Never let her go - Partie 1 -
Laura
Quelqu'un a dit un jour que l'on passait par plusieurs phases lorsque l'on perdait un proche : le déni, le refus, la peur, la culpabilité et l'acceptation. C'est comme ça que les choses étaient censées se passer. Tout le monde devait affronter la mort d'un proche un jour ou l'autre, à un moment donné de son existence. Cela faisait partie de la vie disait-on. Et tout ne tenait qu'à un seul verbe : affronter. Affronter ces sentiments de détresse mêlés à de la colère qui vous envahit lorsque vous réaliser la perte d'un être cher. Affronter toutes ces questions qui tournent en boucle dans votre esprit sans que vous ne puissiez trouver ne serait-ce qu'une seule petite réponse à chacune de ces questions. Affronter ce sentiment de peur qui vous parcourt tout entier lorsque vous vous demandez si vous allez finir par oublier tous les souvenirs qui sont encore vifs dans votre esprit à ce moment là et qui vous rappelle tous ces petits détails que vous aimiez tant : la façon dont cette personne ce déplaçait , la façon dont elle avait de vous sourire, le bruit de ses pas dans les escaliers, l'odeur de son parfum jusqu'au son même de sa voix. Affronter tous ces sentiments jusqu'à ce que vous trouviez enfin le courage de vous relever et de continuer à vivre.
Mais le monde dans lequel nous vivions aujourd'hui était différent. Il avait évolué. Certains vous diront que la société dans laquelle nous nous trouvions désormais nous engouffrait totalement et que la situation devenait petit à petit hors de contrôle. D'autres vous diront le contraire. En vérité, l'évolution de ce monde conduisait petit à petit à effacer le mot « deuil » du dictionnaire. Tout comme le monde qui nous entourait, la façon dont nous appréhendions la mort et la perte d'un proche commençait à changer radicalement.
Elle l'avait déjà compris. Quant à moi ? Je ne le compris que bien plus tard. Des semaines plus tard pour être honnête. Cela m'avait pris des semaines avant que ce que je pensais être un deuil ne prenne une toute autre tournure. Avant ça, j'étais passé par les premières phases que nous étions tous censés traverser, sans jamais atteindre la dernière. Sans pouvoir achever ce que l'on nommait un deuil.
La première phase, celle du déni, ne dure pas, parce que la réalité finit toujours par vous rattraper et bien plus vite que vous ne le voudriez. Vous finissez par réaliser ce qui se passe. Vous réalisez que même si vous avez tenté vainement de vous convaincre que tout cela n'était rien d'autre qu'un horrible cauchemar, ce n'est pas ce qui est en train de se passer et que tout ceci est on ne peut plus réel. Mais surtout, vous prenez conscience de la perte de l'autre et avec ça, vous commencez à vous remémorer une multitude de souvenirs en finissant toujours par vous dire que tout cela est terminé et que vous ne revivrez plus tous ces petits moments partagés qui ont le plus d'importance dans votre cœur.
La peur et la culpabilité sont les étapes les plus difficiles à traverser, sans aucuns doutes. Pourquoi ? Parce que vous n'êtes plus capable de ressentir autre chose que la douleur. Vos souvenirs tournent en boucle dans votre esprit et le pire dans tout cela, c'est que vous les laissez vous envahir complètement, vous êtes presque heureux de le faire. Et puis vient la phase de culpabilité, faite de doutes mais surtout de questions qui commencent toutes par deux mots très simples : Et si ? Et si je l'avais raccompagné jusqu'à sa voiture ce soir-là ? Et si je ne lui avais pas demandé de venir travailler ? Et si je ne lui avais jamais offert ce travail ? Mais bien sûr toutes ces questions ne servent à rien pas vrai ? Bien sûr que non. Elle serve juste à augmenter votre douleur et à vous rappeler qu'il est trop tard et que vous ne pouvez pas revenir en arrière.
Pendant des jours entiers, j'avais été incapable de me reprendre en main. Incapable de prendre mes responsabilités en me rendant au travail. Comment pourrais-je me rendre à toutes ces réunions, entourés de gens sans doutes importants au développement de mon entreprise, et prétendre pouvoir prendre des décisions importantes lorsque j'étais incapable de me concentrer ne serait-ce que sur des images qui défilaient devant moi à la télévision ? C'était impossible. Et peu m'importait les innombrables coups de téléphone que je recevais au fil de la journée pour me convaincre que je devais revenir parce que j'avais quoi déjà ? Ah oui, des responsabilités.
Anthony, un ami de longue date, le seul en qui j'avais vraiment confiance avait pris les devants avec moi et quand j'avais tenté de le convaincre qu'il n'était pas obligé de faire ça, il m'avait simplement répondu que les amis étaient faits pour ça. A un certain point, il prenait soin de moi de la même façon qu'on veillerait sur un enfant et les journées se ressemblaient, jour pour jour. Il m'envoyait un texto pour me prévenir de son arrivée, pour me dire de prendre une douche et de m'habiller. Je l'ai ignoré les premiers temps. Tout comme j'avais ignoré la nourriture qu'il m'apportait. Jusqu'à ce que je me rende compte d'à quel point il était brisé lui aussi. Il l'a connaissait autant que moi et il avait toujours été le grand frère qu'elle n'avait jamais eu.. Et le jour où j'ai croisé son regard, empli de pitié et de tristesse, j'ai aussi compris que je devais faire ces efforts, aussi petits soient-ils parce que j'avais été égoïste. J'avais laissé ma souffrance m'envahir totalement sans être capable de voir celle que ressentait les autres. Ce jour-là, j'avais finit par me lever, j'avais pris une douche, la première depuis des jours et m'étais habillé avec d'autres vêtements que ceux que je n'avais pas quitté eux aussi pendant des jours.
En quittant la salle de bain, Anthony se tenait contre le bar américain et il m'avait désigné l'assiette qui y était posé en me disant que je n'aurais pas le droit de quitter la table tant que je n'aurais pas finit mon repas. Comme à un enfant, oui. J'avais obéi et pendant quelques secondes, j'avais presque eu l'impression de me sentir mieux, non, pas mieux,mais disons juste un peu plus vivant. Mais ce sentiment retomba aussi rapidement qu'il était apparu lorsqu'Anthony me demanda quand j'avais l'intention de retourner au bureau et j'avais beau chercher dans mon esprit ce que je devais répondre, je ne parvenais pas à trouver une seule phrase à dire. Alors je resta complètement silencieux, en me bornant à baisser le regard sur mon assiette désormais vide pour éviter de croiser son regard. J'avais entendu un soupir s'échapper de sa gorge avant qu'il ne se lève pour partir, en ignorant mon absence de réponse. Il s'était contenté de me dire qu'il passerait le lendemain. Et puis il prononça une seule phrase. Juste quelques mots qui formaient une question et qui continua à résonner dans ma tête après qu'il ait quitté mon appartement : « Qu'est-ce que tu crois qu'elle te dirait si elle te voyait ? »
C'est comme cela que je me retrouva sur le chemin du bureau du bureau dés le lendemain matin. Pas parce que j'en avais envie, pas non plus pour faire plaisir aux autres et encore moins parce que j'avais soudain pris conscience de toutes les responsabilités à auxquelles je devais faire face. Non. C'était juste pour elle. Parce que c'est exactement ce qu'elle aurait voulue que je fasse. Je savais parfaitement ce qu'elle m'aurait dit, ce qu'elle aurait fait si elle avait été capable de me voir les jours précédents. Elle serait rentrée dans mon appartement sans prendre la peine de me prévenir à l'avance, elle m'aurait jeté un coup d'oeil inquiet puis elle se serait dirigé vers l'armoire sans dire un mot avant de me lancer des vêtements en m'ordonnant de m'habiller. Elle aurait débiter ce genre de phrases dont elle seule avait le secret et qui ne semblait jamais vouloir se terminer tout ça avec les sourcils froncés et les bras agités dans le vide au fur à mesure qu'elle parlait. Elle m'aurait dit que je devais sortir , voir du monde et reprendre mes responsabilités là où je les avais laissés. Et surtout elle m'aurait dit qu'il fallait que j'avance.
Ce matin là, en arrivant au bureau, j'ignorais encore que ma vie prendrait un tout autre sens, à peine quelques heures plus tard. Ce jour-là, j'avais passé la matinée dans mon bureau, à brasser tous les dossiers qui s'y accumulaient, à mettre en attente les nombreux appels téléphoniques que je recevais tandis que je répondais à d'autres. J'avais vu passer des dizaines et des dizaines de personnes dans mon bureau qui venaient me rappeler tous les rendez-vous auxquels je devais assister dans la semaine ou qui étaient simplement passés pour me faire signer des papiers que j'aurais du signer il y a des jours déjà. Mais ce n'était pas leur travail. C'était le sien. Et le bureau vide qui était face au mien, séparé seulement par une grand baie vitrée ne cessait de me rappeler. Je savais que je devrais finir par prendre une décision, que je devrais finir par me résoudre à employer quelqu'un d'autre pour...la remplacer. C'est ce qu'un PDG était censé faire, non ? Prendre des décisions, quoi qu'il se passe. Et ce genre de décision était censé faire parti de mon travail. Mais vous voulez savoir la vérité ? Je ne supportais pas l'idée que quelqu'un d'autre puisse prendre sa place, que quelqu'un d'autre puisse s'asseoir sur son siège, que quelqu'un d'autre qu'elle touche ses ordinateurs, les seules choses qu'elle ne me laissais pas toucher, sous aucuns prétextes, par peur irrationnelle qu'un geste maladroit ne vienne ruiner le travail qu'elle fournissait sur ses machines depuis des mois. C'était ses mots, pas les miens.
Sans vraiment comprendre pourquoi ni comment, je m'étais retrouvé dans son bureau à la fin de la journée. J'imagine que je m'y étais simplement dirigé par automatisme parce que c'est ce que je faisais toujours quand la fin de la journée approchait, quand je savais que plus personne ne risquait d'entrer dans mon bureau pour une chose ou une autre. J'allais simplement dans son bureau et nous discutions de tout et de rien. Aux yeux de toutes les personnes qui composaient cette entreprise, elle n'était rien d'autre que mon assistante, une employée parmi tant d'autres. Mais soyons honnêtes quelques secondes : elle était bien plus que ça. Au fil des mois, elle était devenue de loin la personne en laquelle j'avais le plus confiance. Elle voyait toujours le bon côté en moi et elle savait toujours me déchiffrer, quelque soit les circonstances, comme si elle pouvait lire en moi comme dans un livre ouvert, de la même manière qu'elle savait trouver les mots qui me rassureraient ou les mots qui me feraient sourire quand j'en éprouvais le besoin. Vous voulez savoir le pire dans tout ça ? C'est que je n'avais jamais avoué l'importance qu'elle avait pour moi. Ni aux autres. Ni à elle. Ni à moi-même. Vous connaissez cette phrase qui dit que l'on se rend compte de l'importance qu'une chose avait pour nous une fois que nous la perdons ? Cette phrase est on ne peut plus vrai, croyez-moi.
A présent, je me retrouvais assis dans son siège que je faisais pivoter de gauche à droite comme elle l'avait l'habitude de le faire. Au moment où l'accoudoir frappa le bureau, l'écran de l'ordinateur s'alluma, brisant le mode veille dans lequel il avait été plongé. Ca m'était complètement sorti de l'esprit. Avant de quitter le bureau ce soir-là, elle m'avait prévenu qu'elle mettait à jour quelques programmes, que je ne devais toucher à rien et qu'elle s'en occuperait le lendemain. Personne ne devait être rentré dans cette pièce depuis. Les programmes étaient toujours là, dispersés un peu partout sur l'écran. Sur certains d'entre eux, une mention « signal perdu » s'affichait en lettres capitales rouges. Glissant ma main sur la souris, j'entrepris de les fermer un à un et je souris faiblement en pensant à ce qu'elle me dirait si elle me voyait toucher à son ordinateur en ce moment. Elle se serait probablement précipiter vers moi et elle m'aurait sans doutes arrêter bien avant que je ne puisse faire quoi que ce soit. Avec ça, elle aurait débiter tout un tas de phrases toutes plus longues les unes que les autres sans que je ne puisse trouver assez de temps pour prononcer ne serait-ce qu'un mot et elle aurait finit par se forcer pour arrêter son flot de paroles. Ca faisait parti de ses caractéristiques. Au moment précis où j'allais éteindre complètement l'ordinateur, une icône tout en haut à droite de l'écran attira mon attention. C'était le seul fichier éloigné des autres. Un programme, représenté par une tête de panda. J'ignore ce qui me poussa à l'ouvrir mais je le fis. Je dirigea simplement la flèche sur le panda et double-cliqua sans même y réfléchir à deux fois.
« Accès verrouillé. Veuillez vous identifier » annonça une voix électronique au travers des hauts-parleurs.
La raison aurait surement voulu que je m'arrête ici, que je ferme ce programme sans chercher à aller plus loin et plus encore, la raison m'aurait poussé à me demander pourquoi ce programme requérait un accès. La vérité ? La vérité était que je me fichais de la raison. La curiosité était plus importante.
«Samuel »
Je fus étonné par le son de ma propre voix. Elle était juste...brisée. En revanche, je ne fus par surpris d'entendre un nouveau message en provenance de l'ordinateur.
« Veuillez répéter »
« Samuel » dis-je plus clairement, après m'être éclaircit la gorge.
« Accès autorisé »
Des fenêtres, par dizaines, s'ouvrirent les unes après les autres, bien trop vite pour ne que je ne puisse avoir le temps d'en observer le contenu. C'est au moment où j'approchais mon visage de l'écran que je l'entendis.
« Samuel ? »
Mon souffle sembla soudainement se bloquer au travers de ma gorge tandis que des larmes commençaient déjà à atteindre mes yeux. Il ne s'agissait plus de cette voix électronique inhumaine qui avait émergé plus tôt. C'était la sienne qui résonnait à travers les enceintes. Mégane.