Noël approche...
Dominique Capo
Noël approche à grands pas, désormais. La plupart d'entre vous vont retrouver leurs familles. La plupart d'entre vous vont accueillir chez eux leurs enfants, leurs petits-enfants, leurs parents, leurs grands-parents, à la table du réveillon. Vous allez vous réjouir d'être en leur compagnie.
Vous allez également vous réjouir des beaux cadeaux qui patientent sous le sapin de Noël, que vous allez leur offrir, ou qu'ils vont vous offrir. A moins que leurs paquets enrubannés soient toujours cachés dans un endroit quelconque de votre maison ou de votre appartement, ils s'amoncellent déjà devant lui. Et tandis que les guirlandes multicolores, que les chants de Noël résonnent autour de vous, que les rires et les instants de convivialité, d'émotions, et d'espoir en des jours meilleurs, se multiplient, le temps se fige durant quelques jours.
Les soucis du quotidien disparaissent subitement. Les épreuves et les difficultés de l'existence s'effacent. Le malheur, les drames, les larmes, le silence, la solitude, se volatilisent. Les problèmes financiers, de santé, de travail... s'éclipsent immédiatement. Les tables bien garnies, habilement décorées, les mets les plus fins, les sourires émerveillés de vos enfants ou de vos petits-enfants, les remplacent momentanément. Le bonheur, l'amour, la fraternité, l'hospitalité, la courtoisie, l'attention, ou la prévenance, les repoussent aisément.
Pour autant, les gens qui y ont froid, qui ont faim, qui sont mal logés, qui se sentent abandonnés, sont toujours présents. La guerre, l'indigence, la pauvreté, la maladie, la peur, la violence, la barbarie même, sont toujours là ; prêts à se manifester à la première occasion. Il n'y a pas de trêve de Noël ou du passage à la nouvelle année pour ces derniers. Ils meurtrissent, mutilent, anéantissent toujours autant les plus faibles, les plus démunis, les plus désespérés.
En cette période de réjouissances collectives, je pense avant-tout à ces personnes que l'on ne voit jamais parce qu'elles n'appartiennent pas à notre cercle familial ou amical proche. Ce SDF qui tend la main au coin de la rue, et auquel vous ne dites jamais bonjour ou bonne journée. Ce SDF qui, une fois que vous avez passé votre chemin, n'existe plus pour vous, mais qui est toujours là, à atteindre dans le froid et la misère, la faim leur tordant le ventre ; se demandant à chaque instant où il va passer la nuit prochaine.
Je pense à cette mère de famille isolée, qui n'a pas de quoi nourrir ses enfants ; qui n'a pas de quoi leur offrir les beaux vêtements, les jouets, les friandises, que vous vous précipitez d'acheter dans les magasins. Je pense à ce couple de jeunes ou de vieillards qui n'a que pour seule option que de se rendre aux "Restos du Cœur" pour avoir l'impression de participer - un peu - à vos réjouissances. Et qui, une fois revenus à leur domicile, n'y trouvent que solitude et silence.
Je pense à cette personne âgée, en Ehpad, hospitalisée, que les siens ne viennent jamais voir ; ou qui n'a plus de famille depuis longtemps. Je pense à ces malades - enfants ou adultes, peu importe -, atteints de cancers, de tumeurs, de malformations, de handicaps mentaux ou physiques, laissés de cotés. Qui passent leurs réveillons à endurer la douleur que leur inflige ces fléaux. Je pense à ces individus - homme, femme, enfant, ainé - confrontés aux bouleversements de la nature, aux effets du changement climatique, de la pollution, en France, ailleurs en Europe, ou qui se battent contre eux aux quatre coins de la planète. Cette planète à la fois si belle, mais si fragile, et que nous malmenons continuellement.
Je pense à ces gens qui, ailleurs, subissent la guerre, l'exode, à qui l'on a détruit leurs maisons, qu'on ne veut nulle part. Il n'y a pas de repos ni de répit pour tous ces gens considérés comme des proscrits, indésirables, dont la vie est mutilée à tout jamais.
Vous êtes vous préoccupé de savoir si votre voisin, votre voisine, va bien ? Si il ou elle n'est pas seul, dans le besoin, souffrant, entouré ? Si, comme vous, cette période de l'année est un moment de fête, de retrouvailles et de concorde avec ceux et celles qu'il ou qu'elle aime, qui sont importants, précieux, nécessaires, pour lui ou pour elle. Ou si, au contraire, il ou elle ne va pas les passer à pleurer sur ce destin qui ne l'a pas épargné, qui fait qu'il ou elle se retrouve dans cette situation malgré lui ou elle.
Pensez à ceux et à celles qui n'ont pas besoin de gestes ne nécessitant pas d'être matérialisés au travers des biens matériels qui inondent les travées de nos magasins, au travers de l'argent qui reposent sur nos comptes en banque, au travers de cet individualisme derrière lequel nous nous dissimulons, et qui nous donne l'éphémère impression, via la superficialité qu'ils génèrent, d'exister.
Pensez à ces gens qui n'ont pas besoin d'avoir l'œil rivé sur leur téléphone portable, sur leur tablette, sur leur ordinateur, pour avoir la capacité de communiquer avec vous ou moi. Pour ouvrir sa porte à celui ou celle qui espère de vous un peu d'amitié, de gentillesse, de sociabilité. Puisque le bonheur n'a rien à voir avec tout ceci. Il est savant tout dans les rapports que nous entretenons avec les autres ; et vive-versa. Il est dans ce que nous leur apportons, ainsi que ce qu'ils nous apportent, humainement parlant.
Oui !!! Pensez à ceux et à celles qui rêvent d'un petit geste, d'un mot, d'une attention, qui les réconfortera. Il leur apporterait tant de chaleur, tant de joie, tant de bonheur dans le cœur. Ils verraient ainsi que le monde ne les a pas oublié ou mis de coté. Ils verraient que l'égoïsme, l'indifférence, l'aridité du cœur, le dédain, la morgue, ou l'orgueil, ne triomphent pas systématiquement en de telles circonstances. Ils verraient que les bons sentiments que vous prônez, que vos croyances - si vous croyez en un Dieu quelconque -, que votre humanité, ne sont pas de vains mots. Des mots que vous prononcez pour la forme, mais auxquels, lorsque l'opportunité se présente, vous purgez de votre conscience et de votre mémoire.
Moi qui ne suis ni meilleur ni plus mauvais que vous, moi qui ai autant de qualités et de défauts que vous, que la vie a autant malmené que vous, mes pensées les plus amicales, les plus chaleureuses, les plus affectueuses, vers vont ceux et celles que l'existence a davantage blessé que vous. Mes pensées se tournent vers eux et elles, en rêvant d'un jour où ils ou elles seront accueillis, attendus, espérés, chez ceux et celles qui leur sont essentiels, de la même manière que s'il s'agissait de vos proches, de vos amis.
Mes pensées vont de même vers vous autant que vers eux ; je n'ai aucune exclusive. Car il y a assez de place dans mon cœur - dans le votre, j'espère - pour les accepter avec leurs spécificités, avec leurs personnalités, avec leurs sensibilités, avec leurs expériences. D'où qu'ils viennent, quelle que soit leur apparence, leurs victoires ou leurs défaites, leurs joies ou leurs peines, en dehors de tout jugement, je suis en effet présent pour les écouter, pour les aimer, avec la même attention, avec la même tendresse, avec le même bonheur, que s'il s'agissait de membres de ma propre famille, ou de gens de mon entourage habituel. L'idée que je me fais, finalement, d'un Noël réussi...
Pas vous ?...