Occursus

Soda Pop

(ELA : TOME II - Chapitre 4)

La nostalgie c'est bien, mais fallait dormir. Une cuite de cette ampleur, seul le temps pouvait la guérir. Mais ce putain de temps, on en est tellement avare qu'on cherche toutes les combines pour essayer de ne pas le gaspiller. Alors, je vais profiter de ce moment opportun pour résumer ce qui vient de m'arriver et qui m'arrive encore.

Dans le singulier ouvrage qui précède celui-ci et qui lui est inférieur, j'en conviens, ouvrage intitulé «Rififi chez les vikings» je t'ai informé que le Président de la Raie Biblique Harald 1er avait promu mon camarade Lanceleau Danlac ministre danois des affaires étrangères. Beaucoup furent surpris, certains même indignés. D'aucuns en rirent et je fus de ceux-là. Toujours est-il que la chose eut lieu et que la Francie entière, plus le monde entier, durent la constater.

La première mesure que prit le nouveau promu, et je l'en félicite, fut par truchement avec son homologue ministre Franc Ducollier de rétablir dans ces fonctions l'abbé Urbain notre ancien patron de l'Abbaye, celui que j'ai surnommé «le Vieux» et dont le limogeage, à l'avènement d'un nouveau régime, nous plongea dans l'affliction. Ce fut un jeu d'enfant pour Monseigneur Ducollier d'interférer en sa faveur auprès de l'évêché, les grands de ce monde se rendant mutuellement service. Le rôle de tout nouveau régime consiste à secouer l'édifice construit par l'ancien ; quitte à le rebâtir par la suite s'il fait défaut. Or, le Vieux faisait défaut. Cruellement même. Son autorité, son panache, son sens du devoir et son amour pour l'Eglise et les hommes rendaient cet homme difficilement remplaçable.

Que Son Excellence le ramenât à son poste, rassura l'Abbaye toute entière, n'importe sa coloration politique. Un homme nécessaire n'a pas de parti, mais bien des parties !

Je passe…

Donc, Lance' ministre, Urbain de nouveau big boss, et moi, l'Emile assis à la droite du Dieu retrouvé. Ça baignait.

Et puis, un soir que je me rappelai toute ma vie et bien au-delà, alors que j'achevais de me peigner l'unique poil de ma tonsure pour aller verger une nonne au cul attrayant, le téléphone arabe se mit à me gueuler dans les écoutilles. C'était Urbain. Du moins c'était Aykut Ch'tidhir (1) mon fidèle messager Turc, plus exactement de la tribu des Seldjoukides, qui me rapportât les dires du Vieux…

« Nous sommes conviés à un dîner par le Cardinal Clodian, donc pas question de refuser. Ce personnage imminent nous rejoindra à dix coups de coucou soirée (2) dans un salon privé de l'Abbaye de Notre-Dame des Cuny. Sois à l'heure Emile ! »

J'eus le temps de passer chez la demoiselle dont je convoitais les charmes. Elle avait déjà pris un bain de siège et s'était parfumée le minou avec la fameuse lotion « marée basse » de chez Océanique. Je lui expliquais ce qui se passait et repoussais notre rendez-vous de trois heures, me doutant bien que les agapes cardinales ne s'auraient s'éterniser. Je lui fis minette en catastrophe, en signe d'allégeance, car il faut toujours verser des arrhes dans ces cas précis ; mais je triquai comme une horde de cervidés. Jamais, au tout grand jamais, au never si tu préfères, je ne me suis vu une bite pareillement calibrée ! Je le répète : je bande, prébande, contrebande, bande à part, à m'en exploser la paire de jumelles ! Un tel paf, c'est de la folie. Ça défie les lois de la pesanteur !

En maintes occases, j'ai pu admirer mon membre d'exception. Je le trouvais énorme, voire gigantesque. Mais là, bout du con… Un bras de déménageur ! Une troisième jambe ! Le pilon d'une baratte ! Un manche de pioche ! La bielle d'une locomotive ! C'est le phare d'Ouessant, un minaret, un silo à grain ! Mais comment puis-je être inconscient de goder avec un machin pareil ? Mystère de la nature… Quel hymne de reconnaissance dans ma pauvre vie ! Quelles intenses promesses ais-je faites  au Créateur pour me trimballer une telle torpille amarrée au bas ventre ? Je ne le sais…

Malheureusement, fallait pas tergir le verset, il me fallait partir…

De ma soupe de langue, elle conçut une certaine reconnaissance et décida qu'elle irait compter les étoiles avec le jeune Jérémy Letrépied, assistant forgeron, pour tromper l'attente.

La nôtre, à Urbain et à moi, se prolongea quelques peu dans le délicat salon de Notre-Dame des Cuny. Mais le Cardinal fut en avance à son rendez-vous puisqu'il n'eut que deux coups de coucou de retard, ce qui est rarissime de sa part. Nous bûmes du très bon vin à l'attendant.

Quand il arriva, il n'était pas seul. Outre ses gardes du corps, un curieux personnage l'accompagnait. Un homme gros et pâle, avec un nez large comme ta paire de fesses, des cheveux blonds et rares qu'il semblait avoir mis à sécher sur son crâne plat, comme des nouilles fraîches sur une planche à découper. Il portait un monocle cerclé d'or, au verre très épais qui rendait son regard nébuleux. Quand il se mit à parler, je constatais qu'il se trimbalait un drôle d'accent : un peu Picte, légèrement Scot et passablement Wilze, voire Abodrite. Ce gonzier pouvait être aussi bien Celte, que Slave.

Le Cardinal, lui, était encore plus grave que lorsqu'il se regarde dans un miroir ; c'est-à-dire sinistre. On eût dit qu'il venait d'apprendre que ses hommes d'église récompensaient la pratique des esquimaux à la viande (3) prodiguée par les enfants de chœur, avec des bonbons Haribo !

Il nous tendit sa main pour un beso de dévouement, la reprit pour étudier le menu, se prononça pour une truffe fraîche et du gibier en sauce, ensuite de quoi il repoussa son couvert de dix centimètres pour pouvoir déposer ses coudes sur la table et mettre ses mains croisés en arceau sous son menton.

Il y eut un silence. Il attendit avec ostentation que les serveurs fussent sortis. Après quoi, il nous demanda au Vieux et à moi, de cette voix tellement imitable que les troubadours de tous bords en ont pris pour cinq ans :

- Avez-vous entendu parler d'INVISIBILIA ?

Tout ce que profère cet homme exceptionnel révèle un mordant que le limage de ses dents n'a pu atténuer. Il méprise d'instinct et prévient d'entrée de jeu qu'il est seul habilité pour répondre aux questions qu'il pose.

Je secouai négativement la tête. Le Vieux, plus nuancé, fronça les sourcils. Claudian le Cardinal savoura notre silence à la petite cuiller car il établissait formellement sa supériorité.

- Vous ne pouvez pas connaître, fit-il de sa voix mutine, réservée à ses jubilations ; c'est top secret.

Pendant qu'il mouillait, je cherchai à définir ce qui se cachait sous la signification d'INVISIBILIA.

Avec sa magnanimité proverbiale, le Cardinal enchaîna

- INVISIBILIA, littéralement « Invisible », que tous les Celtes nomment « Ghost » et que certains d'entre nous appellent « Sanctus » ; INVISIBILIA, dis-je, ce monsieur, ici présent, va vous expliquer ce qu'il est.

Dès lors, l'homme au monocle prit la parole…

(à suivre)


(1). Aykut (prononcez «Aïcoute») est véritablement un prénom Turc. Il est utilisé ici avec le nom Ch'tidhir pour évoquer le «écoute, je vais te dire» de chez nous…

Les Seldjoukides, Seljoukides ou Saljûqides sont les membres d'une tribu turcique qui a émigré du Turkestan vers le Proche-Orient avant de régner sur l'Iran, comprenant l'Irak actuel, ainsi que sur l'Asie mineure entre le milieu du XIème siècle et la fin du XIIème siècle.

Les Seldjoukides se convertirent au sunnisme au Xème siècle, au moment où ils migrèrent vers le sud sous la conduite d'un chef nommé Seldjouk, et devinrent une forte puissance militaire.

C'est suite à la prise de Jérusalem en 1073 par les Seldjoukides qui en changèrent unilatéralement le statut en 1078, que se déclencha en Europe la mise en place de la Première Croisade.

(2). Un gros sablier équivaut à trois gueulantes de coucou. Plus tard, Selon les dires du prédicateur Nuestra Damus, un jour viendra où chaque individu possédera un coucou au poignet et un téléphone arabe en poche !

(3). La sucette de l'amour !

Traduction auteur : Occursus -> Rencontre

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