N’EST PAS ŒDIPIEN QUI VEUX

Hervé Lénervé

On me dit que mes contes sont immoraux. Je m’inscris en faux, ils sont simplement d’un atavisme immémorial.

Ce matin je me regarde dans la glace… le miroir… car si c'était une glace à la vanille, je ne me regarderai pas, je me régalerai. Et quand on s'inspecte, on réfléchit évidemment, devant son image réfléchie, seul devant son Moi.

Qui suis-je ? Puisque je suis, pardi ! Parait-il, du moins.

Je suis jeune, encore un enfant, pourtant ma mère l'est encore plus que moi. Certes, elle m'a eu très tôt… elle aussi, encore une enfant… mais quand même. Le temps n'a pas de prise sur elle, il n'en a que sur moi.

La génétique qui nous détermine, taille, couleur de peau comme de cheveux, beau ou ingrat, intelligent ou con, jeune ou non. Pour ma part elle m'a vieilli prématurément, le tabac, l'alcool, les drogues peut-être… mais la génétique avant tout, là tout est écrit. Bien sûr, me direz-vous ou ne me direz-vous pas d'ailleurs, l'apprentissage modèle aussi son modèle, mais sans entrer dans le sempiternel débat entre l'innée et l'acquis, je reste persuadé, pour ma part bien-sûr, pour mon cas assurément, que tout était déjà écrit dans mes gènes.

Donc en regardant cette image de soi dans le miroir, on se remet en question. On tente de comprendre cet étranger familier qui nous dévisage effrontément sans complexe et on s'interroge perplexe.

Comment suis-je perçu par les autres, moi je n'aime pas ce portrait, mais peut-on honnêtement aimer  la vérité de son reflet, alors que l'on se voit toujours différemment, que l'on se vit sur un mode introspectif, imaginatif où notre gros égo valorise toujours notre petite personne et notre apparence. Se voir avec une pensée autre n'est pas à la portée du premier venu. Les acteurs ont peut-être une vision différente de leur représentation, du moins s'ils visionnent leurs prestations. Les coiffeurs aussi à force de se voir sans cesse déambuler devant les grands miroirs du salon de coiffure. Mais pour nous, les autres, qui n'évoluons qu'en aveugle, je pense qu'il est difficile de connaître son aspect, tant physique que sa représentation sociale. Et comme on ne se voit que dans les regards des autres, les réactions d'autrui, on s'arrange, on se distribue le beau rôle, on est toujours le jeune premier de sa production, de son film, de son existence, on se joue sa vie.

 

Bon, bref, je ne suis pas là pour philosopher, mais pour vous raconter une histoire… mon histoire et la voici…en gros, me voilà.

Donc, je me vivais plus vieux que mon âge, que je ne révèlerai pas, je suis garçon certes, mais la coquetterie existe chez nous aussi, les garçons. (Et là, l'éducation entre petites filles et petits garçons est certainement plus déterminante que la génétique pour reproduire des stéréotypes de comportement d'appartenance sexuelle. On ne nait pas fille, on le devient tout autant que c'est au pied du mur qu'on voit le garçon (n'importe quoi). Mais assez de prétentions spirituelles, ça nous barbe, papa, basta. J'aimais ma mère, rien de bien extraordinaire à cela, en général les enfants aiment leurs parents, même s'ils (les parents) ne le méritent pas toujours, pourtant pour mon cas, les miens le méritaient et j'aimais trop ma mère, ou du moins pas de la façon idoine qu'un enfant doit aimer sa mère. Oublions un instant la psychanalyse, (mais peut-on réellement l'oublier) ? Bref, ne tournons pas autour du pot en circonvolutions pudiques, respectables, conforme au système. Soyons pour une fois sincère avec cela et pour ma personne, je l'avoue, je n'avais pas digéré mon complexe œdipien. Donc, trêves de pusillanimité, j'aimais ma mère d'un amour passionnel qui n'a pas sa place entre une mère et son garçon.

Je vous rappelle sans aucune prétention le mythe d'Œdipe, il suffit pour cela d'ouvrir n'importe quel livre traitant du sujet, inutile de prendre de grandes inspirations entre chaque phrases, de triturer ses lunette en écailles de tortue, de prendre la pose pour se faire passer pour un intello,  disons que je vous économise le soin de vous rafraichir la mémoire. C'est toujours très chiant de quitter un bouquin qui vous saoule pour s'informer dans un autre qui vous barbe tout autant. Donc, je suis gentil, je vous fais le tri entre toutes les versions et elles ne manquent pas, il faut dire que cela ne date pas d'hier, non plus, situons la création du mythe vers le VIIème siècle avant JC, (même là, les dates sont sujettes à caution). Donc, disons que je prends la version qui agrémente mon propos.

Monsieur Laïos et madame Jocaste ont un fils, savez-vous comment ils l'appellent ? Et oui Œdipe. Bien, maintenant, attendez ! C'était quand même facile vu le contexte, il n'y a pas là sujet à en tirer gloriole plus qu'il ne faudrait en glorioler.  Malheureusement, les parents ont eu la mauvaise idée d'aller consulter l'Oracle de Delphes, qui leur a prédit, rien moins qu'Œdipe tuerait son père et épouserait sa mère, on peut dire qu'il les collectionne le petit, mais où vont-ils chercher tout ça, ces oracles ? Ils sont vraiment balèzes ou zarbis. Quoi qu'il en soit les parents qui ne sont pas en restent d'imagination non plus, pour se protéger de la prophétie décident d'attacher Œdipe à un arbre sur le mont Cithéron après lui avoir fait percer les chevilles pour y enfiler des chaînes, ça ne plaisantait pas avec la sécurité à Thèbes. Œdipe, comme tout le monde le  sait veut dire « pieds enflés » en vieux grec, (d'accord… en grec ancien si vous préférez). Œdipe finit par être sauvé par  monsieur Polybe (le pauvre…) et madame Mérope (vieille comme mes …) qui vont l'adopter, sans lui changer de prénom, car on a déjà du mal à s'y retrouver dans cet imbroglio d'histoires qu'il serait superfétatoire d'en rajouter une louche. Puis on passe sur moult aventures, dont la plus célèbre est la résolution de l'énigme du sphinx et on passe encore, pour faire cours, sur moult mésaventures pour en arriver au meurtre de son père, qu'il tue pour une broutille en ignorant sa parenté, (l'honneur est sauf, c'est un parricide sans intention de « parracider »). Ensuite, il épouse sa mère de la même façon, enfin sans la tuer, en ignorant tout simplement son identité. Et jusqu'ici, également, il n'y a pas mort d'homme, c'est une expression, car le père, lui, en est bien mort, disons qu'il n'y a pas mort de morale. Je commence à m'embrouiller sérieusement les pinceaux dans cette légende. De toute façon la majorité des textes a été perdue, alors on brode dure, pas vrai Pénélope, Ulysse, lui-même, cite le mythe d'Œdipe dans l'Iliade comme dans l'Odyssée. Bref pour certains Œdipe aurait eu quatre enfants, deux fils et deux filles, avec son épouse, sa mère. Pour d'autres, ils les auraient eus avec une autre, mais une femme quand même. Vous rigolez… mais attention la mythologie a été écrite par de gros mytho et avec eux tout est possible, bref son  histoire n'est pas très moral, non plus, en termes de fidélité, mais reste encore acceptable sur le plan des interdits. Douter d'une paternité, d'accord, mais d'une maternité, c'est quand même plus rare. Bref encore, on est dans le flou le plus total. Aussi, j'arrête là, c'est amplement suffisant pour notre histoire et finalement, contrairement à ce que j'ai bien pu en dire, je pense qu'il vous serait plus utile de consulter un livre sur le sujet.

Donc, pour le cas qui nous concerne… le mien… ma mère était jeune et mon père était mort, mais je ne l'avais pas tué, quoi que… enfin, je ne vais, quand même, pas me foutre totalement à poil devant la justice, un peu de pudeur que Diable. J'étais, je vivais donc seul avec ma mère et sans autre concurrence, il ne reste que des occurrences, de plus c'est connu, il suffit qu'une potentialité existe quelque part pour qu'avec le temps elle se réalise toujours sur votre gueule.

Alors, quand votre mère est belle comme le jour, le soleil et tout ce qui est beau, en gros, les choses ne sont pas si simples. Je l'aimais en secret, je la touchais en fausse innocence, je l'embrassais avec insistance en espérant qu'elle m'aimât en retour d'un amour de maîtresse plus que de mère. Ces jeux de dupes et non de jupes durèrent ce que durent les jeux de dupes et non de roses, c'est-à-dire plus longtemps quand même. Mais tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se mouille et nous finîmes par nous mouiller ensemble. Ce fut l'extase de mon existence et je vous passerai les détails, car on n'est pas dans la pornographie, ici, on est dans la mythologie, chacun sa place, chacun sa route, chacun sa croix. « Grace à Dieu ! Je ne suis pas croyant 1», mais malheureusement ma mère, mon amour l'était pour deux et se voyant condamnée à la damnation éternelle, elle préféra accélérer le processus en mettant fin à notre amour et à ses jours par la même occasion.

J'avais donc tué mon père et aimé ma mère en l'entrainant à sa perte. Parricide, inceste et matricide, c'est dur à porter tout ça, mais à ma décharge je n'ai pas eu d'enfant avec ma mère.

Je suis donc œdipien en conscience de l'être, mais comme je n'ai aucune morale, je ne m'en porte pas plus mal et certainement mieux que ceux qui n'ont aucun fardeau sur les épaules et ne se supportent pas pour autant. Mon seul regret étant d'avoir perdu l'Amour de ma Vie. Je ne ressens aucune culpabilité, je suis seulement détruit par la douleur de la perte. J'ai rompu le cordon « nombrilical ».

 

Moralité : On n'aime jamais ses parents à leur juste valeur.            

 

 

 

1 Expression empruntée au cinéaste espagnol de naissance et  surréaliste d'obédience, Luis Buñuel.

 

FIN

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