# Défi 1 : Distance relative
Yeza Ahem
Dehors, le temps est à l'orage. Impossible de sortir de chez soi. Et puis, sortir, à quoi bon ? Autant jouer avec le feu... ou plus exactement, dans le cas précis, avec la foudre, les torrents de boue et le vent implacable qui bat chaque obstacle : arbre ou mur...
Alors, je m'installe dans mon canapé et j'attends, les yeux rivés à la fenêtre, les oreilles en alerte au moindre son brusque qui interromprait le flux et reflux des bourrasques. Mon esprit s'évade quand, tout à coup, il s'arrête sur toi, Jean. Pourquoi maintenant ? Pourquoi pas.
Pas d'image, pas même de couleur. Ni le rouge du sang qui bat dans nos veines et que nous partageons, ni même le bleu du ciel du Nord qui n'en est pas un. Ni enfin le noir de l'obscurité qui parcourt parfois ton regard lointain.
Une volute de fumée entoure ton nom. Celle de ma cigarette, tout juste allumée, à moins que ce ne soit celle de la vapeur de ton extension électronique. Elle recouvre tout... embrume tout et forme comme un mur infranchissable.
Pour le franchir, il faut être prudent et se battre tel le prince du conte, bravant les ronces entourant la forteresse de celle qui deviendra sa bien-aimée. Les épines ont beau arracher la chair, rien n'y fait, on avance, trop curieux de ce qu'il y a derrière, promesse d'aventure et même, qui sait ? De bonheur.
Quand, doucement, un chemin semble se dessiner, on accélère, sûr d'accéder au but, bien que celui-ci ne soit pas vraiment défini. Car, après tout, comment savoir ce qui se cache derrière tant d'obstacles ?
Tel un chat, enfin, on franchit les derniers mètres, prudemment, calculant chaque pas et les risques encourus si l'on va trop vite, trop loin... La proie est là, tout proche... un contour se dessine... tu es presque là...
Tu es là à présent, et tu souris, tu ris même ! Et tout à coup, il n'y a plus d'obscurité, plus de fumée, tout est illuminé, jusqu'à ton sourire à demi étonné de me voir débarquer dans tes songes. Ton visage apparaît...
... Avant de disparaître à nouveau. Tu te lèves, me tournes le dos et vas à la fenêtre. Dehors, pas d'orage. Il n'y a que des arbres, des champs, depuis ta fenêtre sous les toits. Plusieurs secondes passent. Et tu te retournes. Tes yeux, ton sourire, me disent : « rejoins-moi ! »
Et c'est ce que je fais.
Je ne suis plus dans mon canapé, entourée par la violence des éléments. Je suis à plus de 700 km de chez moi, et je regarde par une fenêtre que je connais bien. Je regarde les arbres, les feuilles, et le sol piqueté du jaune des fleurs de pissenlit. C'est le printemps.
Tout est calme. Je sens ton épaule contre la mienne et je suis rassurée, apaisée.
Un bruit, tout à coup, m'éjecte de mon rêve et je retourne brutalement dans cette enveloppe abandonnée sur mon canapé. Je souris. Je suis bien... heureuse, peut-être.
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