NOUS sommes engloutis

Simon Lecoeur

chapitre 2

Avec le départ de papa, notre maison vola en éclats. Un violent coup de tête dans la vitrine de la petite boutique. Ce "nous", collectif de quatre personnes, implosa brutalement. Ce "nous" appliqué aux trois personnes, aux trois rescapés, ma mère, mon frère et moi n’était plus le même. Un "nous" brisé, dénaturé. Je cherche un pronom personnel qui convient. Quel est ce pronom situé entre le nous et le vous, qui intègre en partie mais exclut également ? Sans doute le "on" avec son caractère anonyme, indéfini et vague… Ma famille devint donc une sorte de "on" indéterminé, incomplet, bancal, bras cassé. Car cette séparation eut pour conséquence de m’éloigner de mes proches. Mon frère n'était plus mon frère comme avant, ma mère non plus. Comme si papa en s’éloignant avait emporté avec lui une part de chacun de nous. Ma relation avec mon frère fut soudain transformée, je découvris en lui un autre. Un étranger, pas exactement, mais une simple connaissance qui n’avait plus rien à voir avec une relation affective et fraternelle. Les liens du sang furent rompus puisque cette famille n'existait plus. Olivier le petit, le second, le plus faible, m'horripilait avec sa voix fluette, son comportement de bébé, alors que je subissais une terrible expérience de maturité. D’abord, ses paroles rappelaient inlassablement l'absence: "- Pourquoi papa n'est pas là ce soir ? Et demain, papa, il sera là ? Dis maman, papa, il va venir ? Ill revient bientôt ? Réponds moi, il va bien revivre à la maison comme avant ?" C’était insupportable à entendre ! Je ne comprenais pas qu'Olivier ne comprît pas. Je m'impatientais de ses enfantillages. Je détestais ses répétitions, je le détestais lui ! Nous étions si proches, tellement d'incompréhensions nous séparaient, à jamais et de façon si soudaine. Les premières semaines, ses pleurs me réveillaient au coeur de la nuit. Comme fait exprès, il se plaignait quand je trouvais moi-même quelques instants de tranquillité. Il venait aviver ma plaie. Il réclamait une présence d’une manière si différente de la mienne que je lui en voulais dès qu’il ouvrait la bouche. Lui parlait quand mon mode d’expression était le silence et l’enfouissement.

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