Mes yeux se ferment

redstars


Six heures. Réveil sans alarme. Je me suis couchée tôt je crois, hier. Je ne me rappelle plus très bien, je ne me rappelle jamais très bien... Si. Si, si, je me suis couchée tôt. C'est fou de dormir autant, quand j'y pense. Faut dire aussi qu'avec tous les cachets que je prends, mon corps finit toujours par m'abandonner. Par s'écrouler. Je m'allonge alors dans un état semi-comateux, je me calfeutre dans la couette, dans ma polaire, et je m'endors assez facilement même si je pense le contraire. Après tout, je n'invente rien, le psychiatre lui-même me demande comment je fais pour tenir debout avec tout ce que je prends. Il doit oublier que c'est lui qui signe mes ordonnances.

 

Oui. Bref, on s'en fout. Donc oui, je me suis couchée tôt. J'ai lu un peu avant de dormir, pour tenter de fuir les angoisses et les idées noires qui naissent avec la nuit. De celles qui ont un goût âcre et terreux dans la bouche, de celles qui glissent dans l'œsophage comme de la mélasse, tout doucement. Le ventre alors se tord sur lui-même, l'angoisse occupe chaque cellule, et le cœur ralentit, devient noir, l'apnée accélère le processus. La gorge nouée, on ne sait plus quoi faire, désarmé, pour retrouver un semblant d'espoir. Les idées alors sont tristes et fixes, morbides surtout. Elles chuchotent, murmurent et mentent. Elles susurrent que tout peut s'arrêter, que les crises de panique ne seraient plus, que mes interrogations existentielles prendraient fin, que la douleur se tairait pour de bon. Elles mes disent dans le creux de l'oreille que j'ai le droit de m'endormir à jamais, m'écraser en bas, là-bas sur les rochers, disloquée peut-être, mon sang glissant avec le torrent.

 

Enfin bon. Au réveil, étrangement, ça va mieux. Bon, ça ne dure jamais très longtemps, mais une pause n'est jamais de trop dans cette guerre civile.

 

Je me lève sans faire de bruit, j'escalade la balance. Cinq cent grammes de perdu, je jubile et vais noter les chiffres dans un petit carnet bien caché, parce que je ne suis pas censée retomber là-dedans, dans ces troubles qui m'auront déchirée onze ans durant, dans ces troubles dont je m'étais sortie… sauf qu'en ce moment, c'est le seul truc que j'ai auquel me raccrocher, une sorte de but, d'objectif. Je ne veux pas perdre dix kilos non plus. Mais ça me fait du bien de prendre un peu moins de place, chaque jour. Je calcule tout, et pourtant je déteste les maths. Et mon estomac qui réclame déjà. Qu'il cesse de se faire des illusions. Ah oui, je me rappelle. J'ai vomi hier soir... En douce, en silence, pour ne surtout pas être entendue. Comme une mission secrète, comme dans Alias, parce que je ne sais pas pourquoi, je me suis relancée dans cette série que je regardais adolescente – il y a quinze ans, putain.

 

Opération café. Un gros mug de café avec quatre sucrettes, pas une de plus, pas une de moins. Une clope. Un deuxième café, une deuxième clope. Lancer Never Grow Old des Cranberries. Cette chanson est si douce au réveil. Elle apaise et enveloppe comme un châle en cachemire. La nuit ne s'est pas encore allée. Mais celle du matin est plus supportable que celle du soir…

 

Je ferme les yeux, réalisant que je ne sais pas de quoi sera faite ma journée. Je suis un fantôme, en réalité, je erre un peu à droite, à un peu à gauche, dans cette bulle que tous tentent de percer. Je fais semblant de vivre un peu, pour ne pas faire de vagues, pour maintenir les apparences. J'assure un service minimum, je parle un peu, j'écris un peu, même si ça n'a plus aucune qualité littéraire ou que sais-je. Je fais un peu semblant, mais au fond, je m'isole de tout, et de tous...

...Là, dans mon silence agrémenté de mélodies légères, et accompagnée d'une solitude que j'aime de plus en plus, force d'apprendre, jours après jours, à la connaître…


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