# Défi 5 : Dire ou ne pas dire...

Yeza Ahem

Entre règle, cœur et devoir... [texte issu des défis d'écriture lancés en ligne par Hélène Duffau : http://www.heleneduffau.fr/defi-decriture-5]

Quelle poisse !

Alors que le chantier était en si bonne voie... Nous avions déjà essuyé de nombreux retards dus aux autorisations légales préalables. Une première était réclamée par le maire, une seconde par le préfet, une troisième par le service urbanisme du département, et il y avait cette quatrième à demander au sous-secrétariat aux sous-sols, dirigé par un sous-fifre zélé. Celui-ci, avide de la moindre parcelle de pouvoir sur son canton, avait enfin tamponné la sienne, après trois semaines de relances.

Toutes étaient enfin remplies, complètes et avisées par tous ces dépositaires d'un sceau plus ou moins prestigieux. Les sésames étaient maintenant réunis, et trônaient fièrement dans une caisse aux allures de porte-revue.

Mais voilà. C'était sans compter avec la Némésis de tout contremaître : la trouvaille archéologique !

Beaucoup de collègues faisait l'aveu, auprès de personnes discrètes, qu'ils avaient "nettoyé" certains sites à l'insu des autorités. Ils ne voulaient pas risquer toutes les galères avec l'État et le commanditaire, inévitables quand le moindre fragment d'os ou de poterie était trouvé.

Et oui. Inutile d'être aussi tacticien ou stratège que le cador du club d'échecs du coin pour savoir que le plus simple, dans notre métier, était de tout bazarder discrètement pour maintenir un chantier.

Mais comment faire quand on est un enfant de prof d'histoire-géo, et parent d'une ado qui va, chaque été, faire des fouilles archéologiques dans le Cantal ou en Lozère ?

Mon cœur, spécimen de nougat tendre, n'a pas su résister au plaisir de voir briller les yeux de sa fille. Je lui ai ramené ce morceau d'amphore, trouvé près du second trou réalisé par un ouvrier péruvien. Lui, ne voyait pas le souci de tout défoncer.

Seulement, une fois le débris remis entre les mains de mon aînée, il ne m'a fallu qu'une fraction de seconde pour que je comprenne qu'il m'était désormais impossible de ne pas avertir les autorités compétentes. Service des monuments historiques, experts et élus allaient défiler dans mon chantier arrêté.

Fini de creuser avant plusieurs mois... Le creusement de ma piscine, lui aussi, allait être ajourné...

Si, au moins, ça avait été un lingot... une broche... quelque chose, n'importe quoi, mais de valeur... Mais non.

La future médiathèque, qui devait émerger des ruines d'un ancien ensemble de parkings privés, allait devoir attendre. Et pourquoi ? Un bout d'amphore en terre cuite. Rien autour ne laissait pourtant présager qu'on était sur un site historique particulier. Alors quoi ? Simple détritus abandonné ?

Décidément, il plaignait celui qui, dans quelques centaines ou milliers d'années, allait devoir creuser dans nos campagnes et montagnes... Si la législation restait sur la même ligne, les futurs contremaîtres n'étaient pas prêt de bosser !


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