Missio

Soda Pop

(ELA : TOME II - Chapitre 6)

Je suis toujours dans le brouillard ?

Ouais, de plus en plus, même. Tranquille... Broyé sur le plancher hostile par la masse terrible de l'ivresse qui me neutralise.

 Je ne vois plus, je n'entends plus, je ne pense plus.

Alors je te continue mon histoire abracadabrante.

 * * *

      Un mois s'écoula après cette cardinale rencontre, sans que j'eusse la moindre nouvelle de l'homme au monocle cerclé d'or. 

Au cours des jours qui suivirent, le Vieux maugréa beaucoup et bava si fort sur le régime en place qu'un nouveau limogeage le concernant me parut inévitable. Il fustigeait les chimériques projets du Cardinal qui, à son âge et occupant un tel poste, se laissait endormir par le blabla d'un aventurier borgne, et croyait encore aux fées ! Il clamait qu'on ne confie pas de grandes responsabilités à un bouffon toujours prêt à souffler dans le premier cotillon venu pour racoler la populace. Il ajoutait bien d'autres choses moins bienveillantes et je m'efforçais de le calmer d'une boutade. Et nous nous remîmes au travail…

La tâche qui m'était alors assignée était d'aider les moines copistes nouvellement promus à  recopier les anciens canons et règles de l'église.

Curieux de nature, je remarquai que mes jeunes collègues  effectuaient leur travail à partir de copies et  non des manuscrits originaux. J'allai donc voir l'abbé Urbain et lui fit remarquer que si quelqu'un avait fait  une  petite erreur dans une copie, elle allait de ce fait, se propager dans toutes  les copies ultérieures.

Le Vieux me répondit textuellement :

 - "Cela fait des siècles que nous procédons ainsi, que nous copions à  partir de la copie précédente, mais ta remarque est très pertinente, mon  fils.  Aussi j'irai vérifier moi-même les originaux dès demain."

  Le lendemain matin, il descendit donc dans les profondeurs du sous-sol du monastère, dans une cave voutée où étaient  précieusement conservés les  manuscrits et parchemins originaux.  Cela faisait des décennies que personne n'y avait mis les pieds et que les scellés  des coffres étaient intacts.  Il y passa la journée entière, puis le soir, puis la nuit, et ce, sans donner signe de vie !

  Le temps passa et l'inquiétude grandit à tel point que je me décidai à aller voir ce qui se passait. Je descendis et trouva le vioque complètement hagard, les vêtements déchirés, le front ensanglanté, se cognant sans relâche la tête contre le mur de pierres.

Je me précipitai alors, et demanda :

  - " Père abbé, que se passe-t-il donc ? Mais que vous arrive-t-il  mon Père ? "

- " Aaaaaaaaaaaaaahhhhh... mon Dieu, les cons mon Emile !!!!  Quels CONS !!!!...QUELLE BANDE DE CONS !!!!… répondit le vieillard. Mais comment ont-ils pu être si CONS ???????

  C'était…… vœu de CHARITÉ... mon Emile... et pas de CHASTETÉ !!!!!!!!!!  Mais faut-il être con, nom de Dieu ! »

 Urbain accouchait de 80 piges, t'as qu'à voir l'arnaque !

Depuis ce jour, nous avons donc rectifié nos  vœux d'une belle vitesse…

       Au bout d'une semaine enfin, et après qu'il eut passé un agréable week-end entre les bras (et les jambes) d'une donzelle élégante et salope à souhait, il oublia l'étrange proposition cardinale pour se consacrer à ses préoccupations professionnelles. Je fis de même.

       Et puis, un matin, comme je m'apprêtais à quitter notre abbaye pour une balade champêtre, Aykut Ch'Tidhir étincelant comme un calice fraîchement astiqué, frappa à la porte. Il me salua militairement et me remit un parchemin aux armoiries Chrétiennes. Je trouvai, à l'intérieur de celui-ci, un mot, du Cardinal Claudian, ainsi libellé : 

 « ELA- Emile Lion d'Aquitaine -  est prié de se conformer aux instructions ci-jointes et de les garder rigoureusement secrètes, y compris vis-à-vis de sa hiérarchie. Il devra me tenir personnellement informé des résultats de cette mission. »

L'usage de la troisième personne donnait de la gravité au message et pesait comme une promesse de menace.

Outre le saint message, je retirai de l'enveloppe un billet de chariote en first class pour El Paso (Texas) via Matamoros (Mexico) un papelard de location de diligence et de rafiot à mon nom, validé chez « Sixt Rent a Wagon » agence de l'arrêt au port à Matamoros, sur les rives du Rio Grande ; un bout de parchemin de sentiers consacré à cette partie basse des Amériques comprise entre Matamoros et El Paso, avec un cercle noir tracé à la plume d'encre d'échine sur ce morceau de carte et une adresse codifiéedans la marge, en regard du cercle, avec, sous l'adresse, l'avertissement suivant :  May- 17th- 980- à 04 coucous P.M… Une bourse de mille écus amérindiens complétait l'envoi.

Mon Seldjoukide assistait à ce dépouillement avec un maximum de discrétion. Lorsqu'il me vit replacer tout ce méli-mélo dans l'enveloppe, il murmura :

      — Pas di message en ritour, missié Emile ?

      — Non, faites dire au Cardinal que j'ai pris bonne note.

 C'est ainsi que je mis le pied dans l'aventure la plus fantastique de toute ma pauvre vie…

(à suivre)

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