METRO Boulo Dodo

Loumir

Carnet de voyage 2 - Ballet de pieds

La bouche m'avale tout rond et me recrachera 3 stations plus tard.

Ce matin, j'ai pu m'assoir. C'est rare. L'angle de vue en est changé, tout au fond du wagon mes yeux en plongée balayent le sol.

Place Guichard ! Le calme règne au ras du plancher. A l'observer avec attention, une nuée, drôle de mot en ce lieu confiné, de pieds qui semblaient d'abord très immobiles s'anime. Il y a là bien campés, deux pieds arrimés qui ne bougeront pas un cil à l'ébranlement de la rame, j'en mettrais mon pied à couper puis un autre, aisé, botté d'un cuir de qualité, qui à n'en pas douter s'offre les services d'un bon chausseur. Et celui-là qui fait sa coquette sale, sa botte sophistiquée, toute strassée n'a pas vu le cirage depuis belle lurette, j'ai envie de le gronder. Et celui-ci qui s'impatiente, un mouvement saccadé l'agite, pour un peu on aimerait le calmer.

Ces pieds d'hiver, biens couverts, dénués de sensualité, sont un peu tristes, résignés peut-être.

Sauf celui qui s'est caché derrière un autre insignifiant. Il est menu, se moque des frimas, déshabillé d'un escarpin mordoré au décolleté plongeant qui lui découvre la naissance des orteils. A son côté, un pied musicien bat la cadence, adagio man non troppo. Je fredonne, quand élargissant le champ j'aperçois deux baskets blanches, ponctuées de touches rouges et noires, viriles indéniablement. Ce serait peu remarquable si ne leur faisaient face, deux pas plus loin, presque les mêmes, féminines et toutes noires avec une pointe de blanc et de rouge. Ying et Yang.

Est-ce une coquetterie du hasard ? je me plais à penser qu'elles chaussent des pieds amoureux dont on dirait, tout attendri, qu'ils ont trouvé chaussures à leurs pieds. Je cadre serré. Elles sont l'objet central de ma photo sur toile de fond en camaïeu de noirs, bruns et gris et insolentes, explosent d'une belle vitalité.

Saxe Gambetta ! Elles sortent du champ. L'arrière-plan fugitivement flouté réacquiert sa terne réalité, la photo était mouvante et éphémère.

Jean Macé ! A mes pieds de jouer, qu'ils me guident sans y penser à ma destination.

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