mon pays sommeille

reverine

Qu'il est terrible de vivre un étrange patriotisme local. N'avez-vous jamais, en prenant le train, senti les larmes monter à l'idée de quitter votre ville, celle qui défile sous vos yeux quelques secondes encore, comme si vous vous exiliez ?

Qu'elle est misérable, la Belgique, de délimiter des terres déjà si maigres, de parsemer d'étrangers ou d'ennemis sa surface aux souvenirs des vieilles batailles.

Ici bas, le sol est amer ; il a collectionné longtemps les sangs d'Europe, tel un alchimiste glauque, comme si de là ressortirait le plus pur houblon.

Et nous, pauvres descendants des mille fois vaincus, nous fourvoyons dans nos fantasmes de "Nowhere men" en rétrécissant autant que se peut nos attaches à l'Histoire.De ceux qui se disent chargés du courage de combattre le pays lui-même, ne sont souvent que des couards face à notre passé agité, injuste, et rabaissant.

Mais on n'enterre pas l'Histoire à coups de labours, ou d'industries, on enterre l'Histoire quand on ne regarde plus ses voisins comme des ennemis, qu'on se rend compte que, face à notre village adjacent, nous ne sommes pas à Waterloo, la bataille des Éperons d'Or, ou devant Charles le Téméraire.

Et moi, dans mes larmes de quitter Liège, je ne suis que le reflet de ces conditionnements, cette manie de couper, trancher, scinder, tout ce qui réunit les Hommes, des langues aux services, du travail à l'information, du droit de vote fédéral bafoué aux codes de politesse.

Il ne tiendrait qu'à certains de nous servir des chaînes bilingues, de répartir les zonings industriels, de s'entendre plus efficacement via l'Etat unificateur que via les régions brandissant un discours munies d'un bouclier. Il ne tiendrait qu'à Eux, de consoler mes peines étranges, qui font que, dans ce train de Liège direction Bruxelles, je ne me sente déjà plus chez moi, mais en route pour une destination lointaine et méconnue.

Je sais que c'est ce qu'ils veulent. Alors je refoule mes larmes. Car s'il y a bien une chose qui traverse toutes ces barrières, c'est l'orgueil forgé dans l'acier mosan, dans les champs flamands, l'orgueil collectif du petit peuple trop opprimé par les empires, qui s'est tant fait marcher sur les pieds au fil des siècles, qu'à présent plus grand chose ne peut l'empêcher de marcher.

Il est de ces pays où la résistance fut une survie, une culture encrée dans le sol. La Belgique est de ceux-là.

Et un jour elle se réveillera. Avec ou sans moi.

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