Muse

My Martin

« C'est le seul être en qui j'ai trouvé quelque repos. »

Le photographe Nadar. ... "La taille est longue en buste, bien prise, ondulante comme couleuvre, et particulièrement remarquable par l'exubérant, invraisemblable développement des pectoraux"

Nadar. ... « Elle est très grande, avec la démarche souple des Noirs, et des yeux grands comme des soupières. ».

Théodore de Banville (1885). Poète, dramaturge et critique dramatique. ... "Fille de couleur, d'une très haute taille ... démarche de reine, pleine d'une grâce farouche"

... "Elle marche mal"

... "Pommettes saillantes, le teint jaune et mat, les lèvres rouges et les cheveux abondants et ondulés"



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Jeanne

Jeanne, la Femme sans nom : Duval, Lemer, Lemaire, Prosper, Caroline Dardart, ...

née vers 1820, à Jacmel (ville portuaire sur la côte sud de Haïti) ?

décédée dans les années 1860 ?

Actrice, danseuse



Claude Pichois et Jean Ziegler. Biographie de Baudelaire (2005). « Nous ignorons les origines familiales de Jeanne et jusqu'à son patronyme »

Jeanne serait née à Jacmel en Haïti. Ou sur l'île de La Réunion, l'Île Maurice, les Mascareignes, l'Inde, l'Afrique du Sud, Madagascar, Saint-Barthélemy, ...

Sa date de naissance est inconnue. Un registre des entrées, le seul document sur lequel était mentionnée cette date, a été détruit dans un incendie. 1859. Jeanne est hospitalisée à la Maison de santé du docteur Dubois -actuel hôpital Fernand-Widal. 200 Rue du Faubourg Saint-Denis (10e). Âgée de trente-deux ans, Jeanne, native de l'île de Saint-Domingue



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1838-1839, Paris. Théâtre de la Porte-Saint-Antoine. 25 Boulevard Beaumarchais (4e). Sous le nom de scène de Berthe, Jeanne tient des petits rôles

Jeanne rencontre Nadar 1820-1910. Caricaturiste, écrivain, aéronaute et photographe



Entre le 9 avril et le 27 mai 1842. Un cabaret, dans lequel Jeanne danse. A la sortie, elle rencontre Baudelaire (21 ans). Alors inconnu, il commence à écrire les premiers poèmes des "Fleurs du mal"

Baudelaire installe Jeanne dans l'Île Saint-Louis -n° 6, Rue de la Femme-Sans-Tête / Rue Le Regrattier (4e). Le poète loge à l'Hôtel Pimodan / Hôtel de Lauzun, sur le Quai d'Anjou (1843-1845)



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Napoléon III, Paris. les travaux du baron Haussmann. Clubs, salons littéraires

Jeanne fascine les artistes, les amis de Baudelaire -Félix Nadar, Gustave Courbet, Eugène Delacroix, Gérard de Nerval. Le salon d'Apollonie Sabatier, demi-mondaine. Elle reçoit Edmond de Goncourt, Théophile Gauthier, Gustave Flaubert

Baudelaire vit avec Jeanne. Il l'impose avec fierté à son entourage. Dont sa mère, Madame Aupick, qui déteste Jeanne -elle accuse la "Vénus noire" d'avoir transmis à son fils, la syphilis. Elle détruira toutes les lettres de Jeanne à Baudelaire

24 mars 1868. Lettre de Mme Aupick à Charles Asselineau, ami de Baudelaire. Homme de lettres, écrivain et critique d'art. « La Vénus noire l'a torturé de toutes manières. Oh ! si vous saviez ! Et que d'argent elle lui a dévoré ! Dans ses lettres, j'en ai une masse, je ne vois jamais un mot d'amour. […] Sa dernière en avril 1866, lorsque je partais pour aller soigner mon pauvre fils à Bruxelles, lorsqu'il était dans de si grands embarras d'argent, elle lui écrit pour une somme qu'il faut qu'il lui envoie de suite. Comme il a dû souffrir à cette demande qu'il ne pouvait satisfaire ! Tous ces tiraillements ont pu aggraver son mal et pouvaient même en être la cause »



Baudelaire rompt les relations avec son beau-père, le rigide général Aupick



Jeanne, une « sang-mêlé ». La société est profondément raciste. Rétabli par Napoléon en 1802, l'esclavage n'est pas encore aboli dans les colonies françaises -décret du 27 avril 1848



Poème "Au lecteur"

... « Nous volons au passage un plaisir clandestin

Que nous pressons bien fort comme une vieille orange. » ...



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30 juin 1845. Baudelaire (24 ans) écrit à son notaire, Narcisse Ancelle 1801-1888. Notaire de 1832 à 1851, puis maire de Neuilly-sur-Seine de 1851 à 1868. Conseil judiciaire de Charles Baudelaire, et notaire de la famille de Baudelaire. « Quand mademoiselle Jeanne Lemer vous remettra cette lettre, je serai mort. Elle l'ignore. Sauf la portion réservée à ma mère, Mlle Lemer doit hériter de tout ce que je laisserai. » « C'est le seul être en qui j'ai trouvé quelque repos. »

Tentative de suicide. Baudelaire se donne un coup de couteau. Égratignure



Spleen LXXVIII. Section "Spleen et idéal". Le dernier des quatre Spleen

« … et l'Angoisse atroce, despotique,

Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir. »



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27 mars 1852. Lettre à sa mère. « Jeanne est devenue un obstacle, non seulement à mon bonheur, ceci serait bien peu de chose, moi aussi je sais sacrifier mes plaisirs et je l'ai prouvé, mais encore au perfectionnement de mon esprit. […] J'ai des larmes de honte et de rage dans les yeux en t'écrivant ceci ; et en vérité je suis enchanté qu'il n'y ait aucune arme chez moi ; je pense aux cas où il m'est impossible d'obéir à la raison et à la terrible nuit où je lui ai ouvert la tête avec une console »



Séparation (31 ans). 26 mars 1853. Lettre à sa mère. « Pendant quelques mois, je suis allé la voir deux ou trois fois par mois, pour lui porter un peu d'argent »



18 novembre 1853. Lettre à sa mère. « Ma chère mère, j'ai eu avant-hier quelqu'un à enterrer ... J'ai payé les frais de l'exhumation et de la réinhumation : 86 francs le terrain, 10 francs pour les ouvriers, 25 pour l'entourage en menuiserie : 121 francs. Après avoir payé ma blanchisseuse, ma concierge et acheté un peu de bois, il ne m'est rien resté »

Décès de la mère de Jeanne ? Jeanne Lemaire, veuve. Née à Nantes (1790), décédée à Belleville le 15 novembre 1853. Âgée de 63 ans



Décembre 1855. Baudelaire (34 ans) vit avec Jeanne « dans le quartier du boulevard du Temple, 18 rue d'Angoulême » 18 Rue Jean-Pierre Timbaud (11e)



Rupture. 11 septembre 1856. Lettre à sa mère. « Ma liaison, liaison de quatorze ans avec Jeanne est rompue. Ce détachement, cette lutte a duré quinze jours. […] Moi, je sais que je regretterai toujours cette femme. […] Encore maintenant, et cependant je suis tout à fait calme, je me surprends en voyant un bel objet quelconque, un beau paysage, n'importe quoi d'agréable : pourquoi n'est-elle pas avec moi ? […] Je n'ai pas pu voir le notaire Ancelle avant son départ. Je savais qu'il passerait par Bordeaux et je lui ai écrit poste restante. Je lui disais simplement que peut-être à son retour, je le prierais d'aider cette malheureuse femme, à qui je ne laisse que des dettes »



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1854-1855. Gustave Courbet, "L'Atelier du peintre. Allégorie réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique et morale". Musée d'Orsay

Courbet (35 ans) s'est représenté, entouré de ses modèles. Parmi les amateurs du monde de l'art, Charles Baudelaire (33 ans). A côté de lui, la couche de peinture s'est altérée. En 1905, une silhouette pâle est apparue à côté du poète, un personnage effacé par Courbet. Un repentir. Jeanne ?



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21 juin 1857 (36 ans). "Les Fleurs du mal", publication

Procès retentissant. Forte amende. Censure de six pièces jugées immorales



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1859. Baudelaire vit avec Jeanne



Son beau-père, le général Jacques Aupick 1789-1857, a acheté une maison sur la Côte de Grâce (dans l'actuelle rue Alphonse Allais). Baudelaire s'installe seul à Honfleur. Deux longs séjours, projet de s'installer dans la ville. Idéal de bonheur

Mme Aupick, la mère de Baudelaire, se retirera dans cette maison (1793 - décès le 16 août 1871)


5 avril 1859. Jeanne est frappée d'une attaque d'hémiplégie

Depuis Honfleur, Baudelaire (38 ans) parvient à faire entrer Jeanne à la Maison de santé du docteur Dubois (10e. Créée en 1802), qui accueille les écrivains et les artistes

Baudelaire s'efforce de régler les frais d'hospitalisation

29 avril 1859. Lettre à Auguste Poulet-Malassis 1825-1878. Ami et éditeur des "Fleurs du mal" (1857). « Vous recevrez cette lettre et ce billet samedi 30. Il faut que je verse le 3 mai 120 francs à la Maison de santé plus 30 francs à la garde-malade. Je ne puis pas aller à Paris. Profitez du samedi (demain) pour escompter ce papier, payable ici, chez ma mère, et dès dimanche, envoyez 150 francs (un billet de 100 et un de 50 ou un mandat) à M. le Directeur de la Maison municipale de santé, n° 200 Faubourg Saint-Denis. Vous direz dans votre lettre que vous envoyez cela de la part de M. Baudelaire pour la pension de Mlle Jeanne Duval, qu'il y a 120 francs pour la pension et que les 30 francs doivent être remis à la malade elle-même pour sa garde. Le reçu sera remis à Mlle Duval »



19 mai 1859. Paralysée du côté droit, Jeanne quitte la Maison de santé Dubois. Baudelaire installe Jeanne dans un appartement loué à Neuilly



15 octobre 1859. Lettre à sa mère. « Tu supposes toujours que je suis un ingrat et puis tu oublies qu'après avoir été longtemps un fainéant et un libertin, je suis obligé de jouer maintenant le rôle de papa et de tuteur. Il ne s'agit pas seulement de dépenses, il s'agit de penser pour un esprit affaibli »



17 décembre 1859. Lettre à Jeanne. « Ma chère fille, il ne faut pas m'en vouloir si j'ai brusquement quitté Paris sans avoir été te chercher pour te divertir un peu. […] En attendant, comme je puis rester une semaine absent et que je ne veux pas que dans ton état tu restes privée d'argent même un jour, adresse-toi à M. Ancelle ».



1861. Un frère de Jeanne se présente. Rupture. 1er avril 1861. Lettre à sa mère. « Je n'ai pas écrit à Jeanne. Je ne l'ai pas vue pendant près de trois mois ; naturellement, je ne lui ai pas envoyé un sol. Elle est venue me voir hier ; elle sort de l'hospice, et son frère sur qui je la croyais appuyée, lui a vendu en son absence une partie du mobilier »



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1862. Charles Baudelaire 1821-1867 et Édouard Manet 1832-1883 sont liés par une amitié de près de dix ans

"La Dame à l'éventail". Édouard Manet (30 ans) peint ce portrait à Paris, dans l'atelier, 81 Rue Guyot

Paris, Maison de santé du docteur Guillaume Émile Duval. A l'époque de sa longue maladie 1866-1867, deux tableaux de Manet ornent les murs de la chambre de Baudelaire

Après le décès de Baudelaire (août 1867), le portrait réintègre l'atelier de Manet

À la mort de Manet (avril 1883. Syphilis, gangrène. 51 ans), sa veuve Suzanne identifie le modèle ; le tableau est inventorié sous le titre "La Maîtresse de Baudelaire"

En 1916, le musée des Beaux-Arts de Budapest acquiert le tableau



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24 avril 1864. Baudelaire (43 ans), séjour en Belgique, pour une tournée de conférences

Vers le 10 mai 1864. Lettre à son notaire Narcisse Ancelle. « Je vous supplie d'envoyer 50 francs à Jeanne, sous enveloppe (Jeanne Prosper, 17 Rue Sauffroy, Batignolles) […] Je crois que cette malheureuse Jeanne devient aveugle »



27 février 1865. Baudelaire, dessin à la plume à l'encre de Chine. La femme sans nom. Baudelaire a écrit « quaerens quem devoret ». Nouveau Testament, citation de la Première épître de saint Pierre Apôtre (V, 8). « Le diable, comme un lion rugissant, cherchant qui dévorer »



À partir de mars 1866. Baudelaire souffre d'hémiplégie. Juillet 1866. Retour à Paris. Maison de santé du docteur Guillaume Émile Duval, aliéniste réputé, promoteur de l'hydrothérapie. 1, Rue du Dôme (16e). Pavillon situé au fond du jardin, rez-de-chaussée. Le poète occupe une chambre bien éclairée. Deux toiles d'Édouard Manet, dont le tableau aujourd'hui connu sous le nom de "La Dame à l'éventail ou La Maîtresse de Baudelaire" (1862). Jeanne ? Doutes. Musée des Beaux-Arts de Budapest



31 août 1867. Rongé par la syphilis, âgé de quarante-six ans, Charles Baudelaire meurt à Paris

Il est inhumé à Paris, au cimetière du Montparnasse. Il repose aux côtés de sa mère et du général Aupick



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1870. Le photographe Nadar (50 ans) aperçoit Jeanne. Elle claudique sur ses béquilles



La cantatrice Emma Calvé 1858-1942 rend visite à Jeanne. Mémoires, 1940. Témoignage postérieur à 1878. « Sous le nom de Jeanne Prosper, elle habite un modeste logis, aux Batignolles. Elle arrive sur deux béquilles, coiffée d'un madras multicolore d'où s'échappent des mèches folles, grises et frisées, aux oreilles, des anneaux d'or »



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