Nos Aurores Méphitiques
Al Saadallah
Tous les soirs, on y allait.
On attendait que les étoiles apparaissent et on partait. Cela pouvait durer une heure, parfois deux, rarement trois. On grimpait. Partout on grimpait, aux murs, aux toits, aux quelques arbres morts, aux femmes, jusqu’au plus près des astres.
On rôdait par ci, par là, au hasard, sillonnant étroites ruelles et abris en ruines. Chats, chiens, rats, parfois autre bête, souvent apeurés, détalaient à notre approche.
C’était notre expédition, notre épopée, notre odyssée à nous, cette aventure quotidienne, satisfaisant notre orgueil fantasque tant nous avions l’air de vrais hommes, issus des récits grecs et phéniciens, au physique d’Apollon, l’esprit torturé par une quête complexe, un amour défendu, une famille décimée, nous étions les enfants perdus des contes et les héros des guerres puniques en même temps, braves dans nos périples, fiers de nos trésors - pauvres cailloux à la forme singulière, capsules de bouteille, morceaux d’étoffe - encore et encore rassemblés, au fil des jours et des semaines.
J’avais alors une vingtaine d‘années, mon frère quelques de plus, les autres aussi sans doute. Nous étions neuf, une sorte d’équipe de bras cassés, nul d’entre nous ne pouvait vanter une qualité particulière, couards et taciturnes… Nous étions la jeunesse qui se tait, cette jeunesse bouleversée par ses limites, dévastée par la fuite vers un destin exceptionnel, banalement tourmentée par sa propre indifférence, une jeunesse méprisable en somme comme toutes celles qui l‘ont précédée, source fraîche de la bestialité, un brin d’innocence dans la voix, une véritable perversité dans l’esprit, une jeunesse triviale qui se lasse au fil des jours et des semaines.
Et cette jeunesse finit par s’éteindre. Nous l’attendions tous ce jour où un officier viendrait jeter du sable sur les flammes de notre enfance.