Nabi Saleh, place au martyr

Jonas Mossiat

Nabi Saleh, place au martyr

La route semblait longue pour se rendre à Nabi Saleh, dans le nord palestinien. Plus les kilomètres de roche et de sable défilaient, plus le silence se faisait dans la voiture. Mahmoud, dont je tairai le nom, était venu nous chercher plus tôt dans la matinée, à Bethléem.

J'avais cette étrange impression de m'être fait kidnapper volontairement, de mon plein gré, vers un endroit, un évènement qui ne me plairait pas, j'en étais persuadé. Mais l'idée de participer à une cérémonie d'enterrement d'un martyr éveillait ma curiosité. Une curiosité certes morbide, je dois l'avouer, mais le rendez-vous devait être unique.

Mahmoud nous avait briefé sur le chemin. Il en valait également de sa réputation. Les ''occidentaux'' qu'il amenait là-bas devaient savoir être respectueux, discrets et polis. Un rituel devait se mettre en place et de nombreux dignitaires devaient participer à la cérémonie.

Tout au long de notre périple, Mahmoud nous avait briefé. Le premier contact que nous avions eu avec lui, c'était à Jérusalem. Nous étions en train de prendre un café près de la gare des bus qui nous avait amené dans la ville sainte depuis Tel Aviv. Il y avait ce pont très moderne en face de nous, première vu d'une Jérusalem qui me déçu. Je croyais découvrir une ville ancienne, en retrait dans le passé, figée plus de 2000ans auparavant. Il y avait aussi ce supermarché, gardé par deux soldats armés de M16. Des femmes voilées y entraient, de jeunes juifs portant la kipa, une certaine multiculturalité saine, un quotidien qui lui aussi me déçu. Très très égoïstement, j'aurais voulu voir plus de haine, plus de violence. Bref, plus de ce que les médias ont l'habitude de nous transmettre comme images. Des attentats, des enfants en colère, une jeunesse qui manifeste, une précarité malsaine et une tristesse dans les regards. Rien de tout cela était flagrant. Mais je compris, un peu plus tard, qu'en Cisjordanie, actuellement, la guerre est silencieuse, insidieuse. Un poison lent, distillé avec parcimonie, qui goutte à goutte, tue cette région du monde.

Notre premier contact avec Mahmoud se fit donc par téléphone. Son numéro nous avait été donné bien avant à Istanbul. Avec les recommandations qui allaient avec. Il fallait chercher un code pour chaque numéro de téléphone. Si, à l'aéroport de Ben Gourion, les douaniers israéliens trouvaient dans nos affaires personnelles ou notre GSM, des numéros compromettant, nous risquions d'être renvoyé par le prochain avion, ou pire, de mettre en danger nos contacts. Notre premier geste sur place fût d'acheter une carte sim israélienne, et de décoder nos nombreux contacts, à partir d'un enfantin rébus de chiffres et de lettres. Par précaution, nous avions également supprimé tous nos mails avant notre départ, et vérifié nos réseaux sociaux.

The Hell

Nous eûmes donc Mahmoud au téléphone, dans un anglais parfait. Comme tous les palestiniens, en général. Savoir parler l'anglais est pour eux une arme. La communication, ils en sont sûr, leur sera bénéfique, même salvatrice. ll nous fixa rendez-vous deux jours plus tard, à un carrefour de Bethléem. Bethléem, première ville palestinienne à 15 minutes de route de Jérusalem. Mahmoud ne peut plus se rendre à Jérusalem depuis près de 20ans, depuis sont premier emprisonnement, ses premières tortures aussi. Ni lui, ni sa famille ne peuvent entrer dans la ville sainte, ni en Israël tout court. Lorsqu'il voyage, il le fait par la Jordanie. Seule une minorité de palestiniens détiennent le fameux papier qui leur permet de se rendre à Jérusalem, bien souvent pour le travail. Ils sont généralement garçons de café. Ils doivent également attendre quotidiennement devant les check-point. Pour se rendre à leur travail, la file est longue, et commence vers 3h du matin. Les portes ouvrent selon le bon vouloir des israéliens, parfois une heure d'attente, souvent quatre ou cinq heures. Un quotidien fatiguant, éreintant même, qu'ils veulent préserver à tout prix. Ce prix, c'est Jérusalem, la Belle, une porte vers une liberté incertaine.

Quoiqu'il en soit, nous étions, moi et mes deux compagnons de route, sur le chemin de Nabi Saleh. Nous étions parti de Bethléem après que Mahmoud ait dû nous extirper des bras d'une vielle femme, qui, comme il nous a expliqué après et que nous n'avions pas compris sur le moment, voulait absolument nous inviter pour le diner. Le trajet Bethléem – Nabi Saleh est très long, surtout depuis que les autorités israéliennes ont bloqué la nationale passant par Jérusalem, obligeant donc les palestiniens à faire un détour par la Vallée de l'Enfer, The Hell comme ils l'appellent, et la grouillante Ramallah. Avec ces 28° en plein mois de décembre, The Hell est une véritable fournaise inhabitée, sauf par le long serpent de béton portant les incessantes voitures. Dans la petite Cisjordanie, ce détour de 45 minutes est énorme. Après, traverser Ramallah devient une véritable épreuve de force, leur futur capitale, les palestiniens en sont sûr, est continuellement ''comme Paris à l'heure de pointe''. Les klaxons des voitures se mêlent 24heures/24 aux cris des vendeurs, aux fumées des street food, à ces lumières qui jamais ne s'éteignent. Lorsque l'on quitte Ramallah pour rejoindre le Nord, les voitures se font plus rare, les véritables routes aussi. On côtoie les nombreux bédouins qui vivent sur les accotements des routes, élevant quelques brebis sous un soleil de plomb.

Un nouveau martyr

La route nous semble longue, en ce mois de décembre, pour nous rendre à Nabi Saleh, dans le nord palestinien. Mahmoud nous emmène à la cérémonie d'enterrement de Mustafa Tamini, un martyr palestinien, mort dans une manifestation pacifique quelques jours auparavant. Le jeune homme de 28ans a reçu une balle en pleine tête lors de l'une des manifestations hebdomadaires pacifique à Nabi Saleh. La cérémonie va rassembler énormément de monde vu l'ampleur national de ce décès, qui fait resurgir l'injustice dans le cœur des palestiniens. La tension monte dans la voiture. Mes compagnons et moi-même ne savons pas ce à quoi nous allons faire face. Il est 11h du matin lorsque nous arrivons enfin à Nabi Saleh. Arrivés sur la place de ce petit village, bâti sur une colline et entouré de colonies israéliennes déjà finies ou en construction, c'est l'abondance. Une cinquantaine d'hommes sont présents, debout, à parler, habillés de leurs plus beaux keffiehs. Les drapeaux palestiniens flottent partout, et la famille à fait faire une gigantesque affiche du martyr, mort, sanglant. Mustafa Tamini a reçu la balle dans l'œil. L'image est affreuse et placardée partout. Ce n'est pas la première fois que je vois cela. Où nous préférons poser la plus belle photo du défunt, eux, envers leurs martyrs, mettent les photos les plus horrible. Ça doit choquer, c'est réussi.

Dès que nous sortons de la voiture, Mahmoud appelle une jeune fillette pour qu'elle accompagne Juliette, mon amie, dans la maison réservée aux femmes. Nous nous avançons donc vers la famille proche du défunt, le père, les frères et les oncles, assis en-dessous de cette immense affiche. Personne n'a été prévenu de notre arrivée, et on sent les regards lourds et interrogateurs. J'ai peur de passer pour un touriste voyeur, ou pire, je l'avoue, pour un israélien. Tour à tour, on salue la famille. Les deux frères pleurent, le père reste impassible. On serre ainsi la main d'une vingtaine de personnes, puis une jeune homme nous invite à s'assoir en face de la famille. Apparemment nous n'avons pas le choix, et j'aurais donné ma place à quiconque passait par là. Le bal des dignitaires commencent alors, et Mahmoud prend la peine de nous souffler à l'oreille à chaque arrivée, ''Voici l'ambassadeur espagnol'', ''L'italien arrive, souvent en retard'', ''Le chef du village untel, ou untel''. Et ceci pendant plus d'une heure, entrecoupé de tasses de café imbuvable et de figues séchées. Les gens passent, saluent, s'assoient dix minutes et repartent. Mahmoud nous explique que ce rituel dure déjà depuis trois jours, aujourd'hui est le dernier. Trois jours de deuil intensif pour ce martyr dont toute la Palestine connaît désormais le nom. Trois jours de bal macabre. Qui avaient été retardé, car les israéliens ne voulaient pas donner le corps à la famille, pour cause de Sabath.

Il est maintenant l'heure de passer à table. Mahmoud m'abandonne et je me retrouve à table avec 4 hommes, aussi étonnés que moi de se retrouver ainsi a partager le même repas. Se sera agneau (dont l'odeur est réellement très fort), riz et soupe de lentille. Un homme dont j'ai oublié le nom m'explique qu'il a le même statut que Mahmoud, dans son village. Le même statut, je l'apprendrai plus tard durant mes tribulations, c'est celui de ''chef de village''. Un autre mot pour désigner ''chef de la résistance de ce village''. Mahmoud l'est pour la village d'Al-Masa'ra, où il dispose d'une ''planque'', point de rendez-vous des résistants, remplie de cartes, de dossiers, de lettre. Cette résistance se dit être pacifique avant tout. Ça, c'est ce que Mahmoud nous aura toujours répété. Aucune preuve du contraire n'étant là pour désaffirmer ses propos.

Dès le repas terminé, durement pour moi, la famille nous invite gentiment à partir pour faire place au second service. Pendant que nous faisons un tour, on voit un groupe d'homme s'éloigner, j'observe Mahmoud, l'homme avec qui j'ai diné, et une poignée de chef de village en plus. Réunion au sommet pour la résistance palestinienne. Je n'aurai jamais posé la question de savoir de quoi ils ont discuté, cet après-midi là, à Nabi Saleh. Mais la vengeance, sans doute, devait être au rendez-vous.

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