# Défi 3 : Mayo forever

Yeza Ahem

Choisir entre artères bouchées, travail en équipe et peur incontrôlée... [texte issu des défis d'écriture lancés en ligne par Hélène Duffau : http://www.heleneduffau.fr/defi-decriture-3]

Vendredi 8 juin, 14h. Je me retrouve en bas de cet immeuble de 10 étages, abandonné avant la fin de sa construction et, soi-disant, sécurisé par les "Gentils Organisateurs" de cette session de Team Building organisée et imposée par ma maîtresse, la Société Anonyme, celle qui me fait bouffer depuis bientôt 32 ans...

... 32 ans à classer des papiers dans des pochettes, des pochettes dans des boîtes d'archives étiquetées et bien rangées dans les étagères débordantes du sous-sol du siège social, situé dans un vieil immeuble haussmannien.

Et me voilà, un après-midi maussade de juin, à 7 mois et 3 jours de la retraite, à devoir crapahuter dans une zone qu'on dirait en guerre, affublée d'une chasuble ridicule arborant un olivier plus que centenaire  dépassant d'un énorme container à poubelle... le sigle de mon "équipe" , un clin d'œil à notre production d'huile de colza, concurrente de l'huile d'olive de par le monde...

Je n'ai eu droit qu'à prendre 3 objets dans mon sac à main où s'amoncelle tout mon nécessaire de survie, tel qu'une pochette de trois sparadraps pour mes talons toujours écorchés par mes chaussures que je m'entête à prendre en 39, détestant l'idée que je fasse du 40... des comprimés pour le mal de crâne que me provoque chaque année la climatisation mise trop froide ou trop chaude selon les saisons, une ampoule de vitamine C pour les matins difficiles, un tube de mayonnaise industrielle pour répondre à mes besoins de gras quand je suis contrariée, une boîte de pastilles à la menthe pour pallier l'odeur de la mayonnaise, et un mouchoir en tissu pour m'essuyer les commissure des lèvres, ou les tempes, selon si j'ai subi des contrariétés ou le souffle saharien de la ventilation.

Trois objets donc. Le tube de mayo, les bonbons et le mouchoir me semblent les plus appropriés à la situation.

Notre mission, à mon équipe de comptables, RH et archivistes ? Ramener des playmobils cachés dans des boîtes de conserve dissimulées dans la bâtisse en ruine. Deux boîtes dans un tas de béton...

Les autres sont déjà partis, en courant presque, maladroitement et comme revenus à une enfance fantasmée et idiote. Moi, je n'ai pas bougé. Pas d'un centimètre depuis que j'ai vu paraître la truffe énorme et noire d'un doberman, à l'angle de l'immeuble, à droite. Il m'observe et semble attendre que je bouge pour décider de ce que, lui aussi, fera.

Je reste là, incapable de me mouvoir... Pas même un frémissement qui pourrait être le top départ de sa cavalcade et de ma perte.

Combien de temps suis-je restée ainsi ? Je ne sais pas. Seule certitude : la truffe noire a disparu lorsque l'équipe des VRP et autres commerciaux, d'une moyenne d'âge de 25 ans de moins que moi, est redescendue bruyamment, exhibant fièrement un mini ouvrier de chantier et un petit indien, réductions en nombre et en taille des Village People.

Quand mon équipe redescend enfin, en nage et rougie par l'effort, je suçote une pastille mentholée en sortant mon mouchoir.

Allez ! Encore 7 mois et 2 jours.


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