Nouv'Elle 4

Astra

Jour 3

Ma crispation continuelle cristallise et soudainement les larmes jaillissent je dis je déteste pleurer en public et je dis je déteste pleurer en public et balbutiant je cours toujours ce grand couloir de marbre de violents coups le long de ma joue qui rigole

Sillon aux veines éclatées, la rigole s'écoule le long de ma joue et je m'accoutume à en rire. Solitude,  hématome familier je m'attache à toi. Le monstre terrifiant et attachant que nous sommes ri et pleure à la fois.

Décidément ça ne marche pas. Elle supprime tout et ferme l'ordinateur sans même l'éteindre. Poèmes de merde.

Pourtant les signes s'accumulent. Y'a deux semaines elle s'est acheté ce doudou adorable. Sur la pâte arrière du lapin est écrit Bukowski. Lorsqu'elle a reçu le sac en cuir de vachette elle a vu la marque : Victor & Hugo. Avant d'entrer en prépa, à Bannes, un village perdu dans la montagne, le vieux à la longue barbe. C'est un poète. Elle lui a acheté un recueil et il lui a dit qu'elle devait continuer d'écrire. Continue d'écrire. Elle ne lui a pourtant rien dit. Les signes sont là et elle les accumule.

Edwige sourit. Voilà quelque chose qui vous fait vivre. Continuez sur ce beau chemin qu'est la littérature. Votre désir s'y trouve. Evidence rare. Elle baisse les yeux et parle:                                               la littérature me fait souffrir.                      Et puis elle éclate en sanglots. Edwige constate, elle pleure.

Ce vertige qu'elle a connu. Désormais, elle voudrait le retrouver.

Emotjis vagues. M lui répond : émotjis vagues et fallafels. Elle sourit. Ils se verront en cours, c'est déjà ça.

A Paris elle est loin de Caen. Elle est loin du lycée. Loin des pestes. Elle n'est pas non plus à Oléron mais c'est mieux. Elle est près de Juliette. Proches comme des sœurs. Juliette va mieux elle aussi. Elle s'est faite violée deux fois. Les connards. Les petits connards de merde qui ne comprennent pas. Les petites pestes non plus. Rien compris. Comprendrez pas.

Quand elles se voient elles fument près de la fenêtre. Elles écoutent Rosalia et elles dansent. Elles dansent bien, surtout elle. C'est toujours avec de grands mouvements contrôlés du bassin. C'est sensuel et bestiale. Elle s'accroupit au sol puis remonte doucement par cercles. Les mains butinent l'air et une fois atteint un sommet elle se retourne brusquement. Un pied tendu, l'autre fixé au lino comme un soldat. Les mains sur les hanches, elle fait le regard qui tue. Le voisin baisse les yeux et fait semblant de cuisiner un bol d'air.

Soit qu'elle psychote soit qu'il les observe elle avait senti un regard masculin.

Elle prend ses affaires et sort de chez elle. Une fois arrivé chez Juliette, elles fument près de la fenêtre. Elles parlent de choses et d'autres et surtout elles dansent. ! Chulaaaa, la rosaliaaa, que si ! Elles sont en sueur. Les tatouages de Juliette reluisent dans le soir s'assombrissant. Les lumières du dehors créent des ombres dans le salon. Seules, elles rigolent. Il faut que Juliette s'en aille. Tu claqueras la porte quand tu partiras demain ok ?

Jour 4

Elle se réveille et ouvre les tiroirs de la cuisine. Du pain de mie, un reste de pates froides et des cacahuètes en pâte. Elle avale le sandwich, bois un fond de bière et du jus d'orange. Le paquet de chips de la veille est vide lorsqu'elle s'est servie dedans. Une fois dans la chambre de Juliette elle inspecte les coins. Sous le lit, sur les étagères, dans le tiroir. Elle en sort de longues feuilles. Comme elles sont mouillées elle les remplace par celles sur le bureau. Celles du bureau elle les garde. Elle prend aussi l'herbe. Les deux quarts feront l'affaire. C'est discret. Maintenant qu'elle a claqué la porte, elle rentre.

Le cours a commencé. Tremblantes, ses mains accrochent la chaise. La chaise que M. lui a réservée branle. Il rigole. Le rythme cardiaque vascule. Les yeux sanglants pixellisent. Elle éclate de rire. Peut-on juger une personne en douze secondes ? La question est là et les yeux s'insurgent. Vous noterez les voix que vous entendez de 1 à 10. L'échelle monte en même temps que le niveau social estimé de la voix. La meuf du premier rang dit qu'elle ne peut pas faire ça. Bien sûr que si. Les yeux levés au plafond, les néons l'éblouissent. La tête qui tourne alors, c'est toute cette herbe fumée. Pour la retenir de tomber en arrière il lui prend la nuque. Sa tension enflamme le visage. Dans l'étourdissement des rayons le réseau sanguin gonfle. C'est toute cette herbe qu'elle a fumée et c'est peut être cette paume qui la digitalise

Intermédiaire, l'espace qui la sépare de M est une poche de pulsion des désirs en suspens. Elle observe la main. La main dont la paume a digitalisées sa nuque est forte, longue et noueuse. De si belles mains sont intouchables.

 

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