pas pour tout au fait ? Est-ce qu'un pénis peut mesurer un pied ? Bref, effectivement ils ont l'air d'être assez portés sur la chose. Probablement un moyen de mieux passer l'hiver. Alors merde faudrait peut-être que j'aille voir Édouard et Judy par politesse ? C'est peut-être une coutume locale de partager la chère et la chair ? Oh c'est beau ce que je dis. Non mais faut pas déconner, je vais pas faire un plan à trois par politesse ! Je suis pas assez bien élevée pour ça. Enfin j'espère qu'ils ne vont pas me mettre dehors non plus. Bon ils auraient pu me demander plus clairement aussi. Je veux dire, le signal est pas forcément évident. Je ne suis pas au fait du langage de partouze québécoise en même temps. Peut-être qu'ils ont cru que j'en étais. Peut-être que j'ai envoyé des signaux sans le savoir ou que je me suis plantée dans mon franglais. Je suis trop « bienvenue » à mon goût-là. Eh merde en plus j'ai envie de pisser maintenant et je sais plus où sont les chiottes dans cet appart'. Eh merde. Eh merde. Arrête de gémir Judy, je m'entends plus penser et je songe soudain au caribou et ça me... turlututu. Faut que j'aille aux toilettes. Maintenant.

Je me lève dans le noir, je m'avance vers une porte, les râles sont plus forts par là, je déglutis — mauvaise direction je crois ! Je fais volte-face, je tourne en rond, je ne trouve pas les interrupteurs pour allumer la lumière, je me cogne le petit doigt de pied dans la table basse.

— Aïeuh ! Putain de tabernacle des deux...!

Et soudain les bruits s'arrêtent. Instant de flottement. Où est la lumière ? Faut que je retrouve le canapé mais j'y vois rien. Soudain fiat lux, et la lumière fut. Édouard apparaît en calbute, les joues rosies par l'effort. Je suis vautrée par terre dans ma chemise de nuit Snoopy trop courte, je me demande s'il voit ma culotte et feins l'air détendu.

— Tu cherches quelque chose ? me demande-t-il le plus gentiment du monde d'une voix pâteuse.

« Désolée, je m'échauffais pour le 69-levrette mais je me suis prise une table », aurais-je pu lui répondre, mais je murmure laconiquement :

— Toilettes ?

— Derrière toi.

— Oh.

Oh. Suis-je bête. J'y vais. Je ressors. Il est toujours là. Il sourit. Heu, il attend un truc de moi là ? Dois-je enlever ma nuisette Snoopy ? Mais non j'ai pas envie de passer à la casserole ce soir. Ça me ferait bizarre quand même, considérant que je connais intimement son cousin... P'têt qu'ils ont des points communs ? Oh ça suffit cerveau. Enfin il me sort :

— Je peux y aller ?

Toujours aussi godiche, je glousse et il doit bien se demander pourquoi j'ai l'air d'un gallinacé sous drogue alors que je le laisse passer. Je me renfonce ensuite six pieds sous terre dans ma couette, en espérant que ce canapé m'avale et me recrache en une personne socialement acceptable et intellectuellement fonctionnelle.

 

Assise sur le canapé, après avoir avalé un déééélicieux bagel au Philadelphia goût saumon fumé — mais c'est merveilleux, c'est incroyable, ça et le bacon par quintal, merci Montréal, merci, je ne pourrais plus jamais décoller de ce pays vu que je vais finir en surpoids au bout d'une petite soixante-douzaine d'heures — je recharge mon crédit Skype et reste pantelante devant mon écran. Je jette un coup d'oeil au numéro de Marc-André une fois, deux fois... Édouard passe dans mon dos... J'ouvre soudain mes mille onglets Kijiji Craiglist et autres « Le Bon Coin » du coin pour trouver une coloc' décente sans serial-killer. Édouard me demande où j'en suis de mes recherches, et si j'ai besoin d'aide. J'ai probablement raté le test d'hier soir, il veut me virer… Mais bon vu son ton, il a l'air de vouloir sincèrement m'aider ! Il est gentil en fait. En plus il a l'air enthousiaste au pieu, sa nana n'avait pas l'air de s'ennuyer... et donc ta gueule cerveau.

— J'ai trouvé une chambre sans fenêtre dans un demi-sous-sol, dis-je. Une autre annonce où je devrais garder « l'esprit ouvert » en échange d'un logement gratuit. Il y a aussi un type qui cherche un majordome tout nu à plein temps.

Édouard se marre :

— Bienvenue à Montréal !

Est-ce qu'il est en train de sous-entendre que je dois garder l'esprit ouvert chez eux aussi ? Ou bien veulent-ils me recruter en tant que majordame toute nue ? Ça se dit majordame ? Eh, ce serait rigolo. Mais j'ai pas le temps de lui poser ces milles questions passionnantes, Édouard se casse pour partir au boulot armé d'un très gros appareil photo. Souvent, quand je vois des mecs avec des gros appareils photos avec des gros objectifs, je me demande si c'est vraiment un besoin technique... ou si c'est comme avec les gros flingues, les grosses voitures, les grosses perceuses... Pourtant les cris de Judy ne font pas penser à de la compensation, à moins que ? À moins qu'il vaille mieux que j'évite de songer aux dimensions chibresques de mon logeur — un pied, deux pieds ? Oh non, quand même.
Ah, tabernacle de cerveau qui pense beaucoup au cul. Mais j'ai une explication : je suis freudienne ! Ma première année de psycho m'aura au moins servi à ça : à réaliser que le monde tourne pas mal autour du sexe même si au final, en pratique… ben je pratique pas tant que ça.

Je suis solo à l'appart', Judy est déjà partie en cours de son côté. Je prends un peu plus le temps de visiter les lieux et trouve leur pseudo-loft drôlement cool. Décoré à la hipster, avec des meubles de brocante, des photos classes prises par Édouard, des trucs faits en palette de bois, et des partoches de musique collées partout — Judy fait du violoncelle au conservatoire. La classe.

Moi, c'est vrai que je suis SDF à la recherche d'un mec qui m'a sûrement déjà oubliée tout en n'ayant pas vraiment envie de le chercher et devant aussi commencer une nouvelle vie... je ne sais pas trop comment. Je verrai demain pour les annonces d'appart', j'en ai marre.

Ah, faudrait que je me trouve un petit boulot peut-être. Je verrai demain aussi. Demain, ce jour où je serai intensément productive — ce jour qui n'arrivera jamais. Bah, j'ai qu'à « rester cool » et garder « l'esprit ouvert » au pire. Mais juste l'esprit en fait hein. Je ne m'ouvre pas à n'importe qui non plus, en vrai. Juste à des gens qui mettent un océan entre eux et moi, espérant ainsi ne plus avoir de comptes à me donner. Que nenni ! Mes aïeux, c'est mal me connaître. Je suis bien plus givrée que ça. C'est l'hiver, bon sang de bon soir !

N'empêche qu'il va trop flipper sa race, le Marc-André, si je le recontacte maintenant ?! Je vais avoir l'air d'une stalkeuse super creepy. Je suis obligée d'attendre un peu avant de l'appeler, sinon il va vraiment se dire que je viens à Montréal juste pour le séquestrer, l'épouser, lui faire des enfants ou je ne sais quelle autre chose horrible encore. Merde ! Je vais être obligée d'attendre je sais pas... un mois peut-être. Ouais, un mois c'est bien, un mois ça fait genre : « Je ne suis pas venue pour toi, j'ai pris mes marques, je maîtrise le tabernacle comme personne, je t'ai pas trop cherché, mais tiens je me suis subitement rappelée de toi, et « comme de par hasard », ton cousin m'a donné ton numéro alors je me suis dit, quisas, quisas, quisas. » Tout ça. Parce que si je l'appelle maintenant pour lui dire : « Eh salut, je suis lààààà viens dans mes bras ! » Ben ça va pas le faire du tout. Du tout. Je ne suis pas si en manque que ça d'abord. Enfin… Non, ce n'est pas pour lui que je suis venue d'abord. Pourquoi je suis venue dans une ville surgelée pendant un an ? Pour me refaire une vie tout ça. Alors il est vrai que j'aurais pu aller chasser du kangourou en Australie, ou boire du Bubble Tea à Singapour, ou même aller dans n'importe quelle autre ville du Canada hormis Montréal, mais pourquoi pas Montréal d'abord hein ? Ça parle français, j'ai un anglais à chier, je ne vais pas avoir trop d'efforts à faire mais un peu quand même, ce qui est un équilibre parfait.

Et puis ici ils mangent des pancakes au sirop d'érable et ils ont des myrtilles plus grosses qu'ailleurs. Voilà. Mes raisons sont purement culinaires.

Mais quelle idée à la con de venir ici, franchement.

Me promenant dans la rue emmitouflée de mon superbe nouveau manteau, et m'émerveillant de cette neige qui me gèle le bout du nez, j'erre malgré moi jusqu'au quartier des universités montréalaises. Oui, comme ça, au pif. Je n'ai absolument pas fait exprès d'aller là-bas après avoir traversé l'immense parc du Mont-Royal tout blanc de neige — eh, c'est super beau je dois dire, avec la vue sur la ville pleine de brume et de cristaux. Bon par contre j'ai mal aux pieds et j'ai des stalactites plein le nez. Tiens, d'ailleurs, j'ai même croisé des coureurs sur le Mont-Royal — oui, les gens font leur jogging par moins quinze ici sans sourciller. C'est vraiment la quatrième dimension.

Bref, je ne vois pas pourquoi j'irais délibérément voir le quartier estudiantin où il y a aussi des hôpitaux, sous prétexte que je connais vaguement quelqu'un qui s'intéresse aux neurosciences. Non, tout ceci est bel et bien de la coïncidence absolument fortuite. Regardant autour de moi, voyant tous ces gens sous leurs quinze écharpes et marchant en Moon Boots à pas d'escargots gelés pour ne pas se vautrer, je me dis soudain que ça ne doit pas être évident de draguer l'hiver, et qu'en même temps, c'est le moment idéal pour étaler sa beauté intérieure à la face du jour et se faire aimer pour ce qu'on raconte, pas pour ce qu'on montre.

Ou bien c'est une bonne excuse pour me foutre à poil dès que je croiserai un radiateur, en mode : « Ouh mais il fait une chaleur torride ici comparé au froid de l'hiver dehors, vas-y étale-moi ta peau d'ours, et je serais ta queue de castor que tu enduiras de sirop d'érable. » Faut pas que j'oublie d'aller goûter la queue de castor d'ailleurs — c'est le nom d'une grosse pâtisserie sucrée je crois, pas le véritable animal. Je ne sais pas si ça se mange le castor tiens ? C'est pas le genre de queue qui me fait envie de toute façon. Oh ça va cerveau hein.

Enfin, dans ce quartier universitaire, je peux aussi tout à fait m'étaler une nouvelle fois sur une plaque de verglas parce que je pense à trop de conneries en même temps. Ce qui ne manque pas de faire rire les mini-Québécois qui traînent, et qui sont aussi moqueurs que les mini-Français pour le coup. Sales bêtes. J'aime pas les gosses et qu'on vienne pas me la ramener avec le coup des horloges biologiques, façon être à l'heure c'est ringard, j'ai encore au moins quinze ans devant moi pour éventuellement envisager de me poser l'hypothèse d'une question si jamais la suggestion d'une envie me prenait sachant que la survie de l'espèce, elle peut parfaitement s'en tirer sans que des Aliens aient à grossir dans mon utérus. Puis de toute façon, bientôt les imprimantes 3D nous permettront d'imprimer des enfants. Ou des robots. Et ce sera encore plus cool d'avoir des robots en progéniture, on pourra les programmer pour être sympas et être intéressants, ça nous changera des gosses hurleurs et moqueurs — au fait, en Québécois « gosses » c'est l'équivalent de « couilles » il paraît, hihihi !

Penser aux enfants me fait toujours déprimer. En plus il fait froid, je suis solo et je connais personne à des pieds carrés à la ronde. Je veux un nouveau chez moi cool sans chiottes sur le pallier, sans couple modèle-mais-échangiste-sans-l'assumer qui baise dans la chambre un côté, un job sympa… et un câlin, snif. Je vais manger un énorme muffin au Starbucks local, ça fera la job en attendant — je commence à m'habituer au parler autochtone n'empêche, ça fait peur en tabarnak. Putain d'estie, la Québéquitude ça vous gagne comme la montagne.

 

Rentrant chez moi, je me regarde dans une glace et découvre le sosie de la marmotte Milka qui aurait fait une overdose de chocolat et aurait fait cryogéniser sa tête. En clair, je suis rouge et bouffie. En plus, je porte des sous-vêtements pseudo-Damart du Québec. Totalement prête pour aller choper du caribou des glaces. Je suis sûre que Marc-André ne me reconnaîtrait pas avec cette tronche.

Ayant probablement pitié de ma pauvre âme, Édouard et Judy m'annoncent triomphalement qu'ils ont des places pour un super concert d'un groupe qu'ils aiment beaucoup. Ils sont sûrs que je vais adorer. J'espère que c'est pas de la gigue québécoise, j'ai pas eu le cœur de leur dire que les paroliers locaux n'ont pas vraiment transcendé mes sens. En fait, je ne comprends jamais rien à leurs paroles. On dirait quelqu'un qui chanterait en yaourt en français avec deux trois relents belges suédois. Mais non, apparemment le groupe qu'on va voir c'est du blues rock, ils me font écouter quelques morceaux… et je dois reconnaître que ça a l'air sympa.

On arrive dans un bar, dans ce fameux quartier plus français que québécois nommé le Plateau — en clair, les hipsters de cette partie de la cité ne sont pas anglophones comme au Mile-End, mais parlent avec l'accent « cul-de-poule » français. D'après les Québécois on parle comme ça, avec un ton monocorde, des toutes petites bouches en Duck face et un air dédaigneux. C'est pas une description si éloignée de la populace de Saint-Germain-des-Prés en fait.

Le bar s'appelle le Quai des Brumes, sorte de petite taverne sympathique toute en longueur avec des masques incongrus au mur et de la bonne bière. Des gens s'installent sur scène, le bar est plein à craquer. Édouard et Judy ont l'air tout excités, j'essaie de partager leur enthousiasme mais je ne sais pas feindre la béatitude. Il est vingt heure trente et je ne rêve que d'une chose : une tisane et un bon plumard. Je n'ai pas viré octogénaire avant l'heure, c'est juste à cause du décalage horaire. Et l'hiver aussi. En plus, j'ai déjà en temps normal des difficultés à manifester mon contentement de manière décemment acceptable. Soit c'est un rictus façon Droopy — c'est souvent la tête que je fais sur les photos de famille par exemple — soit je sautille comme une puce qui aurait trouvé une poche de sang humain, et c'est assez moche à regarder. Le Québec n'est pas encore prêt à me voir dans cet état-là.

Soudain les musiques s'éteignent. Des types arrivent sur scène. Le chanteur se présente, bla bla bla. Il présente aussi ses camarades, bon. J'ai toujours eu un petit fétich' sur les musiciens, le guitariste est pas moche… Mais soudain.

Mais soudain.

Marc-André Jolicoeur est le batteur du groupe.

Oh putain de tabernacle d'estie de mes deux de sa race maudite.  

Oh les cons de caribous.   

Je regarde Édouard et Judy qui applaudissent à tout rompre.

Oh putain. Marc-André est neuroscientifique ET musicien.

Oh putain. Marc-André est là.

Est-ce que ça se fait de grimper sur scène et de lui rouler une grosse galoche là, ici, maintenant, tout de suite, avant de l'attraper et de le lécher partout en backstage ? Non ça se fait pas je crois. Zut de flûte. Pourtant y'en aurait des trucs à faire dans cette taverne québécoise avec des baguettes de batteur et des masques. Je sais être créative. J'aime la musique. J'aime avoir le rythme dans la peau. Bam, bam, bam… Je bois ma bière d'un trait histoire de chasser ces quelques pensées grivoises et idiotes de mon esprit plus que fertile, mais je me sens encore plus chose qu'autre chose.

Je n'entends même pas la musique. Comme une niaiseuse, je ne vois que lui sur scène. Il est bon batteur, il a une bonne énergie, il a le cheveu qui s'agite. Les yeux fermés, en transe. Ce con ne m'a pas dit qu'il jouait de la batterie ! Sinon je pense que je l'aurais séquestré en France à tout jamais. Saloperie de caribou qui vous chavire le cœur en un coup de baguette bien senti. Ou plusieurs coups même. Comment ça je suis obsédée par les baguettes ? J'aime quand ça cogne au fond de moi, c'est tout.

Le concert me paraît à la fois interminable et super rapide. Il me semble que tout se passe au ralenti jusqu'au moment où la musique s'arrête et qu'un présentateur, à l'accent à couper au couteau bien sûr, annonce que le groupe a fini de jouer. J'ai déjà oublié quel était le nom du groupe. Édouard et Judy m'entraînent par le bras pour aller dehors… dire bonjour à Marc-André, qui fume une clope… Bonjour… Bonjour… Merde… Je répète quoi dire dans ma tête, qui reste désespérément vide tandis que mon cœur menace de me sortir par les trous de nez tellement il bat fort. Faudrait qu'il se calme, faudrait appeler un vampire pour le vider de son surplus de sang. Genre le vampire de Twilight. Ah mais il a dit qu'il préférait Fifty Shades… Mon dieu. Je ne suis qu'une pauvre petite chose tremblante et ridicule, bouffie par l'hiver. Il va juste se marrer en me voyant et me dire qu'il ne s'est jamais rien passé entre nous, que j'ai tout imaginé, ou que c'était son jumeau démoniaque désormais sous les barreaux qui a voulu squatter mon vagin le temps d'une nuit. Ou que je ne suis pas si « cool » que ça.

On arrive enfin dehors. Marc-André est de dos et…

Une nana. Dans son dos. L'enlace. Puis l'embrasse. Il sourit.

Il a une nana.

Enfoiré de caribou de mes deux.

Je vais le buter.

En attendant je vais aller décéder ailleurs. Édouard et Judy sentent le petit malaise. Édouard va quand même voir Marc-André. On attend un peu plus loin avec Judy. Édouard échange quelques mots avec l'infâme caribou traître. Ce dernier croise enfin mon regard —l'espèce de pouffe rousse bombasse accrochée à son bras. Encore un moment de flottement. Je lui souris façon « Je suis constipée mais je vais t'arracher la tête avec mes dents quand même, trou duc' ! » Ce qui, bizarrement, l'effraie un peu. Il détourne la tête pour reparler à Édouard.

— I'm sorry… We did not know… me dit Judy.

Ils ne savaient pas ? Ben ils auraient pu mieux se renseigner ! Bordel de bordel de poutine de mes chiottes ! Sur un faux prétexte, je vais aux toilettes pour pleurer comme une demeurée, ravaler ma fierté, me refoutre du baume à lèvres sur ma bouche desséchée et
ressortir drapée dans ce qu'il me reste de fierté. Puis je m'avance d'un pas conquérant vers Édouard et Marc-André :

— Bravo pour le concert ! Je savais pas que tu jouais dans un groupe ! C'est cool !

Je claque brutalement la bise à Marc-André, limite je lui fous un coup de tête. Puis je me tourne vers la rouquine :

— Salut ! Moi c'est Manon ! Enchantée !

Je crois que j'ai l'amabilité de Sarko sous coke. Je lui fais la bise aussi à la grognasse, même si ça m'écorche un peu les joues. Elle me répond qu'elle s'appelle Tatiana. Elle fait une tête de plus que moi, son parfum sent super bon et on dirait une princesse irlandaise. Je la déteste tellement. Mais moins que Marc-André, qui ne sait pas trop où se mettre.  

— Ah, c'est toi Miss Kebab ? me dit soudain Tatiana en riant.

De… de… pardon ? Encore un couple de jeunes libérés ?

— Oui c'est avec elle… que j'ai mangé un kebab… marmonne Marc-André, blanc comme un linge.

— Et c'était bien cool ! j'ajoute, assez perfidement je dois dire.

Je ris jaune. Même si je dois avoir le teint vert en ce moment même. Mais Marc-André a bien capté la référence je crois. Tatiana nous regarde un peu bizarrement.

— On va y aller… lâche ce lâche de Marc-André en prenant sa fausse Emma Stone par la main.

Évidemment la demoiselle acquiesce. Évidemment elle dit oui à tout ce que dit son mec, évidemment elle a un teint parfait, un sourire Colgate, une petite robe mignonne, un manteau élégant par moins douze sans avoir l'air de souffrir du froid une seule seconde... Forcément, quand on s'éloigne au bras d'un charmant batteur-neuroscientifique torride au pieu, on n'a pas grand-chose à craindre de l'hiver.  

Je veux rentrer chez moi et oublier tout ça.

Mais auparavant j'exige une halte pour un double burger nocturne avec poutine, halte amplement approuvée par mes chers hébergeurs, tout de même bien navrés pour moi.

— La dernière fois que je l'avais vu, ils étaient plus ensemble ! me dit Édouard.

Lui et Judy sont mignons et gentils quand même, je les aime bien. Je finis leur bière et leur annonce :

— J'aurais bien couché avec vous deux ce soir pour me consoler.

Rien que pour voir leur tête, ça valait le coup de la sortir celle-là. J'explose de rire comme une grosse imbécile tandis que mes camarades me balancent une avalanche de frites dans la tête.

 

 

 

Synopsis

(révèle l'ensemble de l'intrigue)

 

Lors d'une soirée aussi barbante qu'arrosée, Manon (24 ans) n'imaginait pas finir au plumard avec Marc-André (26 ans), un beau Québécois chercheur en neurosciences, ayant une passion secrète pour les romans à l'eau de rose et les notices de médicaments. Manon atteint l'un des meilleurs orgasmes de sa vie avec lui, et lui lâche quelques confessions autour d'un kebab sauce samouraï : la jeune femme a perdu sa mère — et meilleure amie — il y a deux ans, et vit comme un ermite dans son minuscule appart' à Paris. Ce qu'elle fait dans la vie ? Elle est heureuse de vivre malgré le drame, et c'est déjà pas si mal.

Marc-André doit repartir au Québec dès le lendemain de leur idylle aussi fugace qu'intense. Manon réalise vite que sans sa mère, plus rien ne la retient à Paris. Elle a besoin d'un changement radical…

C'est donc avec un permis vacances-travail en poche que Manon débarque à Montréal, ville foisonnante, joyeuse... et glaciale en janvier ! Via des contacts communs, elle retrouve la trace de Marc-André... Mais il a une petite amie !

Le choc est rude. Manon reprend du poil de la bête avec ses nouveaux colocs montréalais : Cathy (22 ans), brunette tatoueuse et polyamoureuse, ainsi que Boris, 27 ans, un métalleux criminologue assez flippant. Le duo improbable entraîne Manon à l'Igloofest, un festival de musique électronique unique. Dansant sous les étoiles en combinaison de ski, Manon rencontre Matt, un massothérapeute craquant... et peu farouche.

Les choses se compliquent lorsque Marc-André refait surface : il a rompu avec sa nana ! Un texto envoyé au mauvais québécois, un « dérapage vaginal » plus tard, et voilà Manon à nouveau dans de beaux draps avec Marc-André. Elle n'arrive pas à choisir entre Matt, le massothérapeute aux mains divines, et Marc-André, le chercheur en neurosciences aussi bizarre qu'irrésistible. Quand les deux hommes se rencontrent à une improbable soirée anti Saint-Valentin, Manon frise la catastrophe…!

Prise dans ses déboires amoureux, Manon néglige sa nouvelle amie Cathy. La tatoueuse pète les plombs le soir de son anniversaire… Cathy a en réalité un père alcoolique qui la rend malheureuse. Elle cache son mal en enchaînant les excès. Manon s'en veut de ne s'être aperçue de rien. Elle réalise que ses amitiés sont bien plus précieuses et importantes que ses déboires amoureux.

Manon se recentre sur elle-même : elle rompt avec Matt, dont elle n'est pas amoureuse, et renonce à Marc-André en apprenant qu'il doit partir pour Boston. Enchaînant les petits boulots, elle réalise que ce qu'elle aime, dans la vie, c'est voyager. Cela lui vient de sa mère... Aussi Manon, libre comme l'air, décide de réaliser le rêve de sa mère : faire un road trip sur la route 66 aux États-Unis.

Quelques temps avant son départ, Manon assiste à un concert d'Arcade Fire. Dans un tourbillon de couleurs et de paillettes, Manon croise… Marc-André. Instant magique pour des retrouvailles inattendues… et brèves. Manon ne renoncera pas à son voyage ; Boston n'est même pas sur sa feuille de route. Manon était partie au Québec pour retrouver un potentiel « chum », un petit ami ? Elle a trouvé mieux : une « belle gang de chums », un groupe d'amis solides qui lui ont redonné confiance en elle.

 

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