Nathanael

lyciagarou

Présentation du personnage de Nathanael

« Non ! C'est impossible ! »

Quelques larmes fuyaient déjà ses yeux tandis que sa tête retomba sur le corps de la jeune femme étendue dans le lit.

« Messire… » la voix était brisée par l'émotion. « Votre fille… Elle non plus n'a… » 

Il se redressa, ses cheveux sombres en bataille et les yeux rougis. Son visage perdit ses dernières couleurs, et il quitta le lit pour se diriger vers celui que lui indiquait la femme vêtue de blanc. Elles avaient tout essayé, suivant les préceptes de la déesse Lune la Sage dans leur soin. Mais les corps désormais vides de vie reposaient en paix, dans cette salle à l'allure austère. 

« Non, non non non… »

 

Quelques années plus tôt…


Il la regarda en coin, de ses deux yeux encore parfaitement valides. Elle le surprit, et lui sourit. La réaction ne se fit pas attendre, et le jeune apprenti qu'il était ne savait plus où se mettre. Ses joues virèrent au cramoisi, et il se dépêcha de retourner en coulisse. La salle était bondée, et son maître finissait tout juste son tour de magie sur la scène. L'homme à la crinière blanche s'inclina pour remercier le public qui l'acclamait, et il rejoignit à son tour l'envers du décor.

« Tu as été parfait Nathanael. Un jour, tu seras toi aussi un très grand mage. Apporte-moi ma potion, que je récupère quelques forces. Après, nous irons nous mêler à la foule. »

La nouvelle terrifia un instant le jeune garçon aux 12 printemps bredouillant de timidité, mais il s'exécuta. Voilà déjà quelques années que le vieil homme l'avait pris sous son aile, le tirant du sombre monde où le garçon aurait dû grandir. Lorsqu'il s'approcha avec le breuvage, le vieil homme lui ébouriffa sa crinière sombre.

« Tu es un brave garçon Nathanael. Puisses-tu ne jamais changer, le monde a besoin d'homme comme toi. » 

Le jeune garçon se mit à sourire, toujours heureux de rendre service à son protecteur de toujours. L'homme ne lui avait jamais dit pourquoi il l'avait recueilli, et il n'avait pas besoin de le faire. Le jeune mage était trop conscient de la chance inespérée qu'il avait eue.


Le vieux mage finit sa potion, et il se leva pour rejoindre l'assistance. Nathanael le suivit comme son ombre, espérant revoir la jeune fille blonde dont il n'avait pu détacher le regard. Elle était à peine plus jeune que lui, et ses yeux émeraude restaient gravés dans sa jeune mémoire. Il ne les oublierait jamais.
Ils arpentèrent chaque table, les félicitations s'adressant essentiellement au plus âgé des hommes. Néanmoins le talent de Nathanael ne passa pas inaperçu, et beaucoup lui affirmèrent leur désir de le voir évoluer. L'intéressé rougit beaucoup ce soir-là, peu habitué aux louanges et entravé par sa propre modestie. La magie lui semblait si naturelle… 


Puis il la vit. Un instant son cœur arrêta sa palpitation frénétique, et il resta la bouche ouverte. Son maître vint serrer la main de celui qu'il supposa être son père –un homme de grande stature, habillé richement- et ils entamèrent la conversation. Mais Nathanael se sentit dans un autre monde, tandis qu'elle se tenait en face de lui dans sa robe blanche. Elle lui sourit une nouvelle fois, et ses yeux verts se plissèrent légèrement. Il chérirait cette expression jusqu'à la fin de sa vie.
« Je t'ai trouvé époustouflant. Je suis Linda, et j'espère te revoir bientôt. »

Il finit de perdre ses moyens, et ne pensa même pas à lui donner son nom ou à la remercier que déjà, ils quittaient la table. Il ne vit pas la soirée, bercé par la mélodie qu'avaient formée ses mots dans son esprit.


***************


« Linda, veux-tu faire de moi le plus heureux des hommes en acceptant de devenir ma femme ? »

Il tendit l'anneau doré, ses mains tremblantes. Il rajusta le morceau de verre qu'il portait à l'œil, et attendit la réponse. Sa bien aimée lui sauta au cou.

« Oh oui ! Nathanael mille fois oui ! »

Il lui rendit son étreinte, et leurs lèvres se scellèrent en un baiser prophétique. Le bonheur leur tendait les bras.

Le père de Linda était à la cour, et l'y avait introduit. Ses dons magiques avaient fini de lui ouvrir les portes du château, où il occupait une place de mage à plein temps depuis quelques mois à peine. Son statut de mage avait d'abord intrigué : Nathanael portait les traits du peuple des Renégats, qui étaient connus pour leurs aptitudes au combat et leur discrétion absolue ; rares étaient ceux qui pouvaient de vanter d'avoir croisé la route d'un Renégat et d'être toujours en vie. Mais son talent et son caractère calme lui apportèrent l'affection des autres nobles. Lui-même ne se considérait pas comme tel, du fait de ses 20 printemps à peine.

Il mit fin à leur baiser, observant sa fiancée de son œil valide. Le deuxième avait toujours ce nuage flou, mais ses travaux avec le forgeron se perfectionnaient de jour en jour. Il saisit son visage entre ses mains.

« J'ai un vieil ami qui se fera une joie de nous unir si tu le veux bien. J'ai déjà averti ton père puisque je lui ai demandé ta main, et il prépare déjà tous les détails. Je ne veux pas attendre plus longtemps de te faire mienne pour l'éternité. »

« Nathanael… »


Elle l'embrassa de nouveau, lui confirmant son accord. Ils prirent ensuite le chemin de leur maison sur la place du marché, main dans la main.

La cérémonie eut lieu dans un espace vert, et l'ancien maître du mage avait accepté de les unir. Si le Renégat n'avait pas de famille, la présence de son protecteur lui suffisait amplement. Il lui sembla qu'il ne vieillissait pas, et restait ce mage d'exception qui illuminait les foules avec ses tours.
Leurs vœux furent passionnés, et les alliances étaient aussi simples que les mariés. Ils n'avaient besoin de rien d'autre pour se prouver leur amour. Le jeune homme n'oublierait jamais cette journée parfaite où tous ceux qu'il aimait été réunis.

Quelques mois plus tard, ils se réunirent tous de nouveau. Un même espace vert, et son vieux maître toujours au centre de la cérémonie. Seulement cette fois-ci, il n'en était que l'acteur éteint à tout jamais. C'était comme s'il avait attendu de faire sa dernière représentation avant de tirer sa révérence. « La seule véritable magie qui vaille la peine qu'on se batte pour elle, c'est celle de l'amour mon garçon. » lui avait-il dit, un froid soir d'automne où le jeune homme  lui avait transmis ses angoisses quant à la jeune femme qu'il convoitait.

Tandis que son corps était lentement recouvert de terre, Linda épaula son époux dans la difficile épreuve d'enterrer la seule famille qu'il n'avait jamais eu. Elle se promit intérieurement de tout faire pour qu'il ne soit jamais seul.

 

***************


Le temple des sœurs de Lune la Sage. Il y eut un grand cri, suivit de pleurs enfantins. Une naissance comme bien d'autres en somme. Les sœurs tout de blanc vêtues s'affairaient, portant soin à la mère et à son enfant. Quand fut venu le temps, l'un d'elle tendit le nourrisson à son père.
Le Renégat embrassa le front de son épouse et lui présenta leur fille de quelques heures à peine. Le trio se resserra, formant déjà une famille unie. La petite hybride avait les cheveux clairs de sa mère, et les yeux sombres de son père. Petite, et pourtant déjà toute souriante.

« Que dis-tu de… Joy ? » lui murmura-t-elle, épuisée.

« C'est parfait. » lui répondit-il, remontant la couverture sur les deux femmes de sa vie.

Il allait prier les dieux et déesses souvent, et plus particulièrement Lune. Les sœurs du temple étaient une compagnie qu'il chérissait pour leur sagesse et leur prévenance. Il enseigna à sa fille l'histoire d'Elyndra, la patience et l'écoute. Il l'emmenait souvent avec lui lors de ses sorties au temple, lui faisant à chaque fois découvrir une autre parcelle de l'histoire des déesses. Et en rentrant, ils avaient à chaque fois droit à une nouvelle pâtisserie, accompagné d'un sourire enjôleur.

Il allait sur ses 30 printemps, alors que sa fille en avait à peine 6. Ils avaient optés pour une maison plus grande, sans pour autant s'installer au château. Il chérissait ce refuge que formait sa maison, loin de la cour et de toutes ses ficelles.

« Papa, tu l'as déjà vu toi, la Régente ? »

Il haussa un sourcil, surpris. Jamais Joy n'avait manifesté de l'intérêt pour autre chose que les animaux qu'elle voyait à la place ou les gâteaux de sa mère. 

« Non ma chérie, je n'ai pas encore eu cette chance. Pourquoi ? »

« Comme ça. » La petite blonde traina des pieds un moment, presque boudeuse, et repris la parole. « J'ai entendu dire des dames sur la place que c'était une sorcière. »

Le Renégat laissa libre court à sa surprise une nouvelle fois. 

« Il ne faut pas croire tout ce que tu entends mon cœur. Les gens peuvent dire des choses méchantes sans connaitre les gens. Mais la Régente est quelqu'un de très gentil, elle nous offre protection et écoute. C'est une qualité rare pour une dame de son rang tu sais. »

« Elle ne va pas te jeter un sort alors hein Papa ? »

Il éclata d'un rire franc, ébouriffant la crinière d'or de sa fille.

« Ca ne risque pas ma chérie, et crois-moi, même si on lance un jour un sort à ton papa, il a plus d'un tour dans son sac ! »

« Comme celui avec le rubis que tu as montré l'autre jour à maman ? »

« Comme celui-là, comme celui-là. » lui répondit-il en souriant.


En réalité le mage continuait son exploration des arts noirs, cherchant toujours la lumière qu'ils pouvaient dissimuler. Mais il y a bien une porte qu'il s'empêchait de pousser, et c'était celle de la nécromancie. Rien de bon ne pouvait naitre de la magie des morts.

 

***************


Deux années plus tard, son univers bascula. La maladie frappa à sa porte, mais plutôt que de s'en prendre à lui, elle s'insinua chez les femmes de sa vie. Il les porta chez les sœurs de Lune la Sage, et fit tout ce qu'il pouvait. Il alla chercher aux quatre coins d'Elyndra des plantes aux propriétés curatives réputées spectaculaires. Il se rendit jusqu'à la côté d'où il ramena l'eau claire et pure de l'océan ; il ne s'enfonça que légèrement dans le désert, à la recherche d'une amulette aux milles pouvoirs ; il rencontra les Invisibles, leur demandant de la sève du plus vieil arbre de leur village ; mais rien n'y fit. A chaque fois qu'il revenait, ses deux prunelles perdaient de leur éclat.

 

« Mon… amour ? »

La voix était entrecoupée, et il sut qu'elle peinait à respirer.

« Chut ma chérie garde tes forces, je vais bientôt trouver quelque chose je te le promets. »

« Je… Je t'aime Nathanael, ne… Ne l'oublie jamais. »

Il retint ses larmes. « Je t'aime… »

Et bientôt elles ne furent plus en état de dire un mot, sombrant dans l'inconscience totale.
Il se plongea dans les livres, expérimentant maints sortilèges. Il tenta des sorts interdits loin du regard des sœurs, déchiffrant des ouvrages réputés maudits. Il ne dormait plus, se nourrissait peu. Mais la mort refusait toujours de le prendre pour rendre leur énergie à ses femmes. Un froid soir d'hiver, la nouvelle tomba.

« Non ! C'est impossible ! » 

Quelques larmes fuyaient déjà ses yeux tandis que sa tête retomba sur le corps de la jeune femme étendue dans le lit.

« Messire… » la voix était brisée par l'émotion. « Votre fille… Elle non plus n'a… » 

Il se redressa, ses cheveux sombres en bataille et les yeux rougis. Son visage perdit ses dernières couleurs, et il quitta le lit pour se diriger vers celui que lui indiquait la femme vêtue de blanc. Elles avaient tout essayé, suivant les préceptes de Lune la Sage dans leur soin. Mais les corps désormais vides de vie reposaient en paix, dans cette salle à l'allure austère. 


« Non, non non non, NON ! LUNE ! VOUS N'AVEZ PAS LE DROIT ! »

Il perdait son calme légendaire en même temps que sa raison. La colère et la douleur incendièrent son cœur, lui coupant le souffle. Il tomba au sol, frappant la dalle de ses poings. Qu'avait-il fait pour mériter ça ? Rien ! Il avait été un homme parfait, un époux aimant et un père à l'écoute ! Il était un mage sage avec le cœur sur la main ! Alors pourquoi, pourquoi ?!

Il resta longtemps sur le sol, même lorsque ses larmes eurent finies de couler. Les sœurs le laissèrent seul avec sa peine, tout en rendant hommage aux disparues. Malgré leur tristesse, les sœurs firent une découverte : la jeune Joy portait son sourire même par-delà la mort.

Elles furent enterrées près de son mentor, et il le pria de veiller sur elles. Longtemps après la cérémonie il resta debout devant leur sépulture, la cape au vent. Il était de nouveau seul.

Lorsqu'il revint enfin chez lui –du moins dans ce qui lui avait autrefois servi de refuge, mais qui lui paraissait aujourd'hui terriblement froid et étranger-, il mit en vente la maison. Avec l'accord de certains membres de la cour, il put emménager dans une des chambres du château.

Seulement son geste n'était pas aussi innocent qu'on aurait pu le penser. Il avait ouïe dire qu'il existait des ouvrages de nécromanciens, et qu'une haute tête l'avait même déjà pratiquée. Alors un soir, il se lança.
Il s'éloigna du château, un épais volume sous le bras. Des nuits durant, il s'entraina à rappeler les âmes errantes. Il commença d'abord par de petits êtres, et lorsque sa raison s'alarmait, il arrivait sans mal à renvoyer les âmes vers un monde meilleur. Il n'était pas versé dans le sens, aussi il dut attendre plusieurs lunes avant de croiser ce qu'il cherchait, quand la nature lui offrit enfin.
Un cerf, au ventre déchiré, gisait dans la plaine. Son souffle se fit court, pour enfin s'arrêter. Nathanael s'approcha, ne sachant s'il devait être terrifié ou excité. L'ouvrage en main, il prononça ces incantations qu'il savait pourtant blasphématoires. Petit à petit, il ramena le cadavre à la vie, lui offrant une nouvelle chance. Les blessures se fermèrent, et l'animal se remit debout, devant les yeux ébahis du mage. Il s'avança de quelques mètres, avant de s'effondrer de nouveau, l'étincelle de vie ayant quitté son corps. 
Le mage resta un instant immobile. Il l'avait fait ! Il avait rendu la vie à un mort ! La prochaine étape se dessinait lentement à ses yeux, et il prit son mal en patience. Des mois durant il perfectionna sa technique, jusqu'à arriver au résultat final espéré : rendre la vie à un ancien mort pour une durée indéterminée.

Il se rendit sur leurs tombes cette nuit-là, aveuglé par sa peine. Cette même peine qui l'empêchait de voir l'hérésie de son acte, et surtout son égoïsme infâme. Cette peine qui lui faisait oublier son amour. Il s'agenouilla dans la terre devenue dure avec le temps. Combien en était-il passé d'ailleurs ? 1 mois ? 2 ? Plus d'un an ? Il aurait été incapable de le dire, ayant perdu toute notion de durée depuis son chagrin.
Sa main se leva, prête à gratter la terre. Seulement quelqu'un en avait décidé autrement.
« Ne faites pas ça, elles ne l'auraient jamais voulu. »

Une poigne ferme stoppa son geste, et il leva les yeux vers celle qui avait osé l'interrompre. Ses vêtements se mêlaient avec la nuit, mais ses cheveux argent étaient un appel à la Lune.

« Que… ? Qui …? »

« Messire Utan, votre savoir est trop grand pour que vous vous perdiez dans les landes obscures dont votre maître a réussi à vous sortir à l'aube de votre vie. Votre magie doit aider les autres, et réveiller les morts ne les aide pas. »

« Mais, mais elles… »

C'était comme s'il avait attendu une oreille pour l'écouter, quelqu'un pour le remettre sur la bonne voie.
« Elles me manquent tellement… » laissa-t-il échapper, en même temps que quelques larmes.

La poigne se défit, et la main vint se poser sur son épaule.

« Je comprends votre douleur, mais vous ne devez pas perdre cette lucidité qui fait de vous un homme sage et respecté. N'entachez pas leur mémoire en faisant quelque chose que vous regretteriez. Rentrez maintenant Renégat. »

La Dame de nuit disparut, comme certaine qu'il n'irait pas plus loin. Et elle avait raison. Il ne devait en aucun cas salir l'image des femmes de sa vie.

Il rentra dans sa chambre, un nouvel ouvrage sur le lit. Il était accompagné d'une note, et il déchiffra le titre du vieux livre. Il perdit un instant le souffle, surpris qu'un tel document ait été déposé dans sa chambre. Maintenant qu'il avait retrouvé sa lucidité, il ne pourrait plus succomber aux tentations de ces nouvelles connaissances.

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