Objets solaires
audevaisselle
«Il n’ y a qu’un soleil (...)» Henri Petit
Le Musée de la Lumière Solaire et de l‘Énergie Photovoltaïque ouvrait ses portes tous les jours de l‘année, au lever et au coucher du soleil, entre 05:34 et 08:17 le matin et fermait le soir entre 17:58 et 22:32 selon les saisons. Le conservatoire n‘accueillait aucune visite nocturne.
Le Musée du Soleil était situé vingt pieds sous terre. À la surface, il y avait un jardin luxuriant, symbole de la vie par photosynthèse, où poussait librement des tournesols sauvages. Au sol, des oeillets de verre transparent conduisaient la lumière naturelle pour éclairer la galerie souterraine. Ces conduits projetaient des rayons de soleil sur les objets exposés et entouraient chacun d‘eux d‘un halo. Les poussières visibles sous la lumière s‘agitaient au moindre mouvement en scintillant.
Il y avait là exposés toutes sortes d’objets de cultes, racontant les mythes et les légendes de l’astre solaire à différentes époques. Ce conservatoire avait été créé afin d’exposer les liens symboliques et physiques entre les hommes et l’étoile. La course du soleil avait guidé des peuples nomades et orienté l’architecture des lieux de culte – temples, pyramides, autels – des populations sédentaires. L‘astre solaire avait longtemps été un mystère divinisé par les premières civilisations. À cette spiritualité s’était opposée la raison scientifique d’Anaxagore puis de Copernic, de Galilée et de Kepler. Ces physiciens étaient parvenus à démontrer le lien rationnel entre l’étoile et la planète, bouleversant profondément la perception du monde, et la relation des hommes et de leur environnement naturel. Tout était expliqué, plus rien n’était divin à travers les instruments de mesure et les lunettes d’observation présentés au Musée.
Enfin, l‘histoire des cellules photovoltaïques, depuis leur apparition jusqu‘à leur disparition, terminait l‘exposition.
On découvrait d‘abord les premières utilisations de l’énergie du soleil – éclairer, chauffer, sécher – avant la découverte de l‘effet photovoltaïque par Edmond Becquerel en 1939, puis développé dans les années 70, début de l’histoire de la technique liée à la capture de la lumière naturelle. Quand les hommes surent transformer son rayonnement en fluide électrique, les premiers rendements étaient médiocres. Aussi, cette énergie alimentait les appareils électriques qui avaient besoin de peu d’énergie pour fonctionner. Il y avait à cet endroit là sous le rayon de soleil qui l‘éclairait, un modèle de calculatrice de poche solaire, daté de 1990. Quelques cellules photovoltaïques remplaçaient les piles électriques, dont la composition chimique était toxique pour l’environnement. L‘écran digital consommait peu d‘énergie et il suffisait de placer son pouce devant les quatre petites cellules cuivrées pour l‘aveugler et éteindre l‘appareil. La lumière du jour suffisait à l‘allumer et l‘ombre du tiroir à l‘éteindre. L‘histoire industrielle du photovoltaïsme avait commencé avec un gadget, dont personne n‘avait alors imaginé l‘avenir. La génération suivante de cellules photovoltaïques, plus perfectionnées, étaient de couleurs bleues. La surface photosensible a rapidement équipé des objets de camping, exposés à la lumière naturelle le jour et dont l‘énergie accumulée produisait un courant électrique de quelques heures, utile la nuit. Les premiers prototypes de sacs à dos équipés de capteurs solaires avaient récemment rejoint la collection du musée. Ces chargeurs photosensibles permettaient d‘alimenter des petits appareils électriques rangés dans une poche. On se tournait vers le soleil. On orientait la surface brillante à la lumière naturelle et on attendait son chargement. Si capter l‘énergie du soleil devenait progressivement plus optimisée et plus fiable, sa performance était néanmoins limitée. Les fonctions électroniques superflues avaient été supprimées par économie – l‘écran lumineux d‘un baladeur par exemple – afin que celle fournie par les capteurs photovoltaïques suffise. Cette énergie avait influencé profondément la forme et la focntionnalité de certains objets.
Le photovoltaïque apparaissait à cette époque comme une nouvelle matière à explorer et à expérimenter. Ces promesses technologiques brillaient sur tous types d‘objets. Cependant, son utilisation ne semblait pas aller toujours dans le sens d‘un remplacement progressif de consommations domestiques existantes mais dans l‘application de nouveaux usages énergétiques multipliant parfois paradoxalement les consommations. L‘enthousiasme pour cette technologie apparaissait clairement à cette étape de l‘exposition où même les objets les plus insolites avaient été au moins une fois accolés à des cellules photovoltaïques.
Finalement, des cellules photovoltaïques plus souples avaient remplacé les premiers capteurs rigides. La finesse de leur épaisseur, de l‘ordre du micron, leur permettait d‘intégrer des textiles pour des vêtements d‘extérieur. D‘abord sous forme de plaquettes solides cousues au niveau de la nuque et des bras, les parties du corps les plus exposées au soleil, puis directement tissées avec les fibres textiles. Les premiers prototypes de vestes étaient suspendus à cet endroit.
L‘urgence climatique avait accéléré la recherche de la performance de l‘énergie photovoltaïque et les investissements financiers importants dans ce domaine avaient considérablement contribué à son progrès. La filière textile avait été la première à développer une surface photosensible flexible et à associer des capteurs invisibles directement dans la matière. Puis de nombreux secteurs industriels avaient suivi. Les objets électriques qui cherchaient à attraper la lumière ambiante avaient une esthétique particulière. Dans une chorégraphie héliotropique lente et gracieuse, ces objets se tournaient vers la lumière du soleil et déployaient par phototropisme des formes de pétale, de coquillage et de feuilles pour démultiplier la surface exposée. On distinguait une surface photosensible quand celle-ci était de couleur foncée pour absorber les rayons infra-rouges, et légèrement pailletée, vernis ou avec des reflets cuivrés selon la technique. Cette production d‘électricité suffisait à leurs consommations très sobres. Néanmoins, une pellicule de poussière perturbait leurs fonctionnements et il fallait souffler sur l’objet pour le réactiver. N’importe quel appareil électrique était sensible aux rayons lumineux, même le plus faible et il fallait un noir d’encre pour couper son alimentation. On parlait désormais de la « lumière des objets » et le Lunn (Ln) était l’unité de mesure de sensibilité à la luminosité. Les appareils étaient constamment exposés à la lumière ambiante et en veille permanente de chargement.
La suite de l‘exposition présentait des maquettes d‘espaces habitables nouveaux où l‘éclairage solaire était omniprésent à chaque étage de la maison pour alimenter en lumière naturelle tout l‘édifice. Une des propositions présentait un réseau complexe de fibres optiques qui distribuait la lumière du soleil avec quelques heures de retard. On se réveillait dans la matinée avec la lumière de l‘aube, on s‘éclairait le soir à la lumière de la fin de l‘après-midi.
La visite se terminait par des exposés sur la recherche en luminescence naturelle, lumière produite par les animaux marins des abysses, milieu privé de la lumière du jour. Le conservatoire de la Lumière Solaire, de l’Énergie Photovoltaïque et du Nomadisme exposait ainsi l’évolution de l’énergie solaire et de son futur.
Le Museum disposait de deux annexes, Solari, laboratoire médical spécialisé dans la luminothérapie, et Omniimaxx, un observatoire solaire. Depuis l‘extérieur, l‘Omnimaxx était une sphère gigantesque qui chapeautait le bâtiment d‘un toit melon. Cette géode étincelante et lisse comme un oeil de verre, fixait dans sa course le soleil qui s‘y miroitait capricieusement comme toute étoile. Ce globe reflétait si bien la composition changeante des cieux qu‘il paraissait disparaître, absorbé par le zénith.
La surface en verre teintée faisait écran et on pouvait observer depuis l‘intérieur l’astre lumineux sans plisser les yeux. Un jeu d‘optique reproduisait une image de l‘astre solaire et une boule de feu flottait à quelques mètres du sol au centre comme si une partie du soleil avait été piégée sur Terre. Ce globe géant couvait ainsi un deuxième soleil que les scientifiques avaient surnommé Prométhée. L‘illusion éclairait faiblement l‘intérieur assombri et on ne ressentait aucune chaleur. L‘accès était réglementé et le silence absolu. Les visiteurs circulaient sur un chemin de ronde pour en faire le tour complet. Seuls des hommes en blouse avaient le droiot de s‘approcher de l‘astre et ceux-là discutaient à voix basse. Ce mirage servait à montrer en temps réel l‘activité incandescente du soleil et son pouls bouillonnant. L‘étude méticuleuse du soleil permettait de renseigner sur la quantité d‘énergie solaire disponible. Le Ministère de l‘Air, du Climat et de l‘Énergie Solaire consultait quotidiennement les données de l‘observatoire. Ces informations étaient précieuses au point que l‘économie du pays était perturbée si la couverture nuageuse était trop dense, ou que l‘ombre obscure de la lune traversait la région le temps d‘une éclipse solaire. La perte de luminosité de plusieurs minutes était calculée et le calendrier officiel de l‘année indiquait des jours fériés à ces dates.
Le musée était fermé.