Mon Pays.

misskatt

Ma terre tout simplement...


 Ce pays est le mien, celui que je porte dans ma mémoire, là où j'ai laissé mes racines sous les citronniers et les orangers. C'est un pays au sud, niché dans mon cœur, posé sur les mers et les océans, aux senteurs de fleurs, d'épices et d'eau salée. Là-bas, le bleu et le blanc s'unissent sous la caresse du soleil. C'est la mer et la montagne, les fleuves et les vallées, les pinèdes et les garrigues. Ce pays est en moi, il est sur ma peau comme une marque de naissance, indélébile. Il est dans ma tête et sur mes lèvres, il se promène dans mes entrailles. C'est ma terre, de la terre ocre. C'est de l'argile, du marbre et du calcaire. Un pays rêvé et réel à la fois, une mosaïque de sensations, un mélange d'enfance et d'adolescence. Le pays perdu, l'absent que l'on ne retrouve que dans les songes comme un premier amour jamais oublié.
C'est une terre recouverte de pins, de cyprès, de figuiers et d'oliviers. Une terre sillonnée de plages de sable marquées par des pas éphémères, d'étendues de galets lisses et arrondis comme les courbes de Vénus. Ce pays me berce et murmure à mon oreille des contes et des légendes. Des histoires qui font rire la petite fille aux grands yeux qui marche avec moi et ne me quitte jamais. Il la prend par la main et l'emmène sur les marchés odorants où les gourmandises s'amoncellent. Il l'entraîne sur les placettes des villages se rafraîchir à l'eau des fontaines et la laisse se reposer à l'ombre des patios turquoises. C'est un pays qui s'étale et s'étire en terrasses cultivées entre les murets en pierre sèches. Il s'abrite dans les maisons roses et jaunes, il plonge dans les criques, les baies et les golfes bleutés.
Un pays généreux qui engendre des délices. Sur des sols parfois sauvages, poussent des pastèques que l'on mord goulûment les soirs d'été, des melons et des pêches qui parfument les cuisines ensoleillées, des tomates et des poivrons que l'on parsème de basilic et romarin. Ce sont les repas préparés par les femmes, les mains dans la farine et les cheveux attachés, les jours de fêtes. Les biscuits à la fleur d'oranger que les mères préparent avec leurs filles, en leur apprenant avec patience et douceur, selon les vieilles recettes de famille. Ce sont les vendanges en septembre, les pieds nus et les pantalons retroussés, les bouches remplies de raisins sucrés comme du miel et des longues tables sous les vignes, des dîners bruyants et joyeux arrosés de vin fait maison, qui fait la fierté des paysans fatigués et fripés par le soleil. Ce sont des beautés qui portent des paniers sur la tête, les mains sur leurs hanches rondes, le regard fier et le port altier. Ce sont des centaines de roses et magnolias aux fragrances délicates que l'on cueille d'une main distraite et que l'on dépose dans les chevelures abondantes des filles à la peau ambrée.
C'est la sueur des hommes et des femmes qui ont domptés et façonnés la nature. Les villages suspendus sur les flancs des collines, les chemins taillés dans la roche, les routes sinueuses qui montent au ciel et aux coins secrets où les amants se découvrent; les églises, les sanctuaires et les chapelles penchés sur la mer où les femmes prient à genoux, la tête recouverte de dentelle. C'est une musique, des chansons emportées par le vent tiède du soir sous des milliers d'étoiles qui habillent la nuit, et illuminent les îles. C'est une voix qui s'élève d'un balcon décoré de linge, puis une autre et une autre encore, jusqu'à former un chœur qui chante dans une langue qui sonne comme une cascade; les courses d'enfants aux genoux écorchés dans les quartiers populaires et les cris des mères qui les rattrapent de leur amour étouffant comme la canicule; les chaises et les bancs que l'on dépose devant les portes des maisons, et sur lesquelles on discute, on raconte et on chuchote dans des dialectes qui meurent peu à peu; les journées paresseuses au bord de l'eau, sous les parasols alignés. Ces journées où l'on ramène des grains de sable dans les cabas de plage. Les nuits moites où l'on se pavane tel des lucioles, le long des promenades près des phares gardiens et témoins de nos vies; les corps dévêtus, qui attendent le sommeil et un improbable souffle frais, tout en écoutant les intarissables cigales.
C'est la terre sur laquelle on a appris à marcher, la terre où nos parents se sont aimés, le sol qui les a nourris, l'air qu'ils ont respiré, le vent qui les a frôlés. La terre qui accueille leur sommeil éternel. Ce pays est celui qu'aujourd'hui je visite en touriste et que je fixe sur la pellicule, frénétiquement. C'est un patchwork de rues, de bâtiments aux tons chauds, de visages et sourires, de mots que l'on reconnaît, d'accents qui résonnent comme l'écho d'une vie oubliée. Un pays que j'emporte en morceaux et que je recolle sans cesse, tel un puzzle que j'enferme ensuite, dans des tiroirs à trésors. Ce pays qui n'est plus le mien est devenu un souvenir dont on ne garde que la chaleur, la gaieté, les vacances infinies et les mines ravies. C'est un ami qui vous accueille juste pour un instant, comme une parenthèse exotique. Là-bas, c'est comme un petit déjeuner un dimanche matin, comme une fête de mariage à la campagne, la pluie fine et fraîche que l'on ne fuit pas, une maison aux volets bleus, des palmiers qui bordent les routes.
C'est une histoire familière qui nous à bercée lorsque nous étions petits, les bras chauds qui nous ont tenus, ces peaux qui sentaient le soleil, ces cheveux noirs et épais qui caressaient nos joues, ces grands-mères en noir avec leur chignons tressés, qui nous donnaient du pain trempé dans l'huile d'olive verte à la saveur forte. Ces sont les pères qui nous emmenaient sur leurs épaules aux grandes fêtes religieuses, et qui nous montraient fièrement dans nos habits endimanchés. Ce sont des souvenirs et des émotions que je revis dans ces endroits qui ressemblent à mon pays, qui me parlent de lui. C'est un peu chez moi partout, là-bas au soleil, partout où je retrouve la petite fille aux grands yeux. Des souvenirs que je traîne dans mes valises, lorsque je reviens sous un ciel plombé. Juste des images accrochées au mur, tout et rien à la fois, juste une part de soi, qui nous accompagne du berceau à la tombe. Une histoire de sang qui coule dans les veines, un pays qui nous habite, nous possède malgré nous.
C'est un peu de Provence, un carré de Riviera, un morceau d'Espagne et de Portugal. Juste un bout de terre en Méditerranée, une parcelle de monde qui me rappelle le lieu où je suis née. Un petit bout de planète qui me connais et que, je reconnais, que je touche et qui me touche. Un pays qui respire à mon rythme, qui me regarde dans les yeux et me tutoie. Un pays qui m'invite et m'appelle où que je sois, comme une mère qui attend le retour de son enfant.
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