Ode à l'homme sale, the odd man

Sweet Jane

La lune, cet astre sombre, éclaire de son faisceau de mauvaise foi les malfrats de mauvaise vie.


Sur les dernières marches crasses et poussiéreuses menant à un endroit sordide, il se tapit dans la pénombre. Seuls ses crocs d'homme assoiffé de vaines expériences sont visibles, jaunis, pourris par la consommation de diverses substances nocives, se détachant clairement de sa silhouette sombre et squelettique presque fantomatique. Son odeur annonce sa présence bien avant que sa voix rauque de loup solitaire ne retentisse. C'est une Senteur complexe et torturée comme son âme, elle laisserait perplexe n'importe quel nez qui ne saurait dire si elle relève du raffinement extrême ou de l'infâme.

L'homme sale est seul, il évoque vaguement les êtres qui hantent nos cauchemars. Son cynisme fait de lui un être incompris et trop lointain pour se mêler à l'agitation terrestre. Ce fauve farouche ne participe pas à la société, il préfère de loin en loin la scruter en fronçant ses épais sourcils touffus de dégoût. Comme une ombre inquiétante qui nous suit à la trace, il nous intrigue, à tel point qu'il devient impossible de s'arracher de son sillage. Quand il croit faire fuir il fascine avec ses faux airs rimbaldiens de poète maudit.

Tel un tableau jadis flamboyant aujourd'hui décrépi par les années, sa peau s'est ternie et défraichie, asséchée et ridée avant l'âge. Il se laisse griser par des plaisirs éphémères, de dangereuses chimères qui, telles de malicieuses maîtresses malveillantes lui font tourner la tête, laissant percevoir la perspective d'un paradis artificiel, elles le précipitent plus tôt vers les affres de l'enfer en le berçant d'illusions que son esprit, perdant sa lucidité de naguère, ne discerne guère.

Son corps sculpté par la maigreur subit de surcroit les sévices que lui inflige sa mauvaise vie. Il faiblit au fur et à mesure que sa flamme intérieure se consume, celle de l'homme sain et équilibré qu'il a suicidé à force d'ingérer des liquides qui le brûlent de l'intérieur, de priser de la poudre semblable à du sable blanc qui salit pourtant son sang, d'injecter cette chose gluante qui explore ses veines et se mêle à elles, de fumer sans arrêt, toute la journée, comme un feu coriace, « pour la beauté du geste » drôle d'excuse pour un homme hirsute aux vêtements tâchés, élimés, lacérés tant ils sont portés et jamais renouvelés pas même ses vieilles semelles trouées...

Ces quantités de saletés sont les seuls poisons désirés en ce bas monde qui place si haut toutes les vanités. Toute cette fumée autour de lui, ce brouillard qu'il crée et se donne du mal à ne jamais dissiper l'entraîne aveuglément dans un tourbillon infini d'autodestruction qui va bien finir pourtant par faire de l'homme sale un pauvre tas de cendre sans vie après avoir trop vécu.

L'homme sale tremblant et titubant paraît vieux mais, en réalité, il est juste abîmé par le temps qui n'épargne pas les débauchés. Il est rendu dans un état de délabrement avancé, c'est une épave rouillée à la dérive.

Semblable au père moralisateur, le temps sévit, punit, mais le pêcheur n'en a que faire, il aime faiblir ça le rend fort.

L'homme sale au teint terreux et aux joues que l'on croirait creusées à la pelle est beau à sa façon, ses vices s'inscrivent sur ses traits, il n'en a que plus d'intérêt, oserais-je dire d'attrait ? Pour ceux qui vivent par procuration, il suffit de contempler cet être excessif si captivant pour être emporté dans un monde qui semble si plaisant. Frôler le danger, le côtoyer, l'observer en évitant bien sûr de l'imiter excite l'imagination et laisse une sensation grisante d'un risque fantasmé mais jamais réalisé.

« Le plaisir c'est forcément exister sans soucier à se préserver », pense-t-il. Mais qui de nous deux mourra le premier ? Et si c'était moi, la sage frustrée qui recevais l'ultime tape de la vie ? ça ne manquerait pas d'amuser ton être épuisé et décharné mais follement acharné. Au moins je saurais, et pour une fois j'aurais expérimenté avant toi une chose pourtant à ta portée. Mais la mort se contente de flirter avec les dépravés, elle emporte les autres, le commun des mortels, ceux qui la craignent. Elle préfère contempler le spectacle des téméraires qui osent rivaliser d'ingéniosité pour œuvrer à sa place. Dans cette course insensée, les débauchés sont assurés de gagner puisque le dur labeur de la mort est de tous nous faucher et ce, même contre sa volonté. Le délai est la seule liberté qui lui est octroyée et même ce projet se trouve contrarié par les horribles complices qui accompagnent la vie chaotique de l'homme sale, the odd man.

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