Ode à l'entre-chat
morgan-kepler
A quoi bon utiliser des mots quand bien même ils n'ont pas de sens ? Depuis elle je me suis engouffrée dans le monde du silence et je comprend, je vois et je sens. Les mots ne veulent rien dire sans leur référent. Et il n'y en a pas pour ceux que j'emploie. Mais alors comment vous parler d'elle sans mot ? Si nous n'en avons pas besoin pour nous comprendre, je devrai en user et en abuser pour vous peindre son élégance. Comprendrez-vous seulement un traitre mot ? Car que j'emploie elle, mienne, abeille, belette ou hirondelle c'est toujours d'ailes dont il s'agit. Elle est L et mon hell. Lorsque je lui dis «tu es belle» cela n'a pas plus de sens que de lui dire «je t'aime» et pourtant elle comprend. C'est comme lui dire que je m'ennuie, les mots qui forment ma phrase portent le sens que je lui transmet. Ce sens est immuable. Il est. Il est comme moi je suis et comme elle est. Pareil à son odeur et sa voix. Pareil à ce que je m'efforce d'étreindre, lorsque je m'oblige d'y ajouter un air. Mais c'est la profondeur de ce que je ressens qu'il me faut vous conter même si cela paraît absurde et empreint de nonsense, cela est de la même façon qu'elle l'est. Et c'est lorsque vous aurez entrevu ma profondeur et ce dit amour que vous pourrez voir dans un caillou la virtuosité d'un regard et l'apologie d'une passion. Je n'aime pas les mots mais aujourd'hui j'en ai besoin pour vous parler. Je dois sortir de ma si précieuse solitude et ma crainte de l'échange. Je me dissimulerai cependant sous un masque, je me cacherai derrière une image pré-étudiée pour me préserver du regard des autres. Je ne serai peut-être pas compréhensible. Je m'en excuse préalablement mais comment utiliser les bons mots quand il n'y en a pas assez ?
Pour nous comprendre elle et moi il faudrait tout reprendre. Le jour de ma naissance n'a guère d'importance tant que je l'ai oublié depuis longtemps déjà. Le sien serait plus de circonstance et empreint d'élégance mais je ne l'ai pas vécu à juste titre. Je suis toujours absente quand il ne le faudrait pas. Pourquoi alors ne pas conter le jour de notre rencontre ? Ce jour pourpre et ovale qui m'a ramené à la vie alors que je partais tête baissée en première ligne d'une guerre perdue d'avance. Ce jour bénit il semble. Ce petit bocal à poisson au dessus duquel on parsème une nuée bleue pailletée d'étoiles et de symphonies qui recouvrent le souvenir d'un doux parfum vermeille aux saveurs framboise.
Ma petite fée
Sous tes ailes d'argent
Je me suis réfugiée
A l'abri du temps
Un matin je crois, si tant est que lorsque j'ouvre les yeux la journée commence. La journée m'est propre alors peu importe l'heure à laquelle je me réveille puisqu'il s'agira toujours du début de ma journée, même si le soleil se couche à peine ou brille de plein fouet sur moi. Elle était là. Juste là. Pas n'importe où, pas ici ni là-bas. Elle n'était pas ailleurs ni dehors elle était là, et depuis je crois qu'elle n'a pas bougé. Mais n'y avait-elle jamais été ? Il est fort probable qu'elle y soit déjà parvenue auparavant pour en connaître aussi bien le chemin ce jour là. Elle était là. Et moi je fus juste devant à ce bon et prompt moment. J'étais devant ce là et je me réveillais à peine. J'avais mal aux yeux je crois, puisque j'ai toujours mal aux yeux il est donc nécessaire que j'eus mal à cet instant. Je ne sais pas si elle me regardait, du moins je n'en ai pas souvenir. Elle se tenait assise fièrement telle une impératrice d'Égypte. Si elle ne dormait pas il fut possible qu'elle me toisât. Il lui est si facile de toiser ce qui l'entoure tant elle est sublime et délicate. J'ai senti sa bienveillance m'inonder. La douleur omniprésente de mon spleen adolescent s'évapora en un clin d'œil, le sien. Je l'ai vu ce jour là.
Ce n'était pas ce jour. Je me perds déjà dans le passé, comme si le présent n'était pas assez sinueux. Je me suis trompée alors que je commence à peine. Je l'ai vu plus tôt, beaucoup plus tôt. Cela s'est passé en ces termes, ou plutôt en ces sens mais ce n'était pas ce jour là ! C'était un autre jour. Ça ne peut être qu'un autre jour. Comment se pourrait-il que j'eus mis autant de temps à l'apercevoir ? Elle était auprès de moi tout ce temps et je ne l'aurais pas remarqué ? Mais pourquoi ne l'ai-je pas remarqué ? Comment passer à côté de sa discrétion si évidente ? Ses petits pas de cafards qui grouillent sous mes pieds ? Je ne comprends pas, je me blâme et je m'accable ! On n'a pas le droit de ne pas remarquer d'aussi grands yeux qui ne demandent qu'à être vu pour cesser de tout regarder ! C'est sans doute le propre des anges de veiller sans qu'on ne s'en aperçoive. Pendant plus de quatre ans elle a déversé ses milliers de bienfaits sur ma vie sans que je ne le remarque, sans que je n'en prenne une conscience pure. Elle m'a veillé, réconforté, réprimandé, admiré … Elle m'a aimé. Je l'ai bafouillé. J'ai la sensation d'avoir extirpé le bien de la boite de Pandore pour faire le mal. Et à présent lorsque je la regarde se cacher de ma chandelle pour se reposer paisiblement et que ce simple fait me procure une plénitude accomplie j'ai l'arrière goût amer d'avoir perdu quatre années humaines à pleurer de ces fragments d'étoiles. Je suis passée à côté du bonheur à trop le rechercher, mais il était là. Pendant que moi je parcourais les routes à la conquête de nouvelles extases qui m'apporteraient un plaisir capricieux et éphémère, elle ne cessait d'être là à m'attendre. Elle m'attendait des heures, des jours parfois même des semaines sans fléchir ! Et bien trop souvent je rentrais vidée de moi-même et de tout sens, sans pouvoir aligner quatre pensées bénignes et ne pouvant que me morfondre sur la cruauté du sort que le ciel m'infligeait à me laisser chercher sans but un dangereux joyaux insaisissable. Elle était toujours là. Elle clignait des yeux pour me transmettre sa sagesse que je repoussais du revers de la main gauche dans le fier égoïsme qui me qualifiait à l'époque. Elle m'écoutait geindre sans relâche ces piètres maux à couper à la hache. Elle souffrait avec moi sans murmure. Elle était silence alors que moi j'avais besoin de bruit pour exprimer ma colère. Avant ce jour là qui ne l'est pas, j'étais pareille aux autres. Je me fondais dans le vacarme quotidien pour me soustraire à la vérité. Je vivais cet acouphène permanent qui voilait ma perception sensible du vrai. O combien le silence comble le vide ! O combien il est doux d'écouter ce qui ne dit mot ! N'existe t'il pas plus grande preuve de sagesse que de savoir se taire lorsque l'on a rien à dire ? Et de se taire pour tout se dire... Si seulement je me souvenais de ce jour.
Était-ce un jour de pluie,
Ou neigeait-il encore
Un peu avant minuit
Ou une après midi
Je ne me souviens pas
J'ai cru pourtant un soir
Reconnaître ce moi
Au fond de mon miroir
Et si tout était faux
Mieux vaut ne pas mentir
Ni mal se souvenir
Tant qu'il reste un sourire
Il reste un avenir
Et tout redevient beau
Somme toute je n'ai pas retrouvé le jour que je recherche dans les méandres de ma mémoire. Peu importe où l'on fait commencer les choses, cela n'a pas vraiment d'importance. L'histoire reste la même sans commencement et sans fin, du moins je le souhaite plus que tout ou presque, à tort je crois. Ce conte merveilleux nécessiterait un «il était une fois» comme il en est d'usage pour ce genre d'histoire. Je n'ai pas commencé de la sorte, il est trop tard pour me rattraper. Le seul fait vraiment important est qu'elle était là ! Voilà la clé de tout. Voilà ce qui m'a conduit à aujourd'hui. C'est le commencement d'une très belle histoire. C'est, je crois le commencement de ma vie. Elle m'a sauvé de ce que j'étais. Depuis je sais que je ne dois pas partir. Il est dur d'exprimer ce qui nous dépasse. Il est d'autant plus difficile d'exprimer ce qui est si beau et si grand qu'il en est inexprimable. Les mots ne sont pas assez forts ! Ils manquent de couleur et d'animation ! Ils n'ont pas de profondeur ni de forme. Ils n'englobent aucune dimension. Ils sont simplement ce qu'on leur a dit d'être parce que la pensée et la bienséance n'en réclamaient pas plus. J'ai besoin de grandeur, de quelque chose plus grand que ça même. J'ai besoin d'une passion sans souffrance. Quelque chose de fort sans mal. Quelque chose de beau sans mensonge, quelque chose de délicat sans blessure, quelque chose de doux sans déclin... Une gloire sans lendemain. Je ne peux pas exprimer ce qu'il y a, ni ce qui devrait être.
Et pourtant je crois qu'il y a autre chose que ça
Quelque chose qui n'a pas de nom est. Et cette chose influe sur ce que nous sommes. Mais l'influence est bonne. Tout est là dans ce qui ne se dit pas. C'est tellement beau que toute la forme et l'élégance du verbe ne le rendraient que vulgaire. C'est bouleversant d'apprendre ou de comprendre que l'on compte pour quelqu'un. C'est le seul fait qui me renverse toujours. Ce matin où l'on comprend, où j'ai compris, que je ne vivais que dans ses yeux, que je vivais ma vie uniquement pour elle. Ce matin où j'ai su que sa perception du monde n'allait pas au-delà de moi, que son seul foyer était l'espace de mes bras et que c'était simplement moi qui était à la cause de son existence. C'est moi seule qui la fait vivre jour après jour. Sans moi sans doute elle n'existerait pas. Quoi que je fasse, ou que j'aille, que je me perde, que je m'oublie, que je m'ennuie ou que je m'assoupisse je sais que je suis pour elle le seul soleil. Je n'existe que pour elle. C'est pour elle que mon combat perpétuel contre la raison vaut la peine. Ce n'est que par sa perception que je suis. C'est grâce à elle que je ne suis plus a priori. Rien ne pourra m'enlever ça et personne ne pourra jamais prendre ma place ni la sienne d'ailleurs. Elle est moi. C'est moi et pas quelqu'un d'autre. C'est mon rôle et personne d'autre que moi ne peut prétendre la connaitre ni même la comprendre. C'est rien ni personne. Je suis la seule. Sans moi elle n'existe pas. J'ai fait d'elle un diamant que même un autre diamant ne peut pas briser parce qu'elle est unique. Nous sommes liées à jamais. Comment exprimer ce lien ? Quelque chose nous connecte l'une à l'autre. Un magicien illuminé à tissé un fil d'argent autour de nos deux corps et depuis nous sommes indestructibles et indescriptibles. Le vent peut souffler il ne nous ébranle pas le moins des restes du monde, l'eau peut couler sous les ruines de ce qui étaient des ponts elle ne nous effarouche pas non plus. Et que l'on essaie de nous séparer, de nous anéantir et même de nous menacer seulement ! Le fil d'argent nous protège.
Il est difficile d'expliquer ce semblant de passion qui n'en est pas vraiment une puisqu'elle n'inclue pas de souffrance. Pourquoi n'y a t'il pas de mot pour décrire quelque chose de merveilleux qui ne s'arrête jamais et qui ne connait pas la douleur et le déclin ? C'est peut-être le seul fait de vouloir l'exprimer ou du moins d'essayer de le faire qui rend la tache cruelle et douloureuse. C'est se balader dans une forêt sans soleil, c'est vivre sans but. En sa présence j'atteins le bonheur que tout le monde recherche, je parviens à la fin en soi universelle. Je n'ai plus besoin de chercher ce quelque chose d'incongru, le petit défaut troublant, puisqu'il n'y en a pas. Je me fous de la sagesse qu'on nous pousse à rechercher, le détachement de tout plaisir terrestre, l'état de ne plus rien désirer. Quelle sensationnelle foutaise ! Je vie l'extase immodérée à ses côtés et rien au monde ne m'y fera y renoncer. Mon ultime désire n'est pas de ne plus en avoir mais au contraire de vivre et de désirer encore et encore et à tout jamais ce que je vis et désire aujourd'hui. Je vis tellement ! Comment ne pas en profiter ? Elle a changé le cours des choses, elle m'a transporté dans un merveilleux monde étranger et sans artifice, je découvre chaque nouvelle chose insignifiante avec le plus grand intérêt et avec les yeux d'un nouveau né. Elle me fait voir des horizons que je n'aurais jamais imaginé. Je ne l'a remercierai jamais assez, d'ailleurs je ne l'ai jamais remercié. C'est l'oxygène pure qu'il me faut pour respirer. C'est l'espoir qu'il me fallait pour continuer. C'est l'inspiration qui manquait à mes nuits. Je manque de place, de temps, de mot. Vous manquez d'imagination, d'esprit, d'innocence. Je ne parviens pas à décrire tout ce qu'elle est, ainsi que tout ce qu'elle fait pour rendre le monde si joyeux et si parfait. Son importance est telle qu'elle en est devenue vitale. Elle est... elle est... comment dire ce qu'elle est ? J'en oublie les traits de sa sublime perfection. Et si c'était ça le bonheur tout simplement ?
Si je peine à peindre ce qu'elle est (car il y a beaucoup d'apparences et si peu de mots) je pourrais aisément dire ce qu'elle n'est pas. Car malgré toute l'illusion que j'attache à son corps elle n'est pas irréelle. Elle est bien là et tout le monde la voit, du moins c'est ce que je crois. Et si elle n'existait pas ? Si comme toutes mes histoires elle n'était que pure fantaisie de mon imagination ? Serait-elle aussi factice que mon reflet ? Sans elle je ne pourrais pas vivre. Non, elle est réelle ! Avant elle il n'y avait rien. Sans elle il n'y a rien. Perdrais-je la raison ? Rien ne peut subsister sans elle. J'ai tant besoin d'elle. Si elle n'existe pas plus rien ne peut exister. Oui elle est réelle, je m'efforcerai à le croire pour continuer à vivre. Beaucoup de gens l'ont vu, beaucoup de gens la voit. De là à dire que tout le monde la voit comme je la vois, je ne sais pas, je ne pense pas. Mais si ce n'est pas le cas hélas, c'est que le monde en plus d'être sourd est aveugle ! Le silence résonne. Elle a disparut plus d'une fois déjà, je me suis encore perdue. Elle est tout ce dont j'ai besoin pour vivre. J'ai fait d'elle ma seule héroïne, ma vitale ecstasy sans chute vertigineuse dans l'au-delà. Je reviens à ce qu'elle n'est pas: ce n'est pas un être pensant pseudo-intelligent. Elle ne fait preuve d'aucune réflexion préalable, elle constate seulement et se contente d'agir. Elle n'est pas corrompue et si peu corruptible. Il est vrai que contre l'échange d'un bien précieux elle peut se faire violence mais c'est si rare et si beau. Elle n'est pas malveillante et si par hasard elle fait le mal ce n'est pas par volonté, c'est seulement par ignorance de ce que nous, pauvres mortels, nommons «bien» et que nous séparons systématiquement de «mal» sans faire preuve de la moindre nuance. Elle est détachée des principes humains. Pour elle il n'y a aucun concept. Le passé est passé, l'avenir n'est pas, il n'y a que le présent qui soit véritablement, il n'y a que le présent dont elle se soucie. Si dans quelques jours plus rien n'existe, qu'importe ? Elle profite pleinement du confort qui lui est offert, elle savoure à pleins poumons la volupté où elle s'étend. Elle se sent bien. Elle se sent mieux que n'importe quel être humain sur cette terre. Je sais ce qu'elle n'est pas: elle n'est pas humaine.
Il y a d'abord ses yeux: deux opales brillantes telles des rubis que j'idolâtre, aussi vertes que le ciel peut être bleu, aussi belles que les rêves ne seront jamais, conséquentes de manière à ce qu'on ne remarque qu'elles. Elles illuminent plus que son visage, elles illuminent le monde. Toutes deux maquillées de noir avec une subtilité et une discrétion qu'on ne trouve plus aujourd'hui. Elle donne ainsi l'illusion du glamour. Ses yeux sont le miroir de l'âme de celui qui s'y plonge. Je ne sens l'envie de ne vivre qu'à travers eux. C'est eux qui me donnent la sensation importante de devoir exister. Les long cils qui les bordent donnent une profondeur inouïe à son époustouflant regard. Il y a une telle force dans celui-ci que l'on est prit au piège dès lors qu'elle pose les yeux sur nous. A partir de cet instant on ne peut plus s'échapper. Nous sommes prisonniers.
Elle s'est endormie enfin. Mon repos n'est possible que par le sien. Si elle souffre je souffrirai également. Mon cœur se brise quand le sien s'émiette. Mes yeux brûlent quand les siens s'emplissent de larmes. Je ressens chacun de ses états. Son bien-être me calme. Sa douce et régulière respiration anéantissent la moindre parcelle d'anxiété qui pourrait s'inviter dans ma vie. Mais a t-elle vraiment le pouvoir d'éclater les doutes qui m'assaillent de part et d'autre ? Comment pourrait-elle me rassurer quand ma seule et unique crainte est de la perdre et que je m'efforce tant de lui cacher et de dissimuler ma hantise sous un masque de marguerites ? Sans doute se blottirait-elle au creux de mes bras contre mon cœur et elle presserait sa tête sur mon cou juste en dessous de mon menton. C'est ainsi qu'elle ferait. C'est d'ailleurs ainsi qu'elle le fait à chaque fois, car après réflexions il me semble qu'elle connait ma tourmente. Elle n'a que sa modeste tendresse pour me faire oublier un triste moment la douloureuse fatalité.
Un doux mystère s'empare de ma vie
Je m'évade dans un soupir de magie
J'oublie le mal un instant
Je souris comme avant
Lorsque je suis en peine elle se rapproche de moi (car elle n'est jamais loin) elle se place face à mon visage torturé et cligne lentement des yeux, ainsi elle déverse sur moi toute l'harmonie dont j'ai besoin pour continuer. C'est lorsqu'elle cligne des yeux que je ressens son intense compassion à mon égard. Je ne me sens plus seule. Comment pourrais-je vivre sans elle ? Non pas seulement vivre mais exister. Exister comme il n'est pas vraiment permis de le faire. Exister au sens large. Pas exister seulement. Il suffirait d'être pour exister seulement mais avec elle je fais plus qu'être. Je suis plus qu'il ne paraît. J'existe. Quand elle entre dans une pièce où je me trouve j'ai la troublante impression de marcher sur l'eau. Je voyage parmi les nuages, cette poudre blanche, ce coton essence de douceur et de bien-être. J'évolue enfin loin de la superficialité quotidienne et je comprends loin de tout préjugé qu'il n'y a qu'une chose que l'on puisse nommer vraie. C'est elle.
J'ai oublié ce qu'était ma vie avant elle
Je ne parle plus depuis que de l'Eternel
J'ai confié mes doutes à une harmonie rebelle
Je me suis ainsi créé mon propre archipel
Je reviens à ce qui coule dans mes veines, non pas du sang si peu s'en faut. Si je me perds dans les mots ce n'est que par ignorance. Ce qui est sûr c'est que les fautes que je fais ne sont pas volontaires, bien au contraire. Les premiers rayons du printemps percent les nuages de l'humanité. Trop peu de gens les voient, beaucoup trop de gens s'aveuglent de la lumière dans leur caverne où ils ne perçoivent que des ombres. L'honneur qu'il me reste et au moins de ne pas mentir. Si je fais tant d'erreurs ce n'est pas de ma faute, si je peine à m'exprimer c'est que ma seule vérité qui vaille la peine d'être écrite est si compliquée. Mais si vous saviez comme elle est belle ! C'est la plus belle des étoiles. Elle est l'inspiration que Chopin n'a pas eût. Elle est le soleil qui manque à l'Afrique, l'oxygène qui manque aux forêt, les vagues qui manquent à l'océan... Sa beauté n'a d'égale que sa douceur. Plus douce que le coton et que la soie réunis. Elle est tellement plus que ce qui est. O si vous saviez comme elle est ! Si seulement vous pouviez la voir avec mon regard. Pas un Michel Ange ne pourrait la sublimer tant elle l'est déjà. A mes yeux particulièrement je l'avoue, mais que serait la beauté si elle était universelle ? Que serait-elle si elle n'était pas subjective ? Mais d'autres l'ont déjà aperçut dans un éclair de lucidité. Ils ont été frappés par la force de son regard. Ses yeux, mes deux joyaux les plus chers. Des perles de pluie plus précieuses que n'importe quel rubis. Si vous saviez ce qu'elle représente pour moi, si vous viviez ce que je ressens, rien ne serait plus pareil. C'est comme une minuscule étincelle qui allume un ouragan enflammé. Je veux bien me condamner au néant éternel ou me transformer en statue de glace. Qu'importe puisque mon paradis est dans son sourire. Quand elle ne sera plus je m'évaporerai à mon tour en milliard d'étoiles. J'ai vécu, je n'ai plus peur du mal.
Vole vole petite hirondelle
Brille brille petite étincelle
Symphonie de sommeil
Et rien n'est plus pareil
Les photos passent, les souvenirs s'effacent. Je sais. Il faut bien que tout disparaisse un jour. Nous partirons sans rien laisser d'autre derrière nous que des monceaux de poussière. On ne laissera aucune trace. Et déjà des fantômes s'invitent dans mon miroir pour souligner mes torts. Ils tournent autour de mon lit en quête de reconnaissance dans une course folle. Il ne restera rien de moi pas plus que d'eux. Leur ombre se déplace des murs au plafond, ils viendront me rejoindre en rêve pour ne pas tomber dans l'oubli. Serait-ce par jalousie ? Elle aussi les sens, elle les voit. Elle n'est pas aveuglé par les signes qui dirigent l'entendement. Elle n'en a pas, elle ne sait même pas ce que c'est ni ce que cela signifie. D'ailleurs elle ne sait même pas ce que « signifier » signifie. Elle a sa singulière façon de vivre, elle a sa propre manière d'être. Je ne dirais pas qu'elle pense et encore moins qu'elle réfléchit mais ce qui est certain c'est qu'elle agit.
S'il m'arrive souvent de m'oublier et de me perdre de vue dans les nœuds de mes cheveux, il m'arrive aussi parfois de l'oublier. Il est des instants où je ne pense plus à elle, où je ne pense plus à grand chose, même si elle se trouve dans mes bras ou juste à côté. Elle disparaît tel le Cheshire. Elle me laisse à mon rêve. Mais elle s'arrange toujours pour réapparaitre d'une façon ou d'une autre sous n'importe quelle forme qui soit. Elle sait se rappeler à ma mémoire et me tirer de mes tourments. Elle revient toujours à temps pour me tirer du néant de ma paranoïa maladive mais paradoxalement si connue de mon autre moi.
Y a t'il encore des jours sans clarté ? J'ignore ce qu'il y a encore et ce qu'il n'y a plus tant je me suis fondue dans le décor du monde que j'ai inventé. Je suis fatiguée et mes yeux sont secs. Peut-être devrais-je m'abandonner au sommeil pour leurs procurer le soupçon de réconfort qu'ils cherchent. Je m'efface et je disparais. Je ne veux pas clore une si belle histoire. Retenez au moins que ce qui compte lorsque l'on vit vraiment se trouve dans les yeux de l'autre moitié de nous. A quoi bon vouloir briller aux yeux du monde ? A t'il déjà essayé de briller dans les vôtres ? Ouvrez les yeux sur l'essentiel. Qu'importe que l'on vous montre du doigt ? Vivez ce que vous avez à vivre. L'essentiel est toujours ce qui ne se dit pas.
Je m'efface encore un peu et je tombe la tête la première dans le terrier du lapin blanc. Elle s'est réveillée et s'est blottie contre moi. Ma seule raison de vivre est là. Bientôt elle ne sera plus. Peut-être ne l'est-elle plus déjà ? Qu'importe nous sommes encore. Juste encore un peu. Jusqu'à demain matin au moins. J'ai connu une exquise volupté. (L'extase pure du bonheur) Le reflet des vagues s'est dessiné sur les pages de mon cahier, les formes blanches se sont enfin dissipées. J'entends encore des hurlements lointains mais je pose mes lèvres sur son front et une dernière fois je m'évade. Le meilleur des mondes est celui dans lequel je vis. O mon ange je veux vivre ! Je voudrais tellement vivre encore un peu dans ce monde. Mais trop tôt je partirai rejoindre la Neige éternelle dans l'autre monde et le soleil se couche.
Pleure
Pauvre princesse de mon cœur
Je serai l'appât de tes douleurs
Meurs
Pauvre princesse sans couleur
La bougie s'éteint et déjà il est l'heure
Voici ce qui fut ma plus belle histoire et de loin ce qui me restera en mémoire quand la vieillesse m'obligera à tout abandonner de ce qui fut mon passé. C'est plus qu'un simple discours sur ce qu'on pourrait vulgairement appeler amour. C'est peut-être plus que la vie. Je me suis plongée dans les grands yeux vert de l'être céleste qui règne sur mon art, et de l'encre qui a coulé de ces deux sphères infinies, j'en ai parsemé les arbres que vous tenez entre les mains. Nul mot n'est assez beau pour prétendre exprimer ce qui provient du silence. Je l'ai tant répété qu'il est inutile d'en débattre davantage. J'ai glissé à l'intérieur de chaque mot un sens tout autre qui se cache derrière le sens commun nécessaire à la compréhension des sourds. Pour les comprendre il suffirait juste de fermer un peu les yeux et d'écouter enfin ce qui ne fait pas de bruit, ainsi je ne suis plus moi, la bulle devient roi, le singe devient reine et mon amour se déchaine dans la pénombre de la Seine. Je clos ce que vous appellerez volontiers ode à l'amour mais que j'intitulerai en deçà mon ode à l'entre-chat.
La poupée de porcelaine se réveille
Quelques pas maladroits l'emmènent sur la colline
Où elle contemple un si beau coucher de soleil
Sevrée enfin de la douloureuse morphine
Elle quitte ses démons mais aussi ses merveilles