Miou sous les toits 3

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Un cocon oriental dans le ventre de la ville.

 

Dans les feux de la nuit, elle courait. À grandes enjambées, féline, elle esquivait les obstacles et se précipitait dans son refuge, son toit caché sous les étoiles, sa mansarde où se dessinaient ses rêves les plus fous. Elle arriva, essoufflée, devant la porte ruisselante de lumière qu'elle ouvrit après avoir saisi le digicode. Le portail en bois brut refermé, elle s'affaissa dans un soupir sur la première marche de l'escalier qui s'entortillait autour du vide comme un haricot magique. La jeune fille jeta un œil aux boîtes aux lettres que le concierge remplissait régulièrement après passage du facteur. Certaines étaient couvertes d'étiquettes et d'autocollants en tous genres, d'autres affichaient « pas de publicité, merci », et puis il y avait la boîte inutilisée depuis longtemps, cassée et jamais réparée ; enfin, il y avait celle de Madame Renée, la petite vieille du 3ème étage. L'étudiante s'attarda longuement sur cette boîte aux lettres puis elle ouvrit sa besace, en sortit une pochette en carton rouge d'où elle tira une enveloppe en papier kraft. Celle-ci ne portait aucune inscription si ce n'est un kanji sachi qui signifie « chance » en japonais. L'étudiante déposa sa lettre dans la boîte de Madame Renée puis monta lentement l'escalier-haricot magique. À chacun de ses pas, on entendait le grincement du bois ; à chaque grincement, c'était un souvenir qui s'échappait sans bruit de ces marches mille fois montées et descendues. Elle arriva au 4ème et dernier étage, ouvrit la porte de l'unique appartement de ce palier et pénétra dans son antre. Le plancher craquait un peu. Elle alluma la lumière – celle-ci éclaira une pièce principale aux murs recouverts de dessins et photos aux inspirations diverses, avec une certaine inclination pour l'art asiatique. On pouvait reconnaître une copie du Lac de Suwa dans la province de Shinano du célèbre Hokusai, çà et là étaient accrochées des photos du Mont Fuji ou de torii, ces grandes portes en bois rouges qui séparent le monde tangible du monde spirituel, et quelques lanternes et lampions de papiers flottaient, suspendus au plafond par un fil de nylon. L'atmosphère était envoûtante et prêtait au lieu l'aspect d'un cocon isolé du reste du monde. En face de la porte d'entrée, il y avait celle de la chambre : repère mansardé où s'empilaient livres, enveloppes, papiers divers et photographies du monde entier, découpées dans des magazines ou développées chez le photographe. Dans sa tanière enchantée, elle était reine d'un monde dont elle calligraphiait les contours, élevait les frontières et qu'elle sillonnait de ses aspirations les plus profondes. Tout y avait son importance. Chaque symbole, chaque dessin, chaque mot. Le chaos apparent des choses dissimulait un ordre dont elle seule détenait le secret. Ici, juste à côté de son futon, son carnet attendait indolemment de nouveaux messages. Là, un grelot gravé séjournait entre deux tasses vides au fond desquelles s'ennuyaient des feuilles de thé séchées. Elle conservait toujours au moins un mug du soir précédent à côté de ce grelot sur lequel étaient inscrits les kanjis qui signifient kinoo, « hier » en japonais. Elle considérait ce vieux thé comme un témoin d'hier, alors il devait rester un jour de plus avant d'être jeté. La jeune fille s'assit sur son lit et ouvrit son journal. Elle chercha un tube de colle dans sa trousse et fouilla dans une poche de sa besace pour en extraire une photographie découpée dans un journal. On y voyait un clocher majestueux, trônant dans un ciel zébré d'éclairs. En dessous, en guise de légende, il était écrit : « Clocher, cime de pierre sous le plafond du monde ». La comparaison avait amusé la jeune fille. L'image de ce monument, solide et rude, contrastait avec la fragilité des cimes exposées à l'orage. L'étudiante appréciait les métaphores qui étaient à priori insensées. En vérité, l'insensé l'attirait, métaphore ou non. Après ce collage, elle rangea son tube Uhu et, du bout de la plume de son Waterman factice, elle commença à écrire. Lorsqu'elle eut fini, elle signa « Miou » avec un cœur. C'était sa marque de fabrique.

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