Never let her go - Partie 3 -

Laura

"You only know you love her when you let her go" PARTIE 3

« Je sais que tu ne vas pas aimer ce que je vais dire, Samuel, mais je pense qu'il est temps de supprimer ce programme ».


« Non » répondis-je presque aussitôt d'un ton froid et sans appel en faisant quelques pas en direction d'Anthony.


« Elle était aussi mon amie Sam'» continua Anthony, « et crois-moi quand je te dis qu'elle me manque, plus que n'importe qui, mais on doit trouver le moyen de continuer sans elle. Tout ça... tout ça n'est pas normal ».


« Tu dis qu'elle te manque... Mais tu serais prêt à laisser partir la seule chose qu'on a encore d'elle ?! »


«Ce n'est pas comme ça qu'elle voudrait que les choses se passent »murmura-t-il en ignorant ma question. « Si elle était vraiment là en ce moment, elle te dirait que ce qui s'est passé n'est pas ta faute et elle te supplierait d'avancer ! »


« Ne me parle pas de ce qu'elle voudrait ou de ce qu'elle pourrait me dire ! » m'écriais-je en pointant un doigt accusateur en sa direction « Parce que tu ne sais pas ce qu'elle voudrait. Pourquoi est-ce que tu penses qu'elle aurait créer ce programme si ce n'est pour ça, hein ? »


« Je ne pense pas que Mégane avait prévue de mourir, Samuel. Elle a crée ce programme dans le cas où elle m'absenterait. C'est tout. Et tu veux savoir ce que j'en pense ? Je pense que si elle te voyait maintenant, elle serait horrifié par ce qu'elle a crée ! »


Je crois qu'aucun de nous deux n'eut le temps de comprendre ce qui se passa ensuite. Je fus incapable de réfléchir à ce que j'étais en train de faire et Anthony n'eut pas non plus le loisir de le voir venir. Je laissa la rage et la douleur me contrôler complètement tandis que mon poing s'écrasait contre la mâchoire d'Anthony. La force du coup l'entraina au sol bien avant que je ne puisse réagir. Je resta debout, le regard baissé vers lui, choqué par ce que je venais tout juste de faire. Incapable de dire quoi que ce soit, je le vis se remettre debout, une main sur la mâchoire, et se diriger vers la porte de mon bureau. Il s'immobilisa quelques secondes, la main sur la poignée et tourna son regard vers moi.


« Si, un jour tu veux vraiment voir Mégane, tu devrais essayer le cimetière ».


Après le départ d'Anthony, nous étions restés quelques minutes silencieux Mégane et moi. J'avais réactivé son hologramme avant de me réfugier sur le canapé au fond de la pièce. A demi-allongé, les bras croisés derrière ma nuque, j'observais le plafond alors que la discussion que je venais d'avoir avec Anthony continuait de repasser en boucle dans ma tête.


« Il a raison Sam' » murmura finalement Mégane.


« Non, il a tort » répliquais-je en tournant le regard vers Mégane.


Un air abattu sur le visage, elle se dirigea vers le canapé où j'étais allongé et j'entrepris de m'y asseoir, lui laissant un espace pour qu'elle puisse m'y rejoindre. Lorsqu'elle le fit, je remarquais la façon étrange dont les coussins restèrent parfaitement immobiles, l'absence total de petits détails qui me ferait dire qu'elle était vraiment là. L'absence des coussins qui s'enfoncent sous poids. L'absence de l'odeur de son parfum. L'absence de sa présence tout court. Bien sûr. Parce qu'elle n'était pas vraiment là, ce n'était pas vraiment elle et au fond je le savais. J'avais juste choisi de l'ignorer.


« Ca ne pourra pas toujours être comme ça...Je suis, enfin je veux dire, ce programme est limité Sam' et dans quelques mois, quelques années tout au plus, je ne serais peut-être plus capable d'évoluer. Les choses changent, la technologie aussi et je... »


« Tu as dit que tu pouvais t'adapter »


« Dans une certaine mesure, oui. Mais il y a des limites que je ne pourrais plus franchir avec le temps et puis...et puis qu'est-ce qui se passera pour toi ? Tu vas vieillir mais moi pas. Je resterai comme je suis aujourd'hui »

Mes yeux s'emplirent de larmes et je passais ma main sur mon visage pour tenter de les retenir de tomber. Elle avait raison et je détestais devoir l'admettre. Le temps continuerait de faire son œuvre dans ma vie mais pas dans la sienne.


« Je ne peux pas faire ça, Mégane. Je ne peux pas te laisser partir. Je ne peux pas avancer. Pas sans toi. Pas dans un monde dans lequel tu n'existes plus »


« Hmm ! Oui, je n'imagine pas le monde sans moi non plus ! » s'exclama-t-elle


Malgré ma gorge serré, je laissais échapper un petit rire et lui adressai un faible sourire en guise de remerciement. Programme ou pas, elle savait toujours trouver les mots qui me feraient sourire, ne serait-ce qu'un tout petit peu.


« Anthony a raison » reprit-elle plus sérieuse « Il serait temps que tu songes à la possibilité de supprimer ce programme »


« Mégane... »


« Les souvenirs que tu as de moi, de la vraie moi, seront toujours là. Ils n'iront nul part et je serais toujours là. Ca sera juste d'une manière différente d'aujourd'hui ».


« Tu ne comprends pas. Je ne peux pas parce que...parce que je t'aime. Je t'aime tellement »


« Moi aussi je t'aime ! » s'exclama-t-elle en riant.


Elle ne comprenait pas. Elle ne comprenait pas la signification exacte de mes mots. Elle me l'avait dit il y a des semaines déjà : le programme était basé sur l'observation. Sur la façon dont Anthony et moi nous nous comportions avec elle. Rien de plus. Le souvenir de Mégane et Anthony se fraya aussitôt un chemin dans mon esprit. Ils se taquinaient souvent et ces trois mots, « je t'aime », étaient prononcés d'une façon totalement différente, d'une manière amical comme lorsqu'elle criait un « moi aussi je t'aime » joueur. Et à ce moment précis, la Mégane que j'avais en face de moi ne pouvait pas comprendre. Parce que je les avais jamais prononcé auparavant, malgré toutes les fois où j'aurais voulu le faire, malgré toutes les fois où ces mots faillirent s'échapper de mes lèvres. Elle ne savait pas.


Incapable de répondre, la gorge à nouveau serrée, je me leva du canapé, pris ma veste qui était y adossée et l'enfila. Je m'apprêtais déjà à quitter la pièce lorsque sa voix me rattrapa avant que je ne puisse passer la porte.


« Samuel ? Où est-ce que tu vas ? »


Je ne répondis pas. Je me contenta juste de quitter mon bureau aussi rapidement qu'il était possible de le faire sans me retourner, sans même adresser un regard à Mégane.


En quelques minutes, je me retrouvais sur ma moto, sillonnant les rues vides de la ville, repoussant les limites de la vitesse autorisée. La nuit était déjà en train de tomber et avant que je ne puisse réaliser ce que j'étais en train de faire, je passais déjà les grilles du portail du cimetière. Je gara ma moto contre un arbre et continua le reste du chemin à pied.



Tandis que mes bottes s'enfonçaient dans le gravier, je réalisais soudain que je n'avais pas la moindre idée d'où je devais aller pour me rendre sur sa tombe. Je n'étais jamais venu ici. Ni pour son enterrement. Ni pour lui parler. Ni pour déposer des fleurs. Alors je continua à marcher, parcourant les allés les unes après les autres,.J'observais chaque tombe à la recherche d'un seul nom, le seul qui comptait à mes yeux. J'avais toujours éprouvé un sentiment étrange en entrant dans un cimetière. Certains voyaient en eux un lieu d'hommage et de respect, un moyen de se recueillir mais moi ? Je ne ressentais rien de plus qu'un profond mal à l'aise et plus j'avançais dans ces allés ornées de fleurs, plus je sentais une sorte de pesanteur étrange écraser ma poitrine.


Au bout d'une vingtaine de minutes passées à marcher, je trouva enfin ce que je cherchais. Une pierre tombale en granit gris avec quelques mots gravés en son centre d'une écriture fine et élégante.


Mégane Baker. 1991 – 2014. Ton absence renforce le souvenir de ta présence.


Des roses oranges, celles qu'elle préférait, avaient étés déposés sur le haut de la pierre. Je ne sais pas vraiment si ce fut les mots gravés sur la pierre ou la vue des roses qui avaient étés déposés ici pour elle qui eurent cet effet sur moi mais je pris soudainement conscience de tout ce que j'avais manqué, de tout ce que j'aurais du faire pour elle dans les dernières semaines. J'aurai du assister à son enterrement et dire quelques mots, j'aurais du venir me recueillir ici et lui parler, lui déposer des fleurs, peu importe, mais au lieu ça, j'avais choisi de nier ce qui s'était passé et de m'enfermer dans une fausse réalité. Anthony avait raison. Elle n'aurait pas voulu ça. M'agenouillant devant la pierre tombale, je laissais pour la première fois mes sentiments m'envahir complètement tout comme je laissais les larmes rouler sur mes joues sans chercher à les retenir. Ce n'est qu'au bout de quelques longues minutes que je m'aperçus que je n'étais pas seul et je n'avais pas besoin de me retourner pour savoir de qui il s'agissait. Anthony.


« Tu m'as suivi » constatais-je en passant ma main sur mon visage pour essuyer mes larmes.


« Je vois que tu as suivi mon conseil » répondit-il simplement et je devinais une forme de soulagement dans le ton de sa voix. « Je viens ici une fois par semaine, déposer quelques fleurs » ajouta-t-il tandis qu'il remplaçait les roses déjà déposés par des nouvelles.


Je me retournais assez pour observer l'entaille que j'avais provoqué sur le bas de sa mâchoire mais il ne semblait pas en tenir compte, ni même m'en vouloir et je savais qu'il ne me le reprocherait jamais. Mais savoir qu'il ne m'en voudrait jamais pour ça ne faisait qu'augmenter la culpabilité que je ressentais déjà.


« Elle ne le savait pas » murmurais-je d'une voix tellement basse que j'étais incapable de savoir s'il m'avait entendu.


« Elle ne savait pas quoi ? »


« Que... Que je... » commençais-je sans être capable de continuer.


Anthony resta quelques secondes silencieux avant qu'il ne comprenne ce que je cherchais désespérément à dire. Je l'entendis pousser un soupir avant de sentir le poids de sa main contre mon épaule.


« Elle savait. Bien sûr qu'elle savait que tu l'aimais, Sam' »


« Non ! » répliquais-je aussitôt « Je lui ai dit quand tu es parti. J'ai dit à Mégane, au programme, que je l'aimais et elle n'a pas compris »


« Je n'arrête pas de te le dire, Samuel. Ce n'est qu'un programme. Ce n'est pas elle. Mais Mégane, la vraie Mégane, elle savait. Crois-moi ».


Je ne lui demanda pas comment il pouvait le savoir mais je savais que Mégane et Anthony partageait toujours tout un tas de choses, ils se confiaient mutuellement ce qu'il ressentait et peut-être qu'ils avaient parlé de ça aussi. Je savais ce qu'elle ressentait pour moi, je le savais depuis des mois mais je n'avais rien fait pour lui dire que, moi aussi, je ressentais exactement la même chose.


« Je ne lui ai jamais dit, Anthony. Je ne lui ai jamais dit ce que je ressentais et maintenant... »


Et maintenant je n'aurai plus la chance de pouvoir le faire.


« Tu auras toujours des regrets sur ce que tu aurais pu faire en ce qui la concerne. Et il te faudra du temps mais tu finira par accepter ce qui est. Et un jour, tu acceptera de la laisser partir »


Anthony resta quelques longues minutes derrière moi sans que l'un de nous deux ne disent quoi que ce soit puis sans rien ajouter, il quitta le cimetière en me laissant seul. Je resta ici quelques heures de plus à contempler le marbre.


Les jours qui suivirent furent différents des semaines entières qui avaient précédés. J'avais pris la décision de prendre de la distance avec tout ce qui me rappelait Mégane. Je continuais à utiliser le programme comme avant mais je m'étais forcer à me concentrer sur autre chose. Sur le travail. Sur mes amis, ma famille. J'avais passé du temps avec Anthony sans qu'aucun de nous n'aborde le sujet de Mégane ou du programme. J'étais retourné au cimetière pour y déposer des fleurs et je m'étais même surpris à lui parler.


Les quelques heures que je passais avec Mégane, avec le programme, me firent petit à petit prendre conscience de toutes les choses que j'avais choisi d'ignorer. Toutes les failles que comportait ce programme. Toutes les choses que je serais incapable de faire avec elle. Elle ne pourrait jamais me prendre dans ses bras comme elle avait l'habitude de le faire quand j'avais besoin de réconfort. Je ne pourrais jamais lui dire que je l'aimais ni aborder des sujets personnels avec elle parce qu'elle serait incapable de comprendre. Je ne pourrais pas non plus reconnaître le bruit de ses pas lorsqu'elle se précipiterait dans mon bureau tout comme je ne pourrai pas non sentir à nouveau l'odeur de son parfum dans son bureau. Anthony avait raison depuis le début, mais ça aussi je mettais bien gardé de le reconnaître. Mégane était là, oui, mais ce n'était pas elle. Pas complètement.


Et puis tout pris une direction différente.J'avais passé la journée à réfléchir, alors même que je tentais vainement de me concentrer sur le travail que j'étais supposé faire. J'étais plongé dans mes pensées lorsque la voix de Mégane retentit dans la pièce.


« Samuel ? Tout va bien ? »


« Mégane » commençais-je avant de relever les yeux sur sa silhouette. J'observais ses traits du visage marqués par l'inquiétude, de la même manière qu'elle l'aurait fait.


« Mégane... il est temps de se dire au revoir ».


« D'accord ! » me répondit-elle sans émotions.


Elle ne pouvait comprendre ni le sens ni le poids de mes mots. Parce qu'elle n'avait pas été programmée pour ça. Pas pour des au-revoirs. J'approchais ma main tremblante de la souris et en quelques clics seulement, une fenêtre apparu devant mes yeux, me demandant si j'étais sûr de vouloir supprimer ce programme.


« Sam' ? »


« Oui ? » répondis-je aussitôt, la voix brisée par les larmes qui menaçaient déjà de tomber.


« Tout ira bien, tu verras»


« Je sais» soufflais-je en même temps que j'appuyais sur le bouton gauche de la souris.


Je relevais la tête pour l'observer une dernière fois tandis que son image disparaissait petit à petit devant mes yeux. Je la vis me sourire et un instant plus tard elle était partie. Un sanglot émergea du fond de ma poitrine et résonna dans la pièce désormais animé seulement par ma présence.


« Au-revoir Mégane » murmurais-je dans le silence.

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