Non.

Clara Crochemore

-Non, maman, ne referme pas la porte.


Qu'elle était belle.

Ange. C'est comme ça que sa maman l'avait appelée. Déjà quand elle était née, elle ressemblait à une princesse, quoiqu'un peu fripée. En naissant, elle avait fait très mal à maman.

 

Qu'elle était belle.

Maman avait vu dès le début qu'elle était fragile, très fragile, trop fragile. Ange n'avait rien dit. C'était Maman qui avait décidé.

 

Pas d'école pour Ange. Sa peau délicate ne supporterait pas le contact des autres enfants.

 

Qu'elle était belle.

 Maman avait un peu peur de l'abîmer quand elle la prenait dans ses bras.

 

Maman avait décidé qu'Ange resterait à la maison. C'était comme ça. Mais Ange s'en moquait. Elle le voyait bien, le monde, à travers la fenêtre de sa chambre.

 

Maman ne voulait pas qu'elle joue. Elle était trop fragile. Une Barbie aurait pu altérer sa jolie peau translucide à force de la manier.

 

Qu'elle était belle.

Maman avait raison, mieux ne valait pas mettre de vêtements de coton. Ce tissu trop rêche eu tôt fait de lui donner des rougeurs.

De la soie, rien que de la soie.

 

Ange ne s'ennuyait jamais, elle regardait tout avec de grands yeux et ne restait pas longtemps par ici. Très vite, elle fermait les yeux et quand elle les rouvrait, c'était autre part, dans un endroit sans saleté, sans danger, sans soie.

 

Ma poupée. C'était comme ça que sa maman l'appelait toujours. Elle, elle ne comprenait pas, son nom, c'était Ange. Mais sa maman l'appelait ma poupée.

 

De temps en temps, Maman aimait bien la mettre sur l'étagère, aux côtés de vraies poupées en porcelaine. Ça l'amusait, Maman, parce qu'Ange, avec ses grandes perles bleues qui fixaient tout, sa peau si blanche et ses joues toutes roses, se fondait dans ce tableau magnifique.

 

Parfois Maman paniquait, elle ne trouvait plus sa petite Ange. Mais très vite, elle riait et elle se souvenait qu'elle avait laissé sa poupée parmi les autres, sur l'étagère.

 

Qu'elle était belle.

Maintenant, Maman avait l'habitude de laisser Ange sur l'étagère la nuit. Un lit n'était pas très sûr, au fond. Plein de bactéries et d'envie de dormir. Et un lit aurait pu la décoiffer. Et puis, ça la rendait de bonne humeur, le matin, de voir sa petite Ange parfaitement immobile, au milieu des poupées.

 

Qu'elle était belle.

 

-Non, Maman, ne referme pas la porte.

-Si ma chérie, la lumière veut prendre ta beauté, il faut te protéger.

 

Décidément, c'était bien mieux comme ça, sur l'étagère, porte fermée, sa fille ne risquait plus rien. Demain, c'est décidé, elle la mettrait sous vitrine. Ça soulignera sa physionomie parfaite. Et plus tard, sans doute, elle placerait la vitrine dans le salon, comme ça, toutes ses amies pourront voir sa fille quand elle les inviterait à boire le thé.




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