Microfiction #1
manon
“C’est à dire que je me suis toujours sentie écoutée vous voyez… Je n’ai jamais eu ce problème d’attention dont souffrent tant d’enfant. Ce passage difficile à l’adolescence, ce moment tant redouté où les parents lâchent prise. Moi, pour moi, ça a toujours été. Je veux dire, ça a toujours été avec mes parents. Ce n’était ni trop, ni pas assez. Toujours ce qu’il fallait. Vous voyez? Même dans mon enfance la plus reculée. Tout, toujours tout allait bien. J’avais ce petit coin, dans la campagne, derrière la maison, où je jouais à lancer des cailloux sur les nénuphars. J’avais l’impression que c’était des chapeaux de grenouilles géantes, des chapeaux oubliés, perdus. Et qu’un jour, je toucherais un chapeau sous lequel il y aurait toujours un de ces batraciens chimériques. J’étais persuadée que ce jour-là, je tomberai sur un crapaud, qu’il me demanderait de l’embrasser, et qu’il deviendrait mon prince charmant. Vous voyez, ce genre de connerie qu’on raconte aux gamines pour qu’elles trouvent une raison de vivre. Et puis j’ai commencé à laisser tomber les crapauds, les nénuphars et les cailloux. Je suis entrée au collège, où la solitude et d’autant plus pesante, que le temps vous fait prendre réellement conscience des choses qui vous entourent, de chaque seconde qui s’écoule. Chaque seconde à fixer ce mur de pierres, à en examiner silencieusement et imperceptiblement chaque recoin. Je n’avais que ça à faire, de regarder le mur. Regarder les autres était une torture, comme quand on vous met devant un éclair au chocolat et que vous êtes au régime. Le temps passa encore, je voyais venir la fin du collège. Les professeurs ne se plaignaient pas de moi. Je participais, parfois je ne disais rien, mais il n’y avait rien de vraiment étrange dans mon comportement. J’étais une bonne élève. C’est tout. Parfois ils oubliaient même mon prénom. Et j’étais devenue la plus forte, la reine de ceux qui regardaient le mur. Je rêvais que cela devienne une discipline olympique de se souvenir de chaque millimètre carré de mur. Cette grosse pierre à ma droite avait beaucoup plus à me dire que mes petits camarades. Je n’allais pas souvent vers eux, mais quand j’y allais, ils me jetaient des cailloux, comme au nénuphars. Peut-être qu’ils espéraient trouver une princesse sous ma robe délavée. Peut-être que j’étais leur crapaud à eux, sous mon nénuphar. Je ne sais pas si j’en souffrais, mais parfois je pleurais, toute seule. Quand vous pleurez, les gens viennent vous voir, pour savoir. Et quand ils savent, ils s’en vont. Peu importe l’âge. Et puis de toute façon, les enfants sont cruels entre eux. Ils n’ont pas l’hypocrisie des adultes. Ni cette auto dérision derrière laquelle on peut se cacher quand on est vexé. Je crois qu’à cette époque j’étais toujours vexée. Je ne me souviens plus tellement, et puis je ne sais pas si je veux me souvenir. Vous voyez? Maintenant, quand j’y repense, j’ai l’impression que je vivais dans un océan de coton, qui me séparait de ce qui m’entourait. Comme un cocon, plus ou moins protecteur, plus ou moins rassurant. Comme si, un vide d’air, un vide de quelque chose, une fine couche de néant me séparait du monde. J’étais dans un autisme permanent. Je le suis toujours. Les bruits forts me faisaient tellement peur, et me font toujours peur. Je ne savais pas comment réagir face aux gens. Je ne savais pas quand il fallait que j’arbore un sourire, ou quand il fallait que je me taise et demeure neutre. Je me sentais perdue, dans un univers qui m’agressait. Parfois j’ai toujours cette impression d’être perdue dans mes émotions, mais j’ai appris à sourire, et à m’exprimer. J’ai appris à savoir montrer que je suis heureuse, ou triste. A ne pas juste le ressentir. Enfin je crois, parfois j’ai du mal, et on me reproche d’être une personne trop exigeante, jamais satisfaite. Je n’en fait pas exprès, s’ils savaient… Vous imaginez? A l’époque, cela ne choquait personne, ni les parents, ni les enfants. J’étais la petite qui restait seule dans son coin pour les parents, parce qu’à tous les coups, les miens de parents ne devaient pas faire leur boulot, devaient me battre. Peut-être même que j’étais traumatisée. Parce que je ne courrais pas partout, ne souriait pas autant que leur gosse. Parce que je ne hurlais pas, et parce que dès que je me retrouvais ailleurs, au lieu d’être excitée et de tout casser, je m’asseyais et j’espérais que ma maman allait bientôt venir me chercher. Pour les enfants, j’étais une attardée mentale, et il fallait me le faire savoir, me le faire entrer dans le crâne, à coup de cailloux et de verbes indélicats. Mais mes parents ont toujours été là. Même si je ne leur en ai jamais parlé. Je ne voulais pas les déranger. C’était ma vie à moi, pas la leur. Même petite, je mettais une barrière entre la vie de famille, et la vie sociale. C’était différent, ça ne se mélangeait pas. Et puis j’ai grandit, encore, et encore, j’ai appris à vivre en communauté, avec des gens autour de moi. Qui me soutenait ou me crachait dessus, parfois qui m’oubliait. Je n’étais pas mieux. Ce n’étais pas mieux. J’étais différente. C’était différent. Mon cocon m’enveloppait toujours, avec une distance rassurante. Je me cachais derrière, j’avais l’air moins fragile. Certains pensaient même que j’étais une grande gueule, une fille extravertie, exubérante, parce que tout chez moi était exacerbé. Avant je ne savais pas être du tout. Maintenant j’étais trop. Au final, j’en voulais à mes parents, de m’avoir trop aimé sans remarquer ce qui n’allait pas. Cet autisme dans lequel je m’étais perdue, comme une forêt si effrayante. Le monde de dehors m’est toujours hostile, même si je le supporte moi… Ils auraient du le voir, du s’en apercevoir. Je n’ai jamais invité aucun ami chez moi en 20 ans. Jamais personne. Je n’ai jamais été chez qui que ce soit, ou très rarement, et je fut prise de terribles crises d’angoisses. Même maintenant. Pourquoi est-ce que je suis si angoissée? Pourquoi est-ce qu’ils ne s’en étaient pas rendu compte, que je n’étais pas pareille?… Vous voyez…?
Elle se leva et s’approcha de la fenêtre. Des larmes coulèrent, silencieusement, solennellement.
“- Mais là vous savez quelle attitude vous devez avoir… puisque vous pleurez…”
Elle ne dit plus rien. Et demeura silencieusement. Quand la psychologue ouvrit la porte, et fit sortir sa patiente, elle savait qu’elle ne l’a reverrait plus. Mais elle ne pouvait rien dire de plus. Et que dire de plus. Cela faisait déjà bien trop longtemps qu’elle s’était accrochée à la vie dans l’adversité. C’en était fini de cette peine trop lourde et inexprimable… C’en était fini…
bien
· Il y a environ 14 ans ·Remi Campana