#Défi 6 : Une victoire à sa mesure

Yeza Ahem

Quand derrière un écran on ne peut plus se cacher... [texte issu des défis d'écriture lancés en ligne par Hélène Duffau : http://www.heleneduffau.fr/defi-decriture-6]

Mâcher un chewing-gum, de manière si ostensible, alors qu'on est au premier rang, n'est pas forcément la meilleure chose à faire pour montrer son intérêt au locuteur sur la scène. Et pourtant, c'est ce que je ne pouvais m'empêcher de faire pendant cette conférence sur la littérature de l'antiquité égyptienne de la IIIe dynastie.

En effet, au milieu des étudiants passionnés, dubitatifs, ou endormis, je faisais un peu tâche. J'étais bien loin de l'uniforme de seconde année de licence d'histoire. Peu préparée à ce genre de discours, je me retrouvais renvoyée à mes années collège où, déjà, lorsque je ne savais quelle contenance prendre, mâchouiller était mon défouloir.

J'avais atterri dans ce jardin réaménagé en salle d'étude en plein air, à l'entrée du musée George Labit, alors que je cherchais l'entrée des bureaux administratifs pour déposer mon CV de Community Manager. Je n'avais pas osé m'éclipser quand une femme, entre deux âges, m'avait priée avec un sourire de m'installer car "ça allait commencer".

J'avais beau jeter des regards furtifs sur ma montre - qui refusait d'avancer -, ainsi que sur la dame installée près du conférencier, rien n'y faisait : je ne pouvais pas bouger.

L'heure tournait et je savais que la vibration ressentie dans mon sac quelques secondes plus tôt me signalait l'imminence de ma seconde séance d'acupuncture pour arrêter de fumer, soit une seconde bonne raison d'occuper mes maxillaires qui auraient tellement préféré qu'un cylindre nicotiné soit vissé entre mes lèvres.

Après plusieurs essais infructueux, je dus me rendre à l'évidence : impossible pour moi de suivre le discours du professeur, ni même sa trame, projetée dans son dos sur un écran en toile qui diffusait un powerpoint à l'originalité digne d'un architecte stalinien.

Déjà 1h30 de passée, et toujours pas trace de conclusion sur les slides qui défilaient. L'article que je devais poster sur mon blog avant 19h15 allait devoir être torché, quand je rentrerai. Je me maudissais pour mon penchant à la procrastination et ma timidité...

Depuis mon enfance, j'étais incapable de couper la parole aux gens, de les dépasser dans la rue de peur de les frôler, ou même d'énoncer clairement mes idées et envies. L'apparition du numérique m'avez sauvée et permise de me cacher derrière les écrans pour m'exprimer. J'avais gagné en assurance. Mais là, dans la vie réelle et matérielle, rien ne semblait avoir changé. Certains de mes amis, gentils, me disaient trop attentionnée.

Alors que ma montre allait bientôt annoncer que deux heures avait disparu depuis mon immersion dans cet îlot de verdure, je décidais de me prendre en main. Après tout, nous étions dans la semaine du mardi gras et du carnaval ! Le moment était propre à tout chambouler et inverser.

Après deux profondes respirations, et un dernier coup d'œil sur la distance qui me séparait de mon objectif, soit la porte du bâtiment C, je décidais d'y aller. Mes muscles étaient contractés, à la limite de la tétanie. Mes jambes ont toutefois réussi à se plier, avant de mieux imprimer la force permettant de me lever, et d'avancer d'un pas que l'on aurait pu croire sûr, jusqu'à ma cible.

Ma main gauche s'est tendue vers la poignée de la porte, l'a saisie et actionnée. Et je suis entrée.

Avant de refermer la porte derrière moi, j'ai vu deux yeux qui me regardaient. Et oui, je suis fière de dire que ce que j'y ai vu n'était rien moins que de l'admiration.


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