NO SIGNAL

Gab Led Zepp

Les débuts de longs travaux, petits essais en perspectives

Jeudi 23 Décembre:


Je suis revenu. Je ne l'ai dis à personne et pourtant me voilà. Pèlerinage sur les traces d'une vie antérieure. J'ai revu ces grosses dames de l'aéroport, cloitrées derrière leurs vitres, vissées sur leur fauteuil plastique de chez Cost U Less. Elles m'ont demandé mon nom et mon adresse: Je leur ai donné mon passeport. PARIS GABRIEL, 02/12/1996, 18, Camel Road, 97150, St Martin, Antilles Néerlandaises. Elles m'en ont voulu d'avoir à tourner les pages… Je leur donnais une bonne raison de ne pas sourire. Elles m'ont tamponné. Un bruit sourd marqué au fer rouge pour la millième fois et, toujours ce mépris, odieux, désinvolte.. Les dames de l'aéroport à jamais emblématiques du profond désarroi, du constant désagrément causé par l'homme blanc. Aussi larges que hautes que racistes qu'haineuses envers tout élément extérieur à l'intérieur: les dames de l'aéroport. Ainsi passais-je la douane, dévalai les escaliers et me ruait vers la sortie. Je croisai le regard inquiet d'un agent de sécurité, puis longeai le couloir trop étroit qui nous mène à la lumière. C'est comme une seconde naissance finalement, tu passes les formalités puis te voilà de nouveau asphyxié.


Mon premier pas en ce milieu hostile marquait vraisemblablement le point final de ce qui avait paru être un voyage de 19 mois 20 heures 32 minutes. Cette transition bien qu'infiniment jouissive, c'est le traditionnel coup de massue marqué par cette chaleur épaisse qu'on peine à avaler. J'ai traversé la route, fait quelques pas vers Sympson Bay puis j'ai attrapé un bus, au vol. J'ai agité ma main, geste bref, précis, imparable, sorte de droit inaliénable réservé aux initiés de longue date, puis le bus s'est arrêté. J'ai souvent admiré avec quelle habileté et quelle extraordinaire précision l'aptitude qu'ont ces chauffeurs à repérer un homme au milieu du bordel ambulant, du constant despotisme routier d'un pays en guerre contre les abris-bus. L'adrénaline qui toujours couvre un sommeil écrasant puise ses ultimes ressources dans l'idée de croiser quelqu'un d'avant.. J'ai pris la première place près du chauffeur, l'idée me travaillait: Sorte de fantasme pudique : Se mettre dans la peau d'un autre, s'imaginer au travers lui, enfin et surtout reproduire les émotions que cela lui causerait en me voyant là tout à fait vautré comme avant, avec ma grande et fine allure, puis mon air des plus ahuris. Personne cependant que je puisse identifier comme tel. En fait le bus était vide… Des vis et des boulons semblaient manifester leur farouche mécontentement au travers d'une structure qui n'était plus tout à fait la leur: Le bus a pris la route et c'est là, que tout recommençait: La paupière mi-close, le front suant, une plaquette de beurre fixée entre chaque aisselle, les picotements importuns d'une narine à la fesse gauche, des épaules jusqu'au bas du dos. Quelques sueurs dégoulinantes dévalent jusqu'aux poplités, terminent leur course dans un semblant de chaussure. C'est là toute l'ignominie du bénin trajet reliant d'une rive à une autre. Les Caraïbes, dans toute leur grandeur, splendeur, démente poésie. Une maison sans toit pour éviter la taxe, un chien errant aux bas quartiers de Pelican. Une poule et ses poulets traversent au Pineapple, l'air pressé, infiniment plus occupé qu'un commerce chinois vieillissant, pourrissant même aux abords du Bajatsu établissement gastronomique et Américain. Entre deux Hummers on croise ces hommes chiquement vêtus, prêcheurs du dimanche. La Bible comme parole de chanson, c'est à cela qu'elle sert le mieux, ici l'Église a tout compris. Bientôt le ciel inerte s'assombrit, laissant place au joyeux spectacle du chaos: Le déluge. Ainsi la Caraïbe perd toute crédibilité, chaque demie heure passée. Et c'est tout à mon honneur ceci dit, moi qui à cet instant suis pareil à la braise que l'on noie, que l'on peine à étouffer. La violence et l'acharnement avec lequel quelques gouttes s'abattent nerveusement contre la carcasse du car  réveille en moi le souvenir d'une odeur particulière.. Le processus par lequel l'intelligence humaine modifie son environnement au moyen de schèmes reste et demeure tout à fait mystérieux. Une odeur de brûlé diffuse dans tout le camping, l'été dernier, alors qu'il pleuvait à verse, et que ma tente me procurait l'immense satisfaction d'un confort rudimentaire et pourtant si luxueux.

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