Nathalie

laurent

   La vie avec Nathalie ressemblait à un Tarantino. Nous faisions l’amour sur Love Is Like An Itching In My Heart de Diana Ross. Quand elle s’habillait devant moi j’entendais One Mint Julep de Ray Charles. Lorsque nous nous disputions The Velvet Underground nous chantait Sunday Morning. Wolfmother bruitait ses pas avec Woman. The Cure rythmait nos sorties avec Close to me. Nathalie était timide en société et son manque d’assurance la rendait encore plus séduisante. Lorsque nous nous cachions du monde, je découvrais une autre Nathalie. Elle se vengeait, c’était au tour de Nathalie la séductrice de prendre le contrôle et Diana Ross finissait toujours par chanter avant le départ de cette Nathalie.

    Les pires questions quand on est en couple sont celles dont la réponse est implicite pour l'interrogateur. « - Et si on aménageait ensemble ? - …» ―trop lent― « - Et si on se mariait ? – on sait comment ça se terminent les mariages …» ―très mauvaise réponse― « - Et si on faisait un enfant ? – j’aime bien les chats… » ―mauvaise réponse― « Est-ce que tu m’aimes ? », Nathalie m’a posé cette question.

   Nous étions sur le pont des arts en plein mois d’août, il devait être quatorze ou quinze heures. Nous parlions du bleu du ciel, du style vestimentaire des touristes, de la qualité de la bière durant l’été ou encore de l’arrogance des pigeons, rien d’important. J’aurais du m’en apercevoir, j’aurais du voir venir cette question. Pourtant j’avais bien remarqué ce sourire sur son visage, son engouement, trop marqué pour être normal. J’aurais du sentir que quelque chose n’allait pas. Nous étions parmis une dizaine de personnes et elle n’était pas gêné, elle me serrait le bras, riait à mes blagues et posait des questions aussi bêtes que: « A ton avis ils sont de quelle origine ces touristes ? ». C’était sous mes yeux, ou plutôt sur mon bras et je ne l’avais pas vu. Elle était amoureuse. La question tomba, impromptue, après un « Tu es de quel signe ? »: « Tu m’aimes ? ». Je n’avais jamais menti à Nathalie et je ne comptais pas lui mentir. Je lui ai répondu : « je ne m’ennui pas avec toi ». Je savais bien que cette réponse était celle d’un pyromane qui voulait bruler tout ce que nous avions partagé jusque là, mais c’était la réponse la plus sincère que j’avais trouvé. Ce jour là Diana Ross n’a pas donné de représentation.

   Le lendemain, alors que nous nous étions préparés à sortir, la soirée à laquelle nous étions invités a été annulé. Nous avons donc décidé de passer la soirée ensemble avec des sushis et un DVD, Jackpot. Mais ce soir là le lecteur dvd a décidé de tomber en panne. Nous nous sommes rabattu sur TF1. Micheline, une retraitée à l’accent provençal, Pascal, un ingénieur strasbourgeois et François, un picard  étudiant en droit, disaient bonsoir à une roue. J’ai cherché à tourner cette scène en dérision, afin de faire rire Nathalie et d’obtenir un prétexte pour l’embrasser, mais rien. Pas la moindre moquerie. Pas le moindre sarcasme. Pas la moindre réplique. Pas la moindre blague. J’étais prêt à tirer sur l’ambulance, mais toute cette absurdité avait enrayé mon arme. J’ai d’abord cru que Nathalie aurait changé de chaîne, mais elle déposa la télécommande, l’émission lui plaisait et moi aussi.

   Nous étions tous les deux sur le canapé, dans le salon en train de regarder des inconnus devenir célèbre une demi-heure. J’étais en costume cintré gris, Nathalie portait une robe rouge, elle souriait aux inconnus, je la tenais par la taille en sentant ses cheveux. Nous ressemblions à une campagne publicitaire pour un parfum, une photo d’une autre époque. J’étais heureux. Nous étions heureux. A cet instant j’ai compris que je l’aimais. Dans le creux de l’oreille je lui ai donné la plus belle réponse que je pouvais lui offrir : oui je t’aime. Nous ne sommes pas sortis de chez moi ce week-end là. La nourriture ? Livrée à domicile. Ces parents ? Un coup de fil pour les rassurer. Mes parents ? je pense qu’ils allaient bien. Nos amis ? Ils vivaient. Le monde ? On avait de ses nouvelles sur iTélé. Nous aurions pu mourir là, dans cet appartement, asphyxié par notre bonheur, une fin formidable. Mais nous ne sommes pas morts. Contrairement aux autres drogues, le bonheur n’est pas nocif et malgré les apparences il ne s’achète pas.

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