Mon bois
nono
Six ans après, je me souviens encore parfaitement de ce jour où tu me parlas d'elle pour la première fois. L'été commençait à nous chauffer de ces premiers rayons de soleil. Les livres et cours étaient déjà rangés dans les placards et l'air chargé de l'odeur particulière des vacances.
Nous nous étions retrouvés dans ce bois séparant nos deux maisons. Ce même bois qui deux années durant avait abrité nos longues discussions d’adolescent. Là même où plusieurs fois nous nous étions pris pour les Rois. La petite barrière nous séparant, symbole de ce qui déjà se mettait entre nous. la haine, peut être même le mépris qui, à ce moment, n'était que le prémisse de ce que nos sentiments deviendraient par la suite.
Je fixe alors une feuille verte d'un arbre, l'insecte qui y a élu domicile. Je joue l'indifférente. L'insecte s'envole. Je le suis du regard jusqu'à ce qu'il se perde au loin. Mon air détaché ne trompe personne. Je parle d'un garçon qui m'aurait séduit et dont aujourd'hui je ne sais plus rien. Cet homme n'a pas d'importance. Ce qui compte alors c'est de te blesser comme tu as essayé de le faire en me parlant d'elle. Je ne sais d'ailleurs pas si je suis touchée par cette nouvelle. Je suis à vif depuis longtemps en ta présence. Du sang coulant sur mon corps rouge-chair ne se verrait plus. La blessure se perdrait au milieu de toutes les autres.
La distance sciemment mise entre nous, le ton froid de nos échanges semblent encore factices. Désormais nous ne seront plus les même. Les personnages ont changés. De l'amant est né l'ennemie. Mais nos textes sont encore mal appris, le scénario bancal et les rôles imparfaitement maîtrisés.
Je m'imagine, en silence, m'approchant de toi, te tenant dans mes bras. Essuyer tes larmes qui alors couleraient sur tes jolies joues roses d'enfant. Puisque des enfants nous en sommes encore; malgré les faux airs d'adulte que l'on se donne. Mais alors de cette étreinte rêvée naitrait le prochain coup de poignard, la prochaine blessure. C'est certain car il en a toujours été ainsi entre nous. Qui serai l'auteur de cette trahison? Qui panserait sa plaie en nourrissant sa rancoeur? Voilà les seules choses que l'on ignore.
Nous restons donc à raisonnable distance. Incapables cette fois de raviver la petite flamme qui se meurt. Nous craignons trop la brulure. Celle qui laisse des marques, des cicatrices qu’il faudra cacher aux autres toute sa vie. Aucun de nous ne trouvera le courage et la force de prendre un tel risque. Déjà marqués sur des superficies trop grandes, trop profondément. La prochaine blessure nous perdrait pour le reste du monde. Et nous sommes tout les deux bien trop jeunes et bien trop curieux.
Toi et moi avons déjà atteint le plus haut de nos souffrance. Les batailles passionnées ne peuvent plus être. Les guerriers ne sont déjà presque plus vivants. Ce bois témoins de nos guerres, nos tirs à bout pourtant, sera abandonné de nous deux. Ce jour là, on déposera les armes à nos pieds. Mais je sais qu'à ta ceinture tu gardes un petit quelque chose de blessant au cas où. Je le sais car j'ai, également, toujours sur moi de quoi reprendre la bataille si il le faut. Tu ne peux en avoir fait qu’autant.
Toi et moi nous sommes fait du même bois. De celui qui sépare nos deux maisons. Et désormais, nos deux vies...
Qu'y a t'il eu après?
J'ai repris mon souffle, respiré à nouveau tout en perdant l’odorat.
Retrouvé l'appétit et perdu le gout.
Je suis devenue ce que l'on attendait de moi.
Une étudiante avec ce que cela comprend de travail et de fêtes alcoolisées.
Une fiancée. Un joli couple avec tout ce qu'il faut en soutient et complicité.
Une fille joyeuse qui embrasse son père et câline sa mère.
J'ai appris à faire rire mon frère et consoler ma soeur.
Je suis devenue fière.
Mon sang à cessé d'être acide, il s'est mis à couler plus lentement dans mes veines.
C'est surement cela le bonheur.
Une mélodie lente et paisible qui se répète à l’infini.
Il m'est arrivé de me réveiller en sueur, un cris coincé dans la gorge.
Je ne suis peut être pas faite pour ce bonheur...
bien
· Il y a plus de 14 ans ·Remi Campana