L'absence #2
pique-la-lune
Tu n'as pas emporté nos communs souvenirs :
ces médailles, ces croix, ni ces plateaux de cuivre
où tes doigts rallumaient le ciel de Tunisie ;
ni l'humble plat d'étain
déjà plein de tristesse et lourd de ton absence,
les rires des enfants, les photos de famille
les meubles marquetés, les tapis et les livres...
Tu n'as pas emporté mes larmes...
Tu es peut-être mort sans savoir
que j'étais malheureux, dévoré à hurler
car tu m'as fait de race où l'on tait sa douleur
car tu m'as fait d'un sang qui se meurt sans parler
mais tes doigts enlacés et mes doigts renoués
m'ont glissé ton désir de survivre à ta vie...
Je n'ai su que prier devant ton triple appel
à mi-voix, chastement, comme une source pleure
des syllabes de chair dans un roc fissuré
et tu n'as peut-être pas entendu mes prières
lorsqu'a glissé ta tête dans un dernier soupir...
et je n'ai pas pleuré quand j'ai touché tes paupières
ni quand je t'ai paré avec des doigts de mère...
Tu n'as pas emporté mes larmes d'enfant.
Les voici revenir, comme coule un torrent :
silencieuses, lentes, brûlantes, amères,
en dépit des semaines, des mois, des années
et je sens qu'avec elles tu reviens me parler...
...tu reviens! mon cœur fond comme après un baiser !
Tu reviens ! Et je meurs de n'avoir pu t'aimer !