NouvElle 3

Tarsa

Ah ! Les yeux d'Edwige brillent tout à coup. La scène inaugurale du chewing-gum n'a jamais été dépassée. Elle vient de le comprendre, pas trop tôt. Vous ne vous êtes jamais fait prendre ? Non, il faut être discret.

Il doit être aux alentours de trois heures du matin. Demain soir elle a un rendez-vous. Elle a été bannie de Tinder il y a un an déjà. Cette fois-ci c'est un rendez-vous hinge. Hing'allah ça match, bon jeu de mot ça.

11h : réveil

La fenêtre de la cuisine donne sur un mur. A peine dix mètres avant la collision avec le voisin, et au-dessus c'est le ciel. Le mur du fond est un mur de chaux et d'hommes. Au-dessus c'est le ciel. Elle ouvre la fenêtre et ferme les yeux. Sous ses paupières les rayons solaires pointillent en couleurs pourpres. Son regard se prend au mur du fond, absorbant les ondes sonores, la chaux devient aérienne. Ça tourne, l'arrière de son crâne pique et tout pointillent. Elle respire. Les volutes de fumées s'écrasent dans les coins de la cuisine. Traversées de soleil, les vagues blanches sont belles.

11h10

La première clope est consumée. Préparation du café. Les feuilles rizla c'est « l'art de rouler depuis des années ». Elle dit à ce sujet que c'est surtout l'art de se faire rouler par l'industrie du tabac.

Café-clope toilettes.

Elle écoute sa playlist « when i'm feel like une meuf pimpée » et puis elle s'épile. L'intégrale. Douche et peeling marc de café miel-coco. Masque à l'argile rose. Hydratation du corps. Vernis transparent sur les ongles limés.

12 :30 : eye-liner

13 :15 : sourcils brossés, enduits d'huile de ricin, mascara et application du fond de teint : idole ultra wear lancôme.

Toilettes. Vomis dans les toilettes.

Brossage de dent.

14h-17h : café-clope. Ouverture de l'ordinateur. Ouverture de Word. Ecriture du roman. Toilettes.

17h-18h : essayage d'habits. Choix définitif.

18h-19h30 : plusieurs verres de vin rouge. Elle danse. Kiki observe. Elle lui souffle à la gueule. Hop ça t'apprendra à me juger.

20h : métro

Ses yeux font défiler des pans entiers de paysages par la fenêtre. Elle aurait aimé fouler le sentier sablé qui serpente entre les bosquets. Non, il faut garder le rythme.

Ses pommettes saillantes, elle les sait désirables.  Alors étant et voulant l'être, elle cille juste après la latence musicale, au moment où le beat s'écrase brutalement. La fréquence basse exige une décharge. L'amplitude sonore de sa musique enfle hors des écouteurs, parmi les passagers et dans le train entier.  Imprégnée du rythme, elle exprime alors un cillement tout à la fois brutal et langoureux.

Elle cille

Les vibrations dansent et leurs danses en créent d'autre encore. Ça danse dans un liquide non-newtonien où ils auraient aimé la voir. Une sorte d'image mouvante d'elle-même. Un ralenti sexy, une boucle continue d'elle se retournant vers eux et exigeant avec l'énergie du désespoir qu'ils l'aiment.

Elle cille, la fréquence est au plus bas, à peine vingt hertz et les cœurs s'arrêtent.

C'est le point mort de sa chanson.

 

20h30 : châtelet, rendez-vous au jojo bar. Il faut garder le rythme.

Elle se dirige vers le coin gauche de la terrasse chauffée et s'assoit. Elle allume une clope, se met de profil et le laisse l'observer. Son nez rond rebique. Elle le frotte comme pour en défaire la courbure. L'eye-liner forme un trait parfaitement tendu vers la pointe de son sourcil brun. Elle frotte à nouveau son nez, mords sa lèvre inférieure puis esquisse un sourire qui se défait aussitôt. Ça tique de partout.  

Je vais prendre une pinte de licorne brune. Moi aussi. Il lui dit qu'elle est belle. Tu es  belle, encore mieux que sur les photos. Elle lui souffle au visage et rigole.

Aujourd'hui elle a sept ans. Alix est en bas. Il prépare la pâte à cookies avec maman. Elle fait monter Noé dans sa chambre, le fait asseoir sur son lit et l'embrasse en plein sur la bouche. T'aime ça ? Oui… 

Voilà, c'est la troisième pinte qu'elle boit. Les yeux brillent. Elle raconte beaucoup d'anecdotes. Il lui confie qu'il est bipolaire. Lithium ? Oui, depuis trois ans, ça m'aide à me réguler. Le traitement elle le connait, elle a fait ses recherches. Moi aussi j'en prenais mais il fallait que j'arrête, ça ne me convenait pas. Tu fumes beaucoup. Sourire en coin. C'est de famille, je suis haut'ment déterminée…

Elle dit qu'elle ne sait pas bien embrasser mais son rendez-vous Hinge dit qu'il aime les bisous.

Une fois chez elle, ils boivent du champagne. Elle en a volé deux bouteilles dans la cave de ses parents. Tu vois mes cicatrices ? Elles forment un T inversé qui part du téton et descend sous le sein en arc en ciel.

Sa poitrine est énorme. Mais regardez-moi ces obuuus. Adèle rigole, Pauline l'attire contre elle. C'est comme deux oreillers très confortables. C'est quoi du E, du F ?

Elle a fait une réduction mammaire. Les seins coupés, elle est libre. Ils sont fermes. C'est du C. Voilà sa réponse.

Il embrasse ses seins et remonte le long de sa nuque. Ça chatouille. Le lendemain elle ramasse les capotes étalées sur le sol. Son parquet est imprégné de sperme et quand elle marche ça colle. Il l'a prend dans ses bras comme une enfant. Allez, casses-toi. Il la serre plus fort et descend avec son doigt le long de sa colonne vertébrale. Il lui dit qu'il aime bien ça. Ça quoi ? Tes efforts pour me repousser. Il est beau ce con. Alors tu t'es vraiment fait violer au Cameroun ? Merde. Qu'est-ce qu'elle a encore inventé… Elle décide de le laisser en suspens et le pousse jusqu'au palier de sa porte d'entrée. Il l'embrasse sur le front. Elle ferme à clef.

L'eau brûlante lui ouvre les pores et rougit son corps. Les yeux accrochent la moisissure. Ça s'agrippe comme des coulures noires entre les carreaux de sa salle de bain. Une trainée rouge descend le long de ses cuisses et tourbillonne autour du siphon. Il aspire l'eau chaude, les cheveux, le sang. Le siphon se bouche lentement. Bientôt les pieds sont recouverts d'une eau trouble. La moisissure accroche ses yeux. Ses yeux sont rougis du savon moussant. Elle a beau frotter, l'eye-liner est waterproof. Cerclés de cernes noircis par l'eye-liner, ses yeux piquent. Ça pique de partout. Les larmes viennent s'écraser sur les cuisses, ces cuisses qu'elle a resserrées contre la poitrine.

M. lui a dit qu'il ne viendrait pas ce soir.

C'est toujours la première fois quand elle pleure. Elle est toute nue et les larmes dévalent sur ce corps qui s'interdit de désirer M. M reste mystérieux, toujours déviant. Leurs regards se croisent souvent. Elle sent qu'il lui échappe. Sous des séismes d'inerties leurs histoires devraient se rejoindre. Elle le veut.

Son corps tremble. Elle a le ventre creusé à force de s'être interdite de manger.

M. a dit qu'il ne viendrait pas ce soir.

Accepte le c'est tout. Pourquoi tu pleures ?

Nous sommes là pour vous aider Mademoiselle. La khôlle s'était mal passé. La professeur l'observe. L'œil l'observe. Alors elle a pleuré. Incontrôlablement et par pulsions l'excès de ses larmes l'a renversé. Je déteste pleurer en public ! je déteste pleurer en public ! Pour abréger la séance elle dit qu'il y a eu une tentative de suicide dans sa famille. La professeur l'observe, le dos rejeté en arrière contre le dossier de sa chaise vacillante. Ça la calme direct et elle en profite pour s'en aller.

Tu ne pleures pas tu chiales. Tu chouines comme une sale gosse. Une gamine pourrie gâtée.

Elle sort de la douche à poil, se dirige vers la cuisine et ouvre le frigo. Y'a du café, trois citrons, du gingembre, des cornichons. Y'a r. Comme d'hab'. C'est le milieu du mois, elle est déjà en déficit.

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