Noiram de Cendre - La magicienne de l'île creuse

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Méfions nous des perroquets...

Noiram de Cendre avançait un étroit chemin de pierre le long de l'abrupte falaise. La jeune demi-fée était d'excellente humeur, elle avait ce matin trouvé un pantalon bouffant sans fond, un genre de jupe dont les poches recelaient milles et un trésor dont la contenance était infinie, et cela se reflétait dans les verts, indigo et dorés de ses yeux.

Elle s'était levée tôt au creux d'un sol pleureur, avait déjeuné de quelques gouttes de rosée, d'ailes de papillons et d'un solide sandwich à la marmelade récupéré dans les tréfonds de ses jupes sans fonds, puis s'était rendue par les chemins en une direction prise au hasard, au gré du vent et de sa chance inénarrable, car c'était ainsi que souvent commençaient les meilleurs histoires.

Son chemin longeait donc sur une petite corniche à flanc de falaise une mer au bleu étincelant, caressée par de calmes vents. Noiram sifflotait, ses longs cheveux rouges et verts ballottés par l'air marin.

Le chemin de pierre finit par obliquer sur la droite alors qu'il passait sous un boyau naturel et débouchait sur une plage, où quelques pierres rondes et lisses, certaines agrémentées d'étranges statues, traversaient la mer pour mener à une haute île toute en falaise et sommet, perdue au beau milieu de la mer bleue.

Sur cette plage, et devant ce chemin, se trouvaient les corps de deux hommes et un perroquet. Les hommes étaient étendus tout trempés sur la plage abandonnée.

Intriguée, Noiram s'y rendit. Les deux hommes épuisés, semblaient plongés dans un profond sommeil, seul le perroquet était éveillé. Noiram se grandit quelque peu, comme peuvent le faire les fées et les lutins, et s'adressa en ces mots au perroquet :

- Hé bien, mon ami, que se passe-t'il ici ?

- Ah, voyageuse, répondit le perroquet, c'est une catastrophe, une tragédie véritable, une poignante histoire d'amour qui tirerait des larmes à une statue !

- Raconte !, dit Noiram en s'asseyant dans le sable.

- Ces deux hommes que tu voies ici sont mes maitres, les jumeaux Cassandrins, de fiers et valeureux corsaires, tous deux amoureux de la belle pirate magicienne Loreline qui habite cette île ! Hélas, trois fois hélas, mes maîtres aiment plus l'or et les richesses que les sentiments et les soupirs du cœur, et Loreline est fort riche ! Aussi la sage pirate, pour se prévenir des opportuns, a décidé de n'offrir son cœur qu'à ceux capables de passer les trois épreuves de son île, dont voici la première ! Les pierres menteuses ! Certaines sont vraies, d'autres sont fausses, à chaque faux pas, tu te transforme un peu plus en pierre jusqu'à ressembler aux sinistres statues que tu vois ça et là !

- C'est terrible !

- Mes maîtres ont essayé plusieurs fois de traverser, mais à chaque fois, la peur les a fait reculer ou trébucher ! C'est donc moi qui suis allé les repêcher !

- Tu es un bien courageux perroquet !

Et à ces mots, Noiram se leva, et s'apprêta à reprendre sa route.

- Attends, attends !, perroqueta le perroquet.

- Hé quoi ?

- N'aies-tu pas interessée par les richesses, l'amour ou la fortune ?

- Ni l'un, ni l'un, ni l'autre ! Les premières sont trop lourdes, le second est trop dur, et le troisième trop dangereux, très peu pour moi !

- Et quant à la magie ? Tu as là un bien joli pantalon…

Noiram arrêta son pas.

- La magie, dis-tu ?

- Loreline est puissante magicienne… Si tu aides mes maîtres à traverser, ils auront sûrement pour toi quelque babiole enchantée…

Le perroquet se frotta les plumes. La jeune fille était une mi-lutine, et le peuple des fées n'a d'yeux que pour la magie.

- Très bien !, dit Noiram après une brêve et légère réflexion. Je vous aiderai, mais ne restez pas dans mes pattes, je ne supporte la compagnie de fats et d'imbéciles. Observez-moi de loin, je vous montrerai le chemin !

Et la jeune mi-lutine se rendit à la première épreuve, la piste des statues oxydées, sous les regards concupiscent du perroquet, et endormis de ses jeunes maîtres.

« Tu viens à mon île en quête de mes richesses, mais je n'ai à offrir que mon amour, et quelques pierres, il est vrai, raisonna la voix de Loreline alors que Noiram approchait. Passe cette première épreuve sans te transformer en statue, et tu auras prouver ta force et fais le premier pas vers mon amour et mon trésor ! »

Noiram avisa le chemin. Il y avait une centaine de pierre que séparaient l'île du continent, et de violents courants qui passaient entre elles, rendant toute natation impossible. Elle réfléchit un court instant et trouva la solution. Elle observa les algues qui avaient poussé sur le flanc des rochers. Certaines étaient en pierre, d'autres toujours verdoyantes et ondoyantes. Choisissant les rochers au varech vivant, elle arriva de l'autre côté sans mal aucun.

- Une première épreuve de passée !, se dit-elle dans un sourire. Elle se retourna et fit de grands signes aux pirates sur la plage restés. Ils la regardaient consternés. Bah !, qu'ils se débrouillent ! La jeune mi-lutine continua sa route.

Quelques mètres plus loin, elle passait de hautes falaises de pierre noire et débouchait sur une baie intérieure, dont les hauts fonds donnaient à la mer une agréable couleur cyan. Il n'y avait d'autre moyens pour traverser que d'emprunter la baie à l'eau peu profonde.

Noiram s'avança. A peine eu-t'elle posé un pied dans l'eau que la surface de cette dernière se troubla de milles petites vagues qui s'assemblèrent en un énorme colosse d'eau, dont le visage était un énorme bernard-l'hermite qui lui faisait comme un chapeau.

- Halte-là, étranger !, dit le colosse de sa voix de stentor. Que viens-tu faire sur l'île maudite de Loreline ?

- Je ne suis qu'une humble voyageuse, dit Noiram se prosternant en une légère courbette. J'ai ouï dire que la grande et puissante Loreline MillesVagues vivait ici et proposait des épreuves aux voyageurs. Etant joueuse et curieuse de nature, je m'en viens relever ses épreuves, et j'espère soulager son trésor de quelques sortilèges.

- Tu es donc une voleuse ! C'est exacte, cette île est bien la demeure de Loreline MillesVagues, mais ce trésor ne t'es pas destiné ! Il est pour Loreline et ces amants ! Sûrement pas pour une voleuse de ton acabit !

Et le colosse de tonner, frapper et cracher, cherchant à écraser Noiram sous ses poings liquide !

Noiram courut se mettre à couvert du flanc de la falaise. Fouillant ses mémoires à la recherche d'un sortilège adéquat, elle en trouva un du premier cercle tout désigné.

- Cuisson Impeccable des Crustacés de Mielofartène !, cria-t'elle en sortant de son abri.

Et l'eau dans le colosse se mit à bouillonner, à fulminer et à bouillir, portant à ébullition le pauvre coquillage qui fut expulsé en hurlant de sa masse tourbillonnante, laquelle se disloqua rapidement et rendit son calme à la baie intime de la petite île.

Satisfaite, Noiram continu son chemin.

De l'autre côté, une volée de marches granitiques menaient vers un petit village bâti sur une grande pente herbeuse. Il n'y régnait âme qui vive, et pourtant, Noiram entendait un terrible mugissement, comme une plainte, un long cri modulé d'une âme en peine, torturée.

Frémissante, Noiram poursuivit sa route. Elle finit par arriver devant une impressionnante faille qui coupait l'île en deux. Au-dessus se jetait un fin pont de pierre, à peine assez large pour une personne seule. Et en plein centre de ce pont, se dressait un chevalier, tout engoncé dans une armure noire comme la nuit. Les mains sur la garde son épée posée devant lui, il attendait. C'était lui, c'était lui qui criait. Le cri déchirant provenait de son armure sombre comme les plus profondes ténèbres.

Prudente, Noiram se cacha aussitôt derrière le mur d'une bâtisse. Le chevalier ne broncha pas, et continua sa lamentation. Noiram s'avança de quelques pas, mit le pied sur le pont… Toujours aucun mouvements de la part du chevalier, juste ce cri. Elle avança, un peu plus, encore un peu plus… Mais rien, toujours rien. Le chevalier restait immobile comme une statue, inquiétant et terrible gardien, et il continuait à mugir, à mugir et à mugir de plus en plus fort ! Arrivée au pied du chevalier, il ne bougeait toujours pas, et ne semblait ne prêter aucune attention à Noiram ni à quoi que ce soit. Le cri devenait insupportable, strident et déchirant. Noiram toucha du bout du doigt l'impressionnante armure ciselée… Et l'armure, vide et légère comme une coquille de noix, se défit tout d'un bloc et chuta sans un bruit dans l'abime béant alors qu'aussitôt mourrait le cri.

Surprise, Noiram éclata de rire continua sa route.

A peine eu-t'elle traversée le pont, que derrière elle l'armure se reformait, et le cri plaintif, qui n'était que le vent dans l'armure vide, reprenait.

Le chemin montait maintenant encore plus abruptement vers le sommet de l'île, de hauts pics noirs où Noiram devinait se nicher le trésor de Loreline. Après avoir atteint un premier haut col qui dominait largement le reste de l'île, Noiram entendit un grand cri venant de derrière elle. C'était les jumeaux amoureux d'or et de trésors. Accompagnés du perroquet leur serviteur, ils avaient réussi à passer les premières épreuves en suivant les pas de Noiram, mais maintenant l'un d'eux venait de chuter du pont de pierre, effrayé par le gardien hurlant à l'armure vide. L'homme ne se retenait que du bout des doigts au-dessus de l'abysse, et n'allait pas tarder à tomber. Profitant de ce moment de faiblesse, son fère jumeau lui écrasa les doigts et le pauvre hère chuta dans l'abime. Noiram frissonna. C'est bien ce qu'elle pensait, toujours la fièvre de l'or rendrait les hommes fous.

Après le col, le chemin connaissait un nouveau décrochage avant de monter presque à-pic sur les flancs de l'île. Elle était quasiment arrivée, du moins il lui semblait, et elle espérait !

Assoiffée Noiram décida de faire une brève pause et se mit à fouiller ses jupons sans fonds. C'est alors qu'elle aperçut sur le côté de la route la petite échoppe d'un marchand d'eau, et de diverses autres boissons rafraichissantes. La condensation s'était formée sur le verre des fioles de différentes couleurs et offrait au spectateur assoiffé une vision irrésistible… Noiram allait s'avancer de bon cœur, surtout en l'absence de vendeur, mais se retint en voyant les petits gravillons qu'elle poussait tomber devant elle et sombrer à travers le sol. Ha ! Le piège était grossier !, pensa la jeune mi-lutine.

Noiram sortit de ses jupons une gourde de cuir et continua sa route. Elle se retourna un peu plus tard, et vit qu'à la place de l'échoppe se trouvait une falaise abrupte, une chute vertigineuse menant directement sur les eaux profondes et déchaînées de la baie, cinquante mètres plus bas.

Plus loin, sur la route, Noiram fut prise d'une grande faim. Aussitôt, et comme elle s'y attendait, une odeur délicieuse de nourriture savoureusement préparée émana dans l'air. Il s'agissait d'un banquet, somptueux et magnifiquement garni sur le bas-côté de la route. Noiram siffla entre ses dents et secoua la tête. Le piège était, une fois de plus, grossier. Elle sortit de ses jupons un sandwich pomme-noix-fromage-menthe et mordit dedans. Aussitôt, l'illusion se dissipa pour laisser place à l'immense mâchoire d'un bouffetout de pierre, une créature aussi vorace que feignante, qui, enterrée dans le sol, attendait que sa nourriture lui tombe tout cuit dans le bec. Exaspérée par ces pièges ridicules, Noiram continua sa route bien décidée à en finir avec cette île.

Elle finit enfin par arriver au terme du chemin. L'entrée de la demeure de Loreline, une accueillante petite maison de pierre dans un doux plateau au sommet de l'île. De la cheminée une fumée bleutée s'élevait, à travers les carreaux bien propre de la maison brillaient d'innombrables richesses, et dans une belle nappe d'eau claire au dehors, se baignait Loreline la pirate magicienne, intégralement nue, dont le corps splendide aux longs cheveux blonds, resplendissait littéralement au soleil. Le chemin qui menait à la clairière se séparait en deux juste avant, un court chemin d'herbe touffue et rase vers la maison, et une piste caillouteuse qui redescendait la falaise sur la gauche. Noiram emprunta le chemin de droite, se hâtant vers les richesses promises, mais au dernier moment retint ses pas…

« Attends une minute, se dit Noiram. Tout ça est bien trop facile… » Et, revenant sur ses pas, elle emprunta la piste caillouteuse qui partait sur la gauche. Aussitôt, et une fois de plus, l'illusion se dissipa pour laisser place à un fossé garni de pics effilés où les os blancs de nombreux cadavres dormaient sous le soleil.

« Enfin, résonna alors la voix de Loreliane. Enfin tu as réussi mon aimé ! Tu as terminé toutes les épreuves ! Tu as prouvé ton amour, et tu vas maintenant avoir le droit à ta récompense bien méritée ! »

Le sol s'ouvrit sous les pieds de Noiram et elle chuta alors à toute vitesse vers les ténèbres…

Lorsque Noiram ouvrit les yeux, elle se trouvait sur une couche parfumé, entourée de dizaine et de dizaines de coussin, sur le pont d'un bateau au bois blanc, éclairé par un soleil qui semblait devoir durer éternellement, au centre d'un petit lagon aux îles dorées garnies de cocotiers et d'arbres fruitiers en plein cœur de l'île.

- Tu ne ressembles pas vraiment à l'amoureux que j'attendais, retentit la voix de Loreline, visiblement déçue.

Alanguie sur sa couche de myrrhe, de satin et de soie, patientait, énorme et magnifique, Loreline la magicienne. Un serviteur nain à la peau bleue comme le ciel l'éventait d'une grande traine de paon, tandis que plusieurs jeunes et beaux tendrelins à la troublante virilité massaient sa peau de divers huiles et onguents.

- Qui es-tu, étrange magicienne, mi-femme, mi-lutine ? Où sont mes beaux prétendants ?

- Je suis Noiram, Noiram de Cendre l'humble Apprentie Magicienne Itinérante, ma Dame. Et tes prétendants, malheureusement, ne sont pas encore arrivés. Vois-tu, il semble même qu'ils m'aient utilisée pour déjouer tes pièges et tes épreuves et arriver à ton trésor plus vite, ton amour ne semble, en fin de compte, pas vraiment les intéresser…

- Vraiment ? L'agréable visage la magicienne fit la moue, son humeur s'assombrit ce qui se refléta sur son maquillage subtil, qui changea aussitôt de couleur. Les hommes, ils me déçoivent une fois de plus… Eh bien, voyons voir si au moins l'un de ces nouveaux prétendants fait route jusqu'ici.

Regardant de partout sur le bateau, Noiram ne put s'empêcher de voir de nombreux objets de grandes valeurs, ainsi que plusieurs sortilèges forts puissants enfermés dans des bocaux, ou encore mis sous cloche, et qui ne demandaient qu'à sortir et trouver le cerveau confortable et accueillant d'un magicien itinérant…

- Hum, dit alors Noiram. Je comprends ta déception, et je te soutiens intégralement, les hommes, tout ça, mais dis-moi, Loreline, puissante magicienne, qu'en est-il donc de ton trésor ? Après tout, j'ai passé les épreuves, et je me disais que…

- Mon trésor ? Loreliane partit d'un grand rire. Mais je n'ai rien, ma chérie, à part quelques babioles ! Mon trésor, ma belle, c'est l'amour !

- L'amour ?

- J'en suis riche, j'en ai à revendre !

- Alors si tes amants arrivent ici…

- Ils seront à moi, je serais à eux, nous nous aimerons.

- Oh… Quant à moi…

- Quant à toi, opportune créature, tu seras témoin de notre amour, et peut être même de nos ébats.

- Ewww, c'est-à-dire que…

A ces mots, apparut dans un fatras de plume, le perroquet serviteur.

- Qui es-tu ?, s'exclama Loreliane.

- Sullivan, perroquet autrefois humain, serviteur maudit de feux les jumeaux Caracasse, j'en ai peur.

- Et tu as fait tout ce chemin tout seul ?

- Oui, madame, dit Sullivan, gonflant le poitrail. Et moi, contrairement à mes maîtres, je n'étais pas intéressé par le trésor ! C'est vous que je cherche ! Ces idiot n'ont résisté ni au pont, ni aux tentations…

- Oh ! Tu as vaincu et passé toutes ces épreuves ! Je te libère de cette sotte malédiction ! Loreline claqua des doigts et Sullivan retrouva son aspect, un petit homme fier, au crâne étrangement toujours couvert de plumes.

- Dans mes bras, mon héros !, reprit l'opulente magicienne. Nous avons bien mérité une petite retraite dans mon gambit de magicienne !

- Et moi alors !, s'exclama Noiram avant que le nouveau couple ne disparaisse.

- Toi… Et bien oui, sans toi, mon nouveau chéri ne serait probablement jamais arrivé ici en un seul morceau… Et bien je te laisse le bateau, et tout ce qu'il contient ! Et ses serviteurs ! C'est un navire enchanté ! Demande-lui une destination, et il t'y mènera tant que les vents souffleront ! Même si pour l'instant, il est coincé dans cette grotte… Encore merci à toi, ange de l'amour !

Et tous deux disparurent dans un claquement de doigts de la magicienne.

Noiram soupira, regarda autour d'elle les serviteurs hagards et sourit. Quelle aventure ! Elle se laissa aller dans les doux coussins du bateau de bois blanc et se demanda quelle serait sa première destination… Dès qu'elle aurait réussi à quitter cette grotte !

Elle fouilla les poches sans fonds de sa jupe sans fonds et trouva un peu de vent qui lui servit à gonfler et à faire quitter au bateau magique le piège de l'île creuse. Elle sortit également un nouveau sandwich, une paire de lunettes aux verres fumés, et un de ces cocktails exotiques avec une petite ombrelle dessus.

Quant à sa destination, elle se livra une fois de plus au hasard, et prononça un nom qui n'existait pas, car les histoires, les plus belles histoires commencent souvent comme cela…

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