Obscur couloir, gorge endormie.

ellem-jee

Une jeune fille trouve par hasard un lieu étrange. Chaud et doux, silencieux et mystique, d'une obscurité incandescante. Poésie quelque part entre l'estomac de Gargantua et le ventre de la Baleine...
   Encore une journée pluvieuse chez les universitaires. Les membres frigorifiés et entrant dans le bâtiment, elle cherche des yeux un endroit où se réchauffer un peu, autre part que dans ce hall froid et constamment parcouru de courants d'air glacés en tapinois. Les radiateurs alentours, mastodontes impitoyables de fonte, de poussière et de peinture écaillée lui brûlent les doigts sans les tiédir. Quelque chose attire son attention sur la droite, une absence de lumière, bizarrement... Son regard plein d'espoir se pose sur une double porte coupe-feu cachée sous un escalier, et dont les deux minuscules carreaux révèlent des ténèbres qui lui paraissent aussitôt fascinantes. Bien évidemment la curiosité et l'adrénaline échauffent le corps froid de la jeune fille pour quelques instants, et elle décide de tirer sur une des portes, en priant pour qu'il n'y ait pas derrière celles-ci des détecteurs de mouvement qui allumeraient de quelconques immondes et épileptiques néons sortis d'on ne sait quel faux-plafond.
La porte massive grinça dans un sens seulement, quand elle se referma lentement d'elle-même en tremblant. Stupeur. L'obscurité, la chaleur. Un long et étroit couloir sombre menant à une impasse, avec quelques portes sur les côtés. Deux faibles et lasses enseignes de sortie EXIT empêchent la noirceur d'envahir complètement les lieux, et pour elle, d'être complètement aveugle. C'est si beau. Et ces deux lucioles de secours donnent une si fantastique couleur chaude de chambre d'enfant dans laquelle régnerait une timide veilleuse de nuit ! Elle se demande où elle vient d'atterrir, si elle est dans un autre monde où dans un de ces scénarios d'horreur Lovecraftiens. Le silence est total...
Ou presque. Il y a comme un ronronnement agité, si grave que le cerveau s'y accoutume de manière quasi-immédiate, cette sorte de souffle mécanique semblable à un générateur ou une chaudière, qui s'arrête puis reprend régulièrement, comme une très lente respiration. Bouche bée, elle murmure... « le bâtiment...c'est un homme endormi ! Et j'ai trouvé...sa gorge... » Elle manque de rire d'une telle métaphore réalisée, mais le coma spasmodique et sérieux des lieux l'intimident comme si elle voulait faire une blague à un vieil homme mourant.
Ébahie et en même temps un peu effrayée -cette sorte d'effroi mêlé du plus grand émerveillement, comme une rencontre avec une divinité ténébreuse- elle fait quelques pas en touchant les murs du bout des doigts, s'enfonçant dans le boyau jusqu'à sa fin. Les murs sont tièdes et granuleux. Ils vibrent faiblement. Elle est presque surprise de ne pas les trouver humides, presque surprise que le sol ne soit pas une immense langue comme dans un conte oublié, tant l'aspect « gargantuesque » de ce lieu étroit est frappant.
Dans un court moment de lucidité, elle se dit que la chaleur venait sûrement d'une chaudière quelque part derrière ces murs et que cette chaleur était emprisonnée par les portes coupe-feu. Ce qui expliquerait cette impression de... Attends, nan nan stop ! Elle se refuse à s'expliquer ce moment et cet endroit de façon rationnelle. Ce serait tout gâcher. Quel débile pourrait avoir l'idée de mettre une porte coupe-feu dans un couloir étroit ne débouchant sur nul part ?! Ça ne tient pas debout...C'est bizarre, irréel...
L'arrêt subit – encore une fois – du bruit de générateur la sort de sa palpitante rêverie, et elle porte tout à coup le regard à son poignet. 15H51. Le temps venait de passer à une vitesse qu'on pourrait qualifier d'« affolante »...Pourtant cette expérience était d'une lenteur extrême...c'était, hors du monde, pensa-t-elle, même longtemps après, en rentrant chez elle le soir, encore...Encore une journée plus vieille pour l'universitaire.
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