Olza l'Assermentée
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I.
Le sortilège traversa les chairs et ressortit avec un bruit d'éclair et une odeur d'ozone. Le magicien s'écroula au sol sans un mot, du sang jaillissant à gros bouillons de la plaie béante de son cou.
« Madrak le Bleu est tombé ! Olza l'Assermentée a vaincu ! Les hommes sont en déroute, le pays est à nous ! »
Les soldats poussèrent des cris de victoires. Les survivants s'enfuyaient, courants à travers la plaine dans leurs robes bleues flottantes au vent. Ils seraient rapidement rattrapés par les cavaliers et passés au fil de l'épée. Personne ne s'alliait au magicien bleu Madrak, dernier mage libre du pays, sans subir la colère du bon roi Ogrym.
Olza renifla et essuya le sang de ses doigts. L'odeur de la mort, de la pisse et de la peur, elle ne s'y était toujours pas habituée, malgré toutes les batailles et les massacres. Ce n'était pas plus mal, quelque part. Cela prouvait qu'elle gardait encore une part d'humanité…
- C'était un beau combat, dit Lliam en s'approchant. Le général sourit à la mage. Tu as bien travaillé, l'Assermentée!
Olza ne dit rien mais présenta son cou.
- Hahaha !, bien sûr, reprit Lliam. Tu as bien mérité ton petit instant de liberté…
Il défit le collier de servitude qui ceignait le cou d'Olza. Elle passa la main sur la marque rouge, brûlante, des chairs à vifs. Le général désigna une tour esseulée, au loin, perchée sur son promontoire rocheux dominant la plaine.
- Et tu n'iras pas plus loin que cet endroit, compris ? De toutes façons tu auras vite fait de revenir chercher ta dose de magie, n'est-ce-pas ?, dit-il en caressant le pochon de cristaux luminescents qu'il portait à son cou.
Sans regarder le militaire, Olza hocha lentement la tête. Ses yeux bleus étaient fixés sur la tour. La mage assermentée libre de ses chaînes ajusta ses robes sales et prit congé du militaire. Elle descendit le mur d'enceinte et emprunta la porte principale du château académique. Traversant les douves, elle laissa derrière elle les armées piller et mettre à sac les réserves et bibliothèques du soi-disant Mage Madrak le Bleu. Elle n'en avait cure. Son but, elle, était ailleurs. Ce n'était pas un mage qu'elle avait tué là-haut. Mais un simple humain.
Et la petite mage à la peau brune et aux cheveux gris se mit à marcher en travers la plaine, droit vers l'ombre de la tour dressée vers le ciel.
II.
Olza arpentait la plaine. La tour se rapprochait. Au détour d'un ancien corps de ferme, elle s'arrêta, but à l'eau d'un puits et ôta ses robes sales aux armoiries trop voyantes. Une brusque bourrasque fit frissonner sa peau nue où couraient les cicatrices et les brûlures.
Un bruit dans les branchages ! Olza leva les mains, la magie crépita. Juste derrière elle, un apprenti en longues robes bleues tentait de fuir en catimini, mais le tissu de sa robe s'était pris dans des buissons d'épineux et l'avait trahi. Olza garda les mains levées. Ses doigts étaient environnés de petits éclairs.
- Meurtrière, assassin !, lança le jeune homme à la peau pâle et aux cheveux blonds en se dégageant des branchages. Je t'ai vu, dans la cour, tu penses avoir tué Madrak ? Folle que tu es ! Mon maître ne se laissera jamais avoir par Ogrym le sanglant ! Tu es l'Assermentée, n'est-ce-pas ? Traîtresse aux tiens !
Olza sourit et ignora la remarque.
- Non, je ne pensais pas avoir tué Madrak, mais un autre humain mort de par sa faute… Merci néanmoins d'avoir confirmé mes soupçons… Elle se tourna de nouveau vers la tour. Ainsi le grand Madrak s'est bien caché…
- La tour… Tu n'y arriveras jamais vivante, sans tes cristaux, tu n'es rien !
Le garçon prononça quelques mots dans une langue inepte et des projectiles violets jaillirent en sifflant de ses doigts pour foncer sur Olza. La mage assermentée les esquiva habilement et se rua sur l'apprenti dont elle enserra la tête de ses mains. Elle chargea le peu de magie qui lui restait et la tête du mage se mit à bouillir. De la fumée sortit de sa bouche et de ses yeux et bientôt les convulsions s'arrêtèrent. Elle lâcha le corps inerte et reprit sa route. Lentement, la tour approchait, et avec elle viendrait la liberté.
III.
La tour dominait la mer. Construite sur une falaise naturelle isolée de la côte, elle projetait aux alentours son ombre inquiétante, et le cri du vent perdu dans ses couloirs. Olza plissa les yeux. Au sommet de la tour, des gibets, et une longue-vue, pointée vers la vallée. Elle sentit un regard posé sur elle… Madrak devait guetter son arrivée.
Olza continua sa route et déboucha face à un pont. Ce dernier enjambait une faille profonde où grondait l'océan. De l'autre côté, au moment même où arrivait Olza, surgit une silhouette de taille similaire, vêtue de robes grises. Madrak ? Non, il était trop tôt… Olza fit quelques pas sur le pont. La silhouette fit de même. Olza s'arrêta. La silhouette s'arrêta également. Olza se mit en posture de lancer un sort, la silhouette, une fois de plus, l'imita.
« Une image miroir… », murmura Olza. En prononçant ces mots, la mage jura presque avoir vu les lèvres de son double bouger.
Olza s'assit et réfléchit quelques instants. Des mouettes passèrent, une bourrasque souleva haut une gerbe d'écume. Olza se releva et se dirigea vers le bord de la falaise. Là, elle accrocha le reste de ses robes sur le tronc solide d'un jeune frêne, s'engagea sur le pont de manière à faire apparaître la silhouette et sauta dans le vide dès qu'elle apparut. La silhouette l'imita et se fracassa sur les rochers un dizaine de mètres plus bas, volant en morceaux comme un miroir brisé.
Olza s'aida de sa corde improvisée pour grimper à nouveau sur le pont et continuer sa route.
Elle arriva au pied de la tour. Là, trois embranchements s'offraient à elle. L'un montait, et était un escalier de marbre clair ; un autre allait tout droit, et prenait la forme d'un vaste corridor éclairé par de larges braséros ; le troisième descendait vers les entrailles sous la forme d'un boyau naturel, obscur et malodorant.
- Bah !, rit Olza. Tes pièges sont grotesques, Madrak ! Aucune de ces entrées ne mènent à ta demeure, le vrai chemin est caché !
A ces mots, la tour trembla comme de rage, et l'image des trois chemins se brouilla pour révéler un toboggan naturel, s'enfonçant sous la tour et débouchant une dizaine de mètres plus bas, sur les rochers et la mer déchaînée.
Olza fit le tour du bâtiment. Elle finit par trouver une simple échelle de corde qui menait au sommet. Elle s'assura de la solidité de cette dernière, et en entama l'ascension.
Arrivée au milieu de la tour, Olza se rendit compte qu'elle ne semblait pas avancer… Sous elle, l'échelle de corde s'était animée et défilait sous ses pas, descendant alors qu'elle montait, montant alors qu'elle descendait. La progression était ainsi totalement impossible. Et à cette distance du sol, la moindre chute serait fatale…
Olza observa de part et d'autre de sa position. Jugeant l'escalade envisageable sur la structure caillouteuse à l'enduit passé, elle sauta de l'échelle et termina l'ascension à la force de ses bras.
Balayé par les vents, le sommet offrait sur les lieux une vue imprenable. Entre les gibets où pendaient des squelettes aux os claquants, se trouvait l'impressionnante longue vue qu'Olza avait entr'aperçue au pied de la tour. Cette dernière était maintenant pointée vers les étoiles. Une trappe menait vers le bureau du magicien. Elle était ouverte, mais il ne s'y trouvait pas. Après une fouille rapide, Olza se rendit compte que toutes les pièces étaient vides, mais que les possessions, grimoires et sortilèges du mage étaient encore présents…
Olza réfléchit quelques instants. Où était Madrak ? Conscient de la venue des armées d'Ogrym, il avait dû aller ailleurs, s'enfuir, se cacher… Mais où ? Soudain, le sang d'Olza ne fit qu'un tour ! La longue vue, sur le toit, braquée vers les étoiles, alors qu'auparavant elle observait vers la plaine !
Olza courut au sommet de la tour et plongea son œil dans l'appareil. Là-haut, parmi les étoiles, dans la radiance pâle des soleils moribonds, Madrak le Mage se cachait, sa silhouette éthérée prisonnière de la lentille !
Prestement, Olza démonta la longue-vue et fixa solidement la lentille à une corde qu'elle attacha à son cou comme pendentif. Prisonnier, et tant qu'on ne le repointait pas vers les étoiles, Madrak resterait enfermé, contraint de lui fournir savoir et secrets. Elle entendait déjà le pauvre esprit du magicien crier et hurler sa hargne et sa colère depuis sa prison de verre.
- Ne pleure pas, Madrak l'enfermé, j'ai été dans ton cas, il y a peu. Tu apprendras la patience, et surtout tu m'apprendras beaucoup. Nous aurons notre vengeance, tous les deux, sur les sans-magies, n'aie crainte, nous reviendrons…
Souriante, Olza se retourna vers la vallée. Là-bas, quelques mètres plus bas vers le château factice de l'ancien magicien bleu, s'agitaient les armées d'Ogrym, le roi sanglant aux mages enchainés. Enfin, enfin Olza était libre ! L'ancienne mage Assermentée fut agitée d'un petit rire qui s'amplifia jusqu'à résonner dans toute la vallée. Puis, elle claqua des doigts, et la tour disparut du paysage, vers des contrées connues d'elle seule, baignées par les lumières tangibles de la magie.