Mon jardin idéal

anabalina

Mon jardin idéal est surmonté d’un toit couleur de ciel. Toujours nuageux. Avec, aussi ; la lumière éclatante de la fin de l’orage. Qui y plonge. Et qui s’y déverse.  Presque rouge. Toujours.

Mon jardin idéal est retenu par des murs. Des murs. Très hauts. Gardiens de pierre immémoriaux. Il est limité par eux. Il est contenu. Il est prisonnier.  Vibrant d’un désir fiévreux de se s’étendre. De se répandre. De se libérer de ses veilleurs silencieux. Et immuables.

Mon jardin idéal est ponctué de cris d’oiseaux. Cris perçants, cris acérés. Cris glaçants pour l’aventurier qui se perd. L’aventurier qui ne sait pas : écouter.

Mon jardin idéal est parsemé de plumes étranges. Des plumes bleus et des plumes vertes. Des plumes éparses. Et qui éblouissent les yeux trop fermés. Des plumes si chatoyantes qu’on raconte qu’elles sont tombées, un jour, du collier d’une reine. Et que les oiseaux, jaloux, cherchent à s’en emparer. Toujours.

Mon jardin idéal est baigné d’une brume liquide. Qui coule sur la peau sur les plumes sur les fleurs. Et qui embrase le tout d’une aura larmoyante. Déversant dans le cœur de celui qui ne sait pas sentir une substance mortelle.

Mon jardin idéal est tapissé de vert. De vert profond, de vert sauvage, de vert impénétrable. Du vert d’il a longtemps. Et du vert qui vient de loin. Du vert obscur qui serpente au fond des forêts, au rythme d’une pulsation sourde et immémoriale. Et aussi, de vert tendre. Parfois. Brusquement. Au détour d’un sentier. Mais le vert tendre se cache. Il ne se montre pas. Il survit timidement sous le vert des forêts. Il a peur, de se dévoiler.

Mon jardin idéal abrite un ancien puits. C’est un puits qu’on dit sans fond. Et seule la Lune s’y reflète, quand les nuages le tolèrent. Le seau en bois qui surmonte le puits se balance doucement. Parfois plein d’eau et parfois vide. Il apaise mon esprit. Il est comme un souvenir. Ce puits est bien dissimulé. Il est rare que je le trouve.  Ou que je l’aperçoive.C’est quand il le veut bien qu’il se révèle à moi.

Des créatures sauvages peuplent mon jardin idéal. Des  loups blancs, à la fourrure épaisse et froide. Des chouettes qui se posent sur les vielles pierres du puits. Et un jaguar, captif et vieux. Qui s’était, il  a longtemps, laissé apprivoisé. Et des oiseaux jaloux.Je crois même qu’il s’y cache un grand éléphant gris. Lui non plus ne se montre jamais. Ses défenses sont bien trop précieuses pour être exposées à la convoitise de l’aventurier vorace.Méfiez-vous des créatures tapies. Elles veillent sur le jardin et jamais ne s’endorment.

Dans mon jardin idéal, des effluves légères. Des effluves de lierre. De troène et de buis. Et aussi de fougères. De chèvrefeuille en fleurs. Et de saules pleureurs. Les effluves légères caressent les cheveux. Comme une brise chargée de pluie.Elles réveillent les sens endormis. De l’aventurier perdu qui ne sait plus comment, il doit respirer

Les fleurs qui jalonnent mon jardin idéal se fanent bien souvent.C’est le manque de lumière. C’est la brume empoisonnée. C’est le vert qui efface tout.  Qui estompes les couleurs désireuses d’être vues. Et admirées. Et c’est, encore, la menace de l’aventurier brutal qui les fait se faner aussi soudainement. C’est accablant. Les fleurs qui jalonnent mon jardin idéal sont tristes, et ne peuvent pas s’épanouir. Victimes d’une nature cruelle. D’une nature impitoyable envers la délicatesse, et la fragilité.

Mon jardin idéal est farouche.

Mais.

Et il est doux, de pénétrer, mon jardin idéal. Le sol est une terre noire et humide et épaisse. Toujours. Elle laisse sous les pieds le parfum de la vie. Toujours.  De la vie, grouillante, qui se terre et se blottit. Pour être épargnée par les bottes de l’aventurier, perdu. De l’aventurier maintenant captif. Les feuilles des arbres sont immenses et  ombrageuses. Elles jouent à retenir dans leurs plis les envolées de tissu blanc des robes longues que je porte.

(Les murs qui retiennent mon jardin idéal cachent une vieille porte. Cette porte est scellée. La clé en a été dérobée. Et : Noyée dans les remous d’un océan sans fin. C’est pourquoi tous les aventuriers perdus et oubliés dans ce jardin ne savent pas comment rouvrir cette porte, éblouissante.)

Les arbres qui poussent dans mon jardin idéal ne s’arrêtent jamais en chemin. Ils franchissent le ciel et narguent les nuages. Ils aspirent à la force sacrée du Soleil, qui jamais ne brûlent leurs racines oubliées. Leurs racines assoupies.Les arbres sont les créatures les plus sages du jardin. Leurs conseils sont rares mais toujours avisés. Et, ils regardent avec une grande tendresse la vie à leurs pieds. Et mes pas, assurés seulement par leur présence, fabuleuse. Et plus que les chouettes, les loups et les oiseaux, les arbres qui poussent dans mon jardin idéal détiennent mon amitié. Et savent mes secrets.

Car ; mon jardin idéal dissimule un trésor. Et ce trésor là, il n’est pas monnayable. Il ne figure pas, non plus, sous la forme d’une croix sur les cartes grotesques des aventuriers perdus. Il ne se négocie pas. Il ne se partage pas.Et ce trésor là, c’est l’amour d’une maman. Il a plusieurs formes et différents visages. Souvent, lointain et dans les nuages, il est le regard brun et comblé d’amour de cette maman là. Celle qui avait les mains les plus fines et les plus douces. Ma maman à moi.

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