Naissance

Marion Ploix

La douleur se fit plus intense et traversa ses reins pour venir rougir son ventre avec une force qui la surprit. Elle serra les dents et ouvrit la bouche pour laisser passer un râle. La tenaille brisa ses chairs un temps interminable puis desserra doucement son étreinte. Son souffle revint et avec lui le bruit des pas dans la rue, des pas et des voix qui battaient le pavé.

Il était tard et la nuit était tombée sur ce printemps incertain de l’année 1968 qui voyait la jeunesse du pays oser la révolte.

Une sirène dans le lointain.

Elle reprit possession de la chambre, les murs nus tirant sur le vert pâle, la veilleuse du plafonnier, douce, gardienne de l’intimité de sa grotte. La table d’obstétrique, dure et froide sous elle. Sa bouche était sèche, elle avait de nouveau soif. Il aurait fallu pouvoir bouger ce ventre énorme et gonflé, tendre le bras pour attraper la sonnette… pas la force…

L’hôpital public suivait la grève et soutenait les manifestations étudiantes. Le personnel était restreint. Elle était seule.

Elle sentit arriver la contraction et eut un sursaut de panique. La souffrance la projeta au-dedans d’elle-même, violemment, comme l’aurait fait le déchirement de la lame d’un poignard, avec une implacable rigueur. Elle laissa jaillir le cri.

Le crépitement soudain de la pluie l’aida à reprendre pied dans la chambre, à sentir à nouveau la rigidité de la table. Elle accueillit avec soulagement la lueur du premier éclair suivie de près d’une sourde détonation. La pluie gagna en violence et vint remplir ses pensées.

Une blouse blanche s’agita autour d’elle. On lui demandait de pousser… encore… Emportée par la violence d’un nouveau tourbillon, elle sentit l’enfant forcer le passage et la brûlure des chairs à vif. Doucement disait la tâche blanche, ne plus pousser. Laisser venir… Elle exulta en sentant son corps expulser l’enfant.

—    C’est une fille, lui dit l’infirmière avant de poser le petit corps entre ses seins.

Premier contact entre deux éclairs. Sa peau humide et chaude, des cheveux noirs collés sur une tête si petite, si ronde. Son cœur qui bat. Elle bouge, doucement, laisse échapper quelques gargouillements. Vide au-dedans, elle serre le petit être et l’enveloppe dans un premier bercement.

Pluie battante, la tempête danse et frappe et virevolte.

Elle, baigne dans un calme lourd et serein. Elle est barque, maison, caverne, manteau de douceur. Ses mains se sont faites nid autour du corps de l’enfant qui palpite sous ses doigts. Une couverture bleue les recouvre toutes les deux. C’est une fille… ma fille…

L’infirmière s’approche, se penche…

—    Mon Dieu, on ne voit que ses cils !

Un nouvel éclair vient illuminer la chambre en une série de flashs tressautants. Elle regarde son enfant et ses yeux immenses, deux billes d’un noir de geai. La détonation claque et le ciel se déchire.

J’ai accouché d’une sorcière.

Signaler ce texte