Moi, Dominique, chercheur, historien, aide-bibliothécaire...
Dominique Capo
Lorsque j'étais employé à la Bibliothèque Nationale en tant qu'aide-bibliothécaire, la configuration des lieux était entièrement différente. En fait, la Bibliothèque Nationale se décomposait en plusieurs édifices disséminés aux quatre coins de la capitale. Je ne les ai pas tous fréquentés, bien entendu. Les trois principaux vers lesquels mes pas m'ont mené en dehors de mes de l'Université de Jussieu. C'est aussi à proximité de ces deux bâtiments qu'existait un magasin de jeux de rôles/wargames où j'allais régulièrement à la même époque. La Bibliothèque Nationale – enfin, son édifice principal -, lui, se situait rue de Richelieu ; non loin de la place de l'Hôtel de Ville, de la rue de Rivoli, et du musée du Louvre ; accompagné du musée des Arts Décoratifs, dans lequel j'ai aussi travaillé quelques mois auparavant. Et enfin, il y avait la Bibliothèque de l'Arsenal. Laquelle se trouvait entre la place de la Bastille et le pont de l'Arsenal.
Pour l'anecdote, c'est en se rendant à l'Arsenal, qui n'était pas encore une bibliothèque, afin de rendre visite à Sully, qu'Henri IV s'est fait assassiné en 1610. Et au 19e siècle, devenu bibliothèque, se lieu a été présidé par Chateaubriand. Enfin, plus récemment, la Bibliothèque Nationale a été dirigée par le célèbre historien Jean Favier. Je ne l'ai jamais rencontré. Mais je sais que c'est lui qui supervisait la Bibliothèque Nationale à l'époque où j'y étais employé, et où j'y étais également chercheur en histoire des civilisations, des religions, de l'ésotérisme, et des mythologies.
Bref, comme je l'ai déjà expliqué dans d'autres textes, je me déplaçais quotidiennement au sein de ces trois bâtiments dédiés à la Bibliothèque Nationale. La Bibliothèque Sainte-Geneviève, je m'y rendais généralement tandis que les autres fermaient leurs portes à 17h. En chemin, dans le métro, ou en attendant que les livres que j'avais commandé me parviennent, je me plongeais dans les œuvres de Lovecraft. Comme il s'agissait de nouvelles, je n'avais aucun mal à les interrompre pour me perdre dans le monceau d'ouvrages de référence à ma disposition. J'y demeurais jusqu'aux alentours de 21h30 ou 22h ; 22H étant son heure de fermeture. De toutes les annexes de la Bibliothèque Nationale, c'est celle qui clôturait ses portes le plus tard. Ensuite, épuisé par des heures penchées à décrypter livres, fascicules, opuscules, traités, ou périodiques, je rentrais chez moi. Je mangeais, tout en regardant la première émission sans « prise de tête » que la télévision diffusait. Ce n'était pas très difficile à trouver. Je mangeais, je me changeais. Puis, j'allais me coucher et m'endormais presque aussitôt. Avant de me réveiller dès 7h du matin pour une nouvelle journée de labeur intellectuel.
La Bibliothèque Nationale rue de Richelieu, elle, c'est celle où je me rendais le moins souvent. En fait, j'y allais en compagnie d'une amie qui préparait une thèse sur certains aspects méconnus de groupes ésotériques de la seconde moitié du 19e siècle. J'ai déjà raconté dans un autre récit, ou dans un fragment de mes mémoires, de quelle manière j'ai fait sa connaissance. Comment, liquéfié d'oser aborder une jeune femme qui me plaisait, cette tentative s'est avérée être un calvaire émotionnel pour moi. Et ce, même si ensuite, les choses se sont bien déroulées ; y compris lorsque je lui ai, plusieurs mois plus tard, avoué l'attirance que j'avais pour elle. Comment elle m'a expliqué qu'elle avait déjà un compagnon. Cependant, nous sommes dès lors restés les meilleurs amis du monde. Nous nous retrouvions de temps en temps pour prendre un verre ensemble, ou pour diner ensemble. Nous discutions de nos travaux respectifs. Je crois que c'est l'une des meilleures périodes que j'aie jamais vécu dans ce domaine. Elle était véritablement mon alter ego intellectuel.
D'une gentillesse et d'une culture fantastique, d'une beauté qui me faisait battre le cœur, j'ai refoulé mes sentiments passionnés pour elle, afin de me concentrer sur ce que nous pouvions bâtir ensemble d'une autre manière. J'avoue sincèrement que ce genre de relation dans la réalité me manque parfois. Comme un vide immense que cette sorte de personne que j'ai fréquenté durant mon séjour à la Bibliothèque Nationale, a laissé depuis en moi. Différent que celui que mon petit frère Aymeric a lui aussi laissé lorsqu'il est décédé dans son accident de voiture. Mais assez proche, d'une autre façon.
Enfin, en ce qui concerne la Bibliothèque de l'Arsenal, c'est celle où j'étais employé en tant qu'aide-bibliothécaire. J'y travaillais à mi-temps. Ce qui me laissait assez de marge pour mes autres activités de l'époque ; et notamment pour les nombreuses parties de jeux de rôles auxquelles je participais régulièrement aux quatre coins de la capitale. Sans compter celle que j'organisais à mon domicile le vendredi soir, et qui se terminaient souvent vers 4h ou 5h du matin. Une fois par mois, j'avais pour obligation de travailler le samedi à la Bibliothèque. Ce jour-là, je ne dormais qu'une heure ou deux, avant de devoir me préparer et partir en métro à la Bibliothèque de l'Arsenal. Le pire, c'est que le samedi y était un jour calme. Donc, je passais plus de temps à la table que m'avaient réservés mes supérieurs pour que je puisse mener mes propres recherches en Histoire, Mythologie, etc. qu'à renseigner les lecteurs qui venaient y consulter des ouvrages indisponibles ailleurs. Mais bon, je n'avais pas à me plaindre de leur indulgence, même si certains de mes collègues voyaient d'un mauvais œil ce mélange des genres.
Il est vrai que, pour quelques-unes des personnes avec lesquelles je travaillais, il était inadmissible que je sois à la Bibliothèque de l'Arsenal, à la fois en tant qu'aide-bibliothécaire, et à la fois en tant que chercheur. Toutefois, comme mes supérieurs me soutenaient dans ma démarche, ils n'osaient pas trop en faire état. Or, vu les visages d'enterrement qu'ils avaient lorsqu'ils étaient obligés de me porter mes livres lorsque j'y venais en tant que chercheur, il n'y avait pas besoin de mots pour comprendre le fond de leur pensée.
Car, du fait que je travaillais à la Bibliothèque de l'Arsenal à mi-temps, et que mes horaires étaient organisés mensuellement, je savais quand-est ce que je pouvais m'y rendre en « lecteur ». Pour cela, j'avais obtenu une carte de « lecteur ». En effet, on n'entre pas à la Bibliothèque Nationale comme cela. Il faut être étudiant, chercheur, universitaire, etc. Et un jour, au début de mon emploi, j'avais expliqué à mes supérieurs mon intérêt pour cette discipline. Ils m'avaient accordé une carte de « lecteur » avec joie. Et celle-ci m'avait ouvert les portes de l'ensemble de bâtiments de la Bibliothèque Nationale dispersés dans Paris.
De fait, après avoir mangé un sandwich, je revenais à la Bibliothèque de l'Arsenal par la grande porte, et j'y demeurais de 14h à 17h en tant que lecteur.
Vous n'allez peut-être pas me croire, mais lorsque je m'y rendais pour mon travail officiel d'aide-bibliothécaire, j'étais toujours heureux, décontracté, apaisé. Je sais que bon nombre de gens vont travailler sans enthousiasme, voire, avec une pointe d'exaspération. En se disant qu'ils auraient certainement quelque chose de plus intéressant, de plus passionnant, de plus divertissant, à faire. Eh bien, moi, j'y prenais chaque jour un extrême plaisir. Je m'y sentais à ma place, dans mon élément, en accord avec moi-même, et la personne que j'aspirais à être. Mon plus grand regret est de ne pas avoir pu poursuivre dans cette voie après trois ans. En effet, bien que j'aie passé le concours pour y être admis définitivement, j'étais sur une liste d'attente. Et mon nom n'a jamais été à la place qui m'y aurait admis en tant qu'aide-bibliothécaire pour le reste de ma carrière. En même temps, si j'y avais été fermement admis, aujourd'hui, je ne serai pas l'écrivain qui rédige ces lignes.
En tout état de cause, entre mon emploi, mon travail de chercheur, les parties de jeux de rôles auxquelles je participais ou que j'organisais, j'avais une vie bien remplie. Je ne la regrette pas, bien qu'elle ait été parsemée de nombreuses zones d'ombres, de nombreuses déchirures, de nombreux tourments qui m'ont marqué au fer rouge à tout jamais. En même temps, comme vous le constatez avec l'extrait de catalogue décrit ci-dessous, c'est au cours de cette époque que je me suis plongé à corps perdu dans mes recherches historiques, ésotériques, mythologiques, religieuses.
Elles n'ont plus cessé depuis. Elles ont fait de moi – partiellement du moins – l'homme que je suis désormais.
Les références qui accompagnent cet extrait de catalogue – je n'ai pas tout mis, loin de là -, sont les « cotes » bibliographiques liées aux différentes bibliothèques où j'ai consulté ces ouvrages. Elles sont différentes en fonction de celles-ci. Car ces Bibliothèques possèdent d'innombrables secteurs d'investigations. Et ces cotes se rattachent à un secteur ou à un autre en particulier. De fait, elles sont spécifiques. Je me souviens que je les connaissais par cœur à ce moment-là, lorsque je parcourais leurs couloirs et leurs étages à longueur de journée. C'étaient de véritables labyrinthes, possédant des rangées de salles, de corridors, de passages, dont les murs croulaient sous les étagères et les myriades de livres. J'ai même parfois tenu des manuscrits tels que ceux que l'on voit dans « le Nom de la Rose » par exemple, entre les mains. C'étaient de véritables œuvres d'art. Les toucher, les caresser, les feuilleter avec délicatesse et précaution m'émouvait énormément.
Pour les photos de livres d'Histoire qui suivent, ce sont les livres que j'ai lu à cette même époque, puis ensuite. Ils sont, eux aussi, divers et variés. Je voulais vous les montrer, pour que vous vous rendiez compte de vos propres yeux des recherches titanesques, monumentales, qui ont été les miennes durant des années. Car il y a toujours des aigris, des persifleurs, des détracteurs, qui mettent en doute l'honnêteté et la rigueur de mon travail. Ainsi, ils pourront constater par eux-mêmes de la véracité de mes dires. Et, si après cela, ils viennent encore dire que je suis un usurpateur, que j'ai les chevilles qui enflent, ou autres billevesées, qu'ils en fassent autant. A ce moment-là, après avoir consacré vingt ans de leur vie à des études d'une telle ampleur – examinez les photos de pages manuscrites du classeur ouvert qui accompagne ce texte -, nous en reparlerons. Je ne pense pas qu'il y ait b beaucoup de gens qui aient mis tant de temps, d'énergie, de passion, de concentration, d'intellect, de curiosité, etc. pour en faire autant. Si ce n'est, bien entendu, des historiens, universitaires, chercheurs, dignes de ce nom. De toute façon, je n'ai pas besoin de leur approbation pour savoir ce que j'ai fait. Si je le montre ici, ce n'est pas pour me justifier ; c'est juste pour partager un peu de ce que je suis véritablement avec mes lecteurs et lectrices quotidiens, réguliers, ou épisodiques.
Quant aux autres, si je puis m'exprimer ainsi : qu'ils aillent au Diable…