Noé ne sait pas où donner de la tête

Bernard Delzons

Chacun son masque : Il vaut mieux en rire

 

Le Déluge :

 

Ce matin-là Noé était catastrophé. Devant son arche il y avait encore une foule qui voulait venir à bord. Mais ce ne serait pas possible, il n'y aurait plus assez de place. Il y avait déjà trois jours qu'il laissait monter à bord toute sorte d'individus sans aucune distinction de race, de taille de poils ou de plumage. Il n'avait exigé qu'une seule chose pour les accepter : ils ne devaient pas avoir de température. Il y eut quelques récalcitrants, mais ils se montra intransigeant. Mais c'était compliqué, la température dépendait de l'espèce, ce n'est pas la même chose pour un serpent et pour un orang-outan ! Sans parler des thermomètres, l'instrument ne peut être le même pour un éléphant et une souris… 

 

Maintenant, une nouvelle chose le tracassait, les individus allaient être trop serrés, en cas de maladie, la contagion de tous serait inévitable. Il fit travailler sa femme et ses enfants pour confectionner des masques pour chacun. Il commença à les distribuer, mais aussitôt la rébellion commença. Les uns criaient à la dictature, les autres hurlaient parce qu'on restreignait leur liberté. Ceux qui criaient le plus fort, étaient ceux qui avaient hurlé parce qu'on ne leurs donnait pas les moyens de se protéger.

Les girafes prétendaient ne pas en avoir besoin, car elles dominaient de très haut. Le putois pensait mourir asphyxié tant son odeur était forte. Les kangourous les avaient immédiatement cachés dans leur poche. Le rhinocéros l'avait percé avec sa corne. Et l'éléphant plus docile l'avait mis sur sa bouche, mais la trompe n'était pas couverte.

Il fallut se remettre à coudre pour trouver des solutions adaptées pour chacun. Pour les éléphants on ferait deux masques distincts, un pour la bouche, l'autre pour la trompe. 

 

Enfin, l'arche s'était éloignée du rivage, presque prête à affronter la tempête. Mais la contestation continuait. Noé décida d'accoster à nouveau et demanda à tous ceux qui ne voulaient pas porter le masque de descendre. Comme les récalcitrants ne voulaient pas obtempérer, il ordonna à ses soldats de les faire sortir. Ce fut des cris d'orfraie : on voulait les faire mourir, il fut traité d'Hitler. Noé garda son calme mais resta ferme. Il y avait sur le rivage des malheureux qui ne demandaient qu'à monter sur l'arche, à la place des râleurs. Il le fit savoir et petit à petit il vit que tous avaient mis leur masques.

 

Il allait dire de relancer l'embarcation quand il s'aperçut que certains trichaient en le mettant en dépit du bon sens, pas sur le nez, pas sur la bouche, sur le menton, sur les oreilles… Il piqua alors une énorme colère et sans réfléchir, il baissa son pantalon et sortit sa bistouquette de son caleçon et se mit à hurler : « porter vos masques comme vous le faites, c'est comme mettre mon caleçon comme vous pouvez voir ! » Il remit son attirail en place et remonta son pantalon. Une rumeur sourde remontait de partout. Furieux, il décida de faire redescendre tout le monde. Le déluge était imminent. Il fallait faire vite. 

 

Les individus remontaient à bord que s'ils n'avaient pas de température et s'ils étaient correctement masqués. Le dernier venait d'arriver sur le pont que la pluie commença à tomber, puis ce fut les rafales de vents et les coups de tonnerre. Les amarres avaient lâché et l'arche partait à la dérive, emportée par les flots.

 

Le silence régnait, Tous comprenaient enfin qu'il s'ils voulaient survivre, il devait faire preuve de solidarité et d'un peu moins d'égoïsme.   

 

 

Le jugement dernier ou presque :

 

Noé se croyait sorti d'affaire, malgré la tempête qui faisait rage. Il avait distribué à chacun une potion, à sa façon, contre le mal de mer. Il n'était pas possible de demander de garder le masque avec des vomissements. 

Il avait installé une police de surveillance pour s'assurer que chacun respectait les règles. Il avait choisi pour ce faire, la fouine qui mettait son nez par tout, un corbeau meurtri de ce que lui avait fait le renard, il était sûr qu'il ne se ferait plus berner, un hibou parce qu'il voyait la nuit, enfin un blaireau, parce qu'au moins si on le traitait de « blaireau », il saurait pourquoi.  

Mais la police, ne suffisait pas, il fallut aussi mettre en place un tribunal pour régler les problèmes de voisinage.  Il choisit trois juges, un chimpanzé, comme président, un tigre comme premier assesseur, un boa qui pouvait hypnotiser les plaignants trop agités. Il se dit qu'il manquait quelque chose et se rappela qu'il fallait un greffier, il désigna son chat sans lui demander son avis. Il y avait eu d'autres candidats à ce poste, le lion par exemple, le roi des animaux avait-t-il dit. Un juge ? Le roi Louis, oui, le roi lion, non. Noé avait cherché dans ses tablettes, il n'avait rien trouvé dans les dix commandements, mais dans la tablette à Peul, il avait compris ; aussi au dernier moment, il avait demandé au rusé renard de compléter l'équipe.

    

Pas plutôt installé que le tribunal fut débordé tout le monde portait plainte pour un oui, pour un non : le cheval réclamait parce qu'on l'avait traité de facteur, Le lion, parce qu'on avait placé devant lui une pancarte avec cette phrase « Au lit on dort », La souris parce qu'on lui avait dit qu'elle était chauve, le canard parce qu'il s'était fait canarder, L'hippopotame parce qu'il se faisait appeler Tamus, une sorte de restaurant… Les audiences n'arrêtaient pas et le greffier était même venu se plaindre à son maître.    

Et voilà que ce même tribunal, complètement submergé par les dossiers, avait osé mettre en cause sa décision de faire porter le masque à tous. Il n'y avait aucun doute, il avait été manipulé par la horde des insatisfaits de tout genre. C'était, paraît-il, liberticide ! Il argumentait son jugement en disant que le problème était la généralisation et que le danger n'était pas le même suivant que l'on était sur le pont ou dans la soute.

Noé était en colère, mais que pouvait-il faire, s'il entérinait la décision du tribunal il était sûr que la demi-heure suivante, plus personne ne porterait le masque. Mais s'il l'imposait malgré tout, on le traiterait de dictateur. Le rat « Dégou » gueule si fort que ça va être la révolution. Certains ont, déjà, ressorti leur gilet jaune. Il va falloir faire gaffe à l'explosion ! Noé depuis son « beau-window » sur la passerelle, convoque le tribunal et lui explique sa décision, à eux de la faire connaître à la population.

Voici ce qu'il leur avait dit :

 

-       A partir de Lundi, le masque ne sera plus obligatoire, Chacun prendra la décision qui lui convient le mieux, mais en cas de conflit entre deux voisins, c'est le tribunal qui devra régler le problème.

-        

Noé fit connaître sa décision à l'ensemble de la population de l'arche, certain que le tribunal emploierait des termes incompréhensibles par tous. 

Dés 10 heures du premier lundi où la nouvelle règle s'était appliquée, il y eut la queue devant le tribunal. Les plaignants venaient parce que leur voisin ne portait pas le masque ou l'inverse. Celui-ci parce que son masque était moins respirant cet autre parce qu'il n'était pas aussi sexy…A midi, les juges voulurent s'arrêter pour déjeuner, mais ce fut l'émeute. A vingt heures, ils n'avaient toujours rien avalé, et la queue était de plus en plus longue. A minuit, n'en pouvant plus, ils ont appelé Noé pour lui dire d'imposer à nouveau le masque pour tous.

Noé leur demanda pourquoi. Ils se regardèrent et d'une seule voix ils lui répondirent : « Pour être respecter et respectable, une règle doit être simple, sans ambiguïté et compréhensible par tous. » 

Noé ne put s'empêcher de sourire, et leur demanda de faire savoir leur décision à la population. 

L'émeute était inévitable, Noé pensa envoyer la troupe pour rétablir l'ordre, mais une colombe apparut au-dessus de l'embarcation, le ciel s'éclaircit, les nuages s'estompèrent  et le soleil refit surface. La mer se calma et l'arche put accoster. Il décida de faire sortir les petits d'abord, puis ce fut le tour des invertébrés, les « à plumes » avaient quitté le navire à la suite de la colombe…Une petite femelle sortit la dernière, elle avait gardé son masque. Comme Noé lui avait demandé pourquoi, elle avait répondu que dans sa forêt, les filles devaient le porter pour ne pas exciter les mâles. Noé se demanda pourquoi dieu, n'avait pas plutôt prévu de faire porter des bandeaux sur les yeux des garçons !       

 


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