Nouvelles du 16ème

leandre

EXTRAITS

LA SIRENE DU BOIS DE BOULOGNE

En été, Jean-Marc courait dans des marathons qui ne payaient pas de mine, tel celui de saint-Innocent, petite commune savoyarde dont sa famille était originaire. La course avait lieu au mois d'août. Une caisse de vins blancs était offerte chaque année au gagnant avec en prime une visite guidée au château de La Rupelle. Cette course, il la gagnait très souvent.

L'homme s'entraînait tous les dimanches matin au lac du Bois de Boulogne à l'heure où le jour se lève timidement et où les fêtards parisiens se couchent. C'était pour lui, un rendez-vous avec la nature à ne surtout pas manquer. Jean-Marc était profondément écologiste.

Ecologiste, il l'était vraiment jusqu'au boût des ongles : il mangeait vert, ne s'empiffrant qu de salades à tous les repas ; s'habillait en vert, ses costumes comme ses culottes ne portant que cette couleur et enfin, militait, très activement d'ailleurs, pour l'UVPUMPV (Union des Verts Pour Un Monde Plus Vert), parti politique qui comptait 23.000 adhérents.

Il lui arrivait de créer des journaux pour l'UVPUMPV. Le dernier en date fut l'incontournable "Vert, reste Vert !" qui s'adressait à celles et ceux qui seraient tentés de changer de couleur, un jour.

On lui devait aussi des slogans publicitaires toujours pour le même parti, dont le très connu "Vert, ton troisième verre ne doit être rempli que d'eau".

En plus d'être écologiste, cet homme qui roulait dans une voiture bio-dégradable, nourrie à l'huile de tournesol, était poète, écrivant chez-lui, la nuit comme le jour, des vers à la lueur de la bougie à une pervenche (parait-il) souriante qu'il avait aperçue de loin dans un bar, il y a à peine un mois, et qu'il n'avait pas osé aborder. L'aubergine plutôt sexy, (hé oui, il y en a) habitait près de son logis et recevait ses poèmes chaque samedi. Elle ne connaissait pas encore le nom du mystérieux poète, mais mourait d'envie de le rencontrer.

Jean-Marc la voulait plus tard pour femme et avait déjà acheté une bague de fiançailles, sur laquelle il avait même fait graver son prénom. La jolie demoiselle s'appellait Marcelle et prétendait être auvergnate.

Malheureusement, aucune parisienne, même fuyant un certain modernisme, ne pouvait habiter un jour chez notre romantique, car dans son meublé de vieux garçon, il n'y avait pas d'électricité...

En effet, toute ménagère vivant en occident n'est absolument pas capable de filer le parfait amour, sans avoir à portée de main un aspirateur ou un micro-onde. Des études très sérieuses l'ont prouvé.

Jean-Marc aimait à vivre comme à l'époque de François 1er et s'obstinait à ne pas changer de siècle... Ah ! si Darty parvenait à lui faire les yeux doux, ça arrangerait bien Cupidon...

Son amour des arbres et des sonnets ne l'empêchait pas d'avoir également de l'intérêt pour tout ce qui était royauté. Il suffisait de voir le nombre de tableaux accrochés dans son salon, représentant les rois et reines ayant gouverné la France et la grande pile de magazines "Point de Vue" qui faisait "Tour de Pise" posée dans l'entrée de l'appartement de notre écolo.

Un jour qu'il était en pleine méditation poétique au bord du lac du Bois de Boulogne, la tête baissée, assis sur un banc, après avoir couru près de 1000 mètres, Jean-Marc enetndit comme une voix du genre traînée qui s'adressait à lui.

- T'as pas un biscuit, mon chéri ?

Il releva soudain la tête et vit en face de lui une femme ravissante dans le lac qui avait une longue chevelure et des gros seins.

- Ciel ! Marie-Antoinette ! s'écria-t-il.

L'inconnue ne put s'empêcher de rire.

- Qui c'est celle-là ? Une fille de quartier ?

- Non !

- Une élève de la Star Académy ?

- Vous n'y êtes pas !... Il s'agit d'une reine ! Une reine à qui on a coupé la tête ! Ah, comme vous lui ressemblez !

- Je lui ressemble peut-être, mais elle n'avait sûrement pas de queue ! s'écria le sosie de la souveraine.

La phrase stupéfia Jean-Marc.

- Je suis une sirène ! Les sirènes ont toutes une queue ! s'empressa de dire ce bien drôle de poisson avant de lui montrer la sienne.

- Oh ! Voilà de quoi balayer le rez-de-chaussée de mon papi ! s'exclama-t-il.

L'homme venait de voir pour la première fois de sa vie, une vraie sirène. Il en était médusé.

(...)

LE LIGOTE DU BOULEVARD SUCHET

Le Who's de nos deux compères qui pratiquaient le saucissonnage, avait les pages bien cornées. On aurait pu lui donner trente ans d'âge. C'est qu'ils l'avaient traumatisé, les deux malandrins que voici, plus plein de types qui faisaient le même sale boulot.

La BM de Serge et d'Aziz paraissait aussi mal en point que livre, avec ses portières et pare-chocs cabossés. Le véhicule avait l'air de sortir d'une décharge...

Les deux malfaiteurs semblaient très nerveux. Le coin visiblement leur faisait peur. Ils ne se sentaient pas en confiance loin de Chatoux La Ville, leur bled.

-T'as raison ! Faut s'pointer au 12 ! dit Serge, après avoir consulté le Who's.

Ils firent demi-tour à un moment donné, pour reprendre le boulevard dans l'autre sens.

Leur BM esquintée attira brusquement l'oeil d'un gardien de la Paix obèse, aux moustaches épaisses, bien plus impressionnantes que celles de notre célèbre paysan José Bové, en train de manger un sandwich jambon-beurre type gare de Lyon, c'est à dire avec presque rien dedans. C'était son deuxième.

Il sortit ensuite péniblement de sa caisse de flic, avec ses kilos de graisse (dont une bonne moitié ramenée de Chicago, il y avait à peine une semaine) et leur cria avec une forte voix rauque, en projettant pas mal de postillons et de miettes de pain un "Hé ! Là !" en bougeant des bras.

On aurait dit de loin un type qui range des avions à Orly.

Les zonards le virent et filèrent, la peur au ventre, et le flic, instantanément, prit une sorte de talky-walky au look plutôt japonais, c'est à dire très petit, afin de prévenir ses collègues de la présence dans le coin de ces lascards pas assez belles gueules pour porter des costards cravate.

Les deux banlieusards trouvèrent ensuite une place dans un coin ombragé.

Aziz avait garé, sans s'en rendre compte, le BM devant une ambassade qui n'avait pas son drapeau ce jour-là. Il était depuis au moins un mois chez un teinturier qui refusait obstinément de le rendre, tellement il le trouvait beau avec ses bords dorés autour.

Le commerçant risquait bel et bien un procès.

A côté de la BM, se trouvait un panneau sur lequel était dessiné un camion muni d'un crochet qui tire une voiture.

- C'est quoi ce dessin à la con ? murmura Aziz, qui avait le gosier qui sentait l'herbe.

- Sais pas ! répondit Serge en grimaçant un peu.

Que voulez-vous, ces zonards n'étaient jamais entrés dans une auto-école, ne savaient pas ce qu'est le code Rousseau, ni qui était Rousseau d'ailleurs. (Ils sont purement et simplement lamentables.)

Peu après, nos compères virent une caméra qui bougeait.

- T'as vu ce machin qui tourne ? Dis, c'est un truc pour frimer ? demanda Serge, très intrigué, à son ami.

- Non, un truc pour filmer, répondit Aziz.

- Peut-être bien qu'on nous filme, alors ? (...)

"Remous dans le 16ème". G de Louvencourt. ABM éditions

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