Nuage
kaor
J'ai un nuage au-dessus de ma tête.
Comme un compagnon que je suis seul à voir, dont je suis seul à sentir la présence.
Je l'aperçois dans les miroirs les soirs d'hiver, il accentue mes traits tirés, brouille mon reflet, le rend méconnaissable.
En été je scrute le ciel sans le trouver, mais je sais qu'il est la car le soleil brille fort mais sa chaleur ne m'atteint pas.
Je ne vois ni lumière ni couleur, il rend tout gris et fade, mais je sais que les autres veulent danser donc je me sens coupable de ne pas ressentir la même extase, alors je fais semblant.
J'ai un nuage au-dessus de ma tête.
Il est là le jour et la nuit, il ne dort jamais et voudrait m'infliger son rythme.
Si je finis par trouver Morphée, il me veille patiemment pour m'accueillir dès le matin prêt à relancer la machine.
Il peut changer d'aspect, de taille et d'altitude, devenir grain de sable et si distant que je pourrais presque l'oublier.
Mais c'est son vice car dès que je m'en crois débarrassé, une ombre apparaît et grandit, annonçant son retour.
Lorsqu'il est bas, il est noir d'eau et menaçant, il prend possession de mes environs jusqu'à ce que je ne voie que lui.
Il se rapproche au point de caresser ma chair, pénétrer mes poumons pour m'étouffer, me saper de ma vie, sans aller jusqu'au bout car mon nuage n'est rien sans moi, donc il prétend vouloir me tuer mais jamais ne franchit le pas.
J'ai un nuage au-dessus de ma tête.
Mais pourquoi s'en prend-t-il à moi, ais-je mérité d'ignorer la couleur du ciel, de ne pas pouvoir contempler les étoiles ?
Quel est mon crime pour que ce soit ma punition, si mon destin est ainsi fait c'est qu'il y a une raison derrière, n'est-ce pas ?
Et cette question que je ressasse et reformule, et qu'il m'a lui-même susurré, à son tour nourrit mon nuage.
Car aucun Homme ne pourra jamais y répondre et aucun Dieu ne daigne s'exprimer sur ce qu'il me reproche.
Quand bien même saurais-je expliquer la présence de mon nuage, je serais impuissant car au fond que pourrais-je y faire ? Ça me dépasse, je ne sais pas contrôler la météo.
Je m'imagine comme un fou dans la tempête, le poing levé vers le ciel, à maudire sa malédiction.
Finalement, tout ça ne rime à rien, en vouloir à son sort, c'est comme souffrir une deuxième fois.
Chasser mon nuage c'est chasser une chimère, c'est la promesse d'une vie d'échecs, mieux vaut apprendre à vivre avec.
Donc la prochaine fois que je sens que mon nuage m'attend dehors, avant de franchir le palier je saisirai un parapluie.