Ombre

My Martin

Soleil voilé

La France. Versailles


Saint-Simon parle de Louis XIV. « Avec un almanach et une montre, on pouvait, à trois cents lieues de lui, dire avec justesse ce qu'il faisait. »


30 juin 1670. Henriette d'Angleterre, 26 ans, épouse de Monsieur, Philippe d'Orléans (frère de Louis XIV)

Henriette d'Angleterre boit un verre d'eau de chicorée, se tord de douleur. Elle succombe

Jacques-Bénigne Bossuet, Évêque, prédicateur et écrivain. « L'Aigle de Meaux ». " Madame se meurt, Madame est morte. "

La mort de sa belle-sœur bouleverse Louis XIV (32 ans). Il commande une enquête au lieutenant de police Gabriel Nicolas de La Reynie ; l'hypothèse de l'empoisonnement ne tient pas


31 juillet 1672. A son domicile. Décès (mort naturelle) du jeune officier et aventurier Jean-Baptiste Godin de Sainte-Croix. Poursuivi pour dettes. La police fait l'inventaire de ses biens. Cassette personnelle. « A n'ouvrir qu'en cas de mort antérieure à celle de la Marquise ». Sont découvertes

neuf lettres de sa maîtresse, la marquise de Brinvilliers -fille d'un conseiller d'État, née Marie-Madeleine Dreux d'Aubray

une reconnaissance de dette de Godin de Sainte Croix envers Pierre Louis Reich de Pennautier, receveur général du clergé -grand argentier de l'Église de France, ami de Jean-Baptiste Colbert

des fioles -un poison à base d'arsenic, auquel se mêlent divers ingrédients -bave de crapaud, ... selon les aveux ultérieurs de la marquise

La « poudre de succession ». Dans ses lettres, la marquise de Brinvilliers reconnaît avoir empoisonné son père, sa sœur, ses deux frères. Pour percevoir leur héritage

Prenant d'infinies précautions, Antoine, l'époux de la marquise a échappé à la mort


Ministre de la Guerre de Louis XIV, Louvois s'intéresse à l'affaire. Il ordonne à son lieutenant général de police, Nicolas de La Reynie, de faire arrêter la marquise en fuite à l'étranger. La Reynie a les pleins pouvoirs

Louvois souhaite établir le lien entre la fugitive et Louis Reich de Pennautier. Ainsi impliquer Colbert, son rival, principal ministre du Roi Soleil


22 août 1672. Citée à comparaître devant la justice, la marquise fuit à Londres. Valenciennes. Hollande. Belgique

1673. Condamnation à mort  


25 mars 1676. Un couvent à Liège. Déguisé en prêtre, un agent de police approche la marquise par ruse. Elle est arrêtée

Elle porte sur elle la confession complète de ses crimes

29 avril 1676. Procès devant le Parlement de Paris. La marquise de Brinvilliers défend l'innocence de Louis Reich de Pennautier, l'ami de Colbert. Faute de preuves, Pennautier est libéré. La marquise est torturée -supplice de l'eau. Ligotée, elle est contrainte de boire une grande quantité d'eau

Les preuves sont irréfutables. Avant son exécution, la marquise avoue

Paris, Place de Grève -devant l'actuel hôtel de ville. Tête tranchée à l'épée (peine de mort appliquée aux nobles). Le cadavre de la marquise est brûlé sur un bûcher. Les cendres, dispersées au vent


Venus d'Italie avec la Renaissance, l'usage des poisons s'est répandu en France. Dans les cadavres, La médecine n'est pas en mesure de déceler la trace du poison

La pharmacopée est limitée.

Saint-Simon (un émétique est un vomitif). « On donna à Monseigneur force émétique, et sur les deux heures il fit une prodigieuse évacuation par haut et bas. »


Vérole, variole. Saint Simon. Versailles est « un cloaque entouré de marais ».


2 octobre 1675. Louis XIV ressent de violentes douleurs à la tête, accompagnées de frissons et de difficultés respiratoires. La maladie dure jusqu'au 17 octobre 1675

1678 et 1679. Tentatives pour attenter à la vie du roi


1677. Une bande d'empoisonneurs est emprisonnée. Appartenant aussi bien au peuple qu'à la noblesse, des centaines de personnes recourent à un tentaculaire réseau de sorcières, de diseuses de bonne aventure, de prêtres défroqués

Philtres, maléfices. Nourrissons égorgés durant des messes noires, enterrés dans des jardins. Apparitions de démons sur demande. Exagérations, imprécisions, affabulations

La Reynie. « ... de malheureuses pratiques encore inconnues ».  


1679. Louis XIV a quarante-et-un ans. Vingt ans plus tôt, depuis la mort du cardinal Mazarin (9 mars 1661), le roi règne seul. Il est à l'apogée de son règne

Le Grand Siècle. Puissante, la France rayonne en Europe grâce à son expansion militaire, son influence diplomatique et ses créations artistiques et littéraires


Le roi est épris de Madame de Maintenon. Il souhaite mettre de l'ordre dans les mœurs du royaume

1673. Pour vingt ans, une guerre religieuse se joue entre le pape Innocent XI et le roi, soutenu par le clergé de France

Hors quelques Jansénistes. Les Jansénistes prônent une morale personnelle rigoriste (alors que le roi collectionne les maîtresses). Les idées jansénistes soutiennent l'opposition croissante des parlements, à la monarchie absolue et aux Jésuites -quatrième vœu d'obéissance particulière au pape


Assemblée générale du clergé, Déclaration de 1680. « Nous sommes si étroitement attachés à Votre Majesté que rien n'est capable de nous en séparer. »

Roi de droit divin, tenant son pouvoir de Dieu seul, Louis XIV estime avoir des droits sur les biens de l'Église

Bossuet. Déclaration des Quatre Articles, 19 mars 1682. "Les papes n'ont reçu de Dieu qu'un pouvoir spirituel. Les rois et les princes ne sont soumis dans les choses temporelles à aucune puissance ecclésiastique".


Voltaire. "Le Siècle de Louis XIV" (1751). « L'ancienne habitude de consulter les devins, de faire tirer son horoscope, de chercher des secrets pour se faire aimer, subsistait encore parmi le peuple et même chez les premiers du royaume ».  


Marie Bosse / La Bosse / Marie Marais. Empoisonneuse, diseuse de bonne aventure, sorcière présumée. Veuve d'un marchand de chevaux, l'une des devineresses les plus réputées de Paris

Fin de l'année 1678. Marie Bosse assiste à une fête organisée par son amie Marie Vigouroux, épouse d'un couturier, rue Courtauvilain (3e. Rue Court au Villain)

Ivre, au cours de la fête, elle se vante. Elle vend des poisons mortels à des membres de l'aristocratie. Bientôt elle se retirera, fortune faite

A Paris, la police enquête sur des affaires de poison. Un invité de la soirée, Maître Perrin, modeste avocat sans cause, rapporte la troublante conversation à François Desgrez. Enquêteur du lieutenant-général de police La Reynie, chargé des affaires d'empoisonnement

Piège. La femme d'un officier de police contacte Maris Bosse, elle a besoin de poison pour assassiner son mari. Marie Bosse lui procure la substance adéquate  

4 janvier 1679. Marie Bosse est arrêtée. Sa fille Manon. Ses fils, François dit Belamour et Guillaume

François est un soldat de la garde royale. Guillaume est récemment sorti de l'Hospice

Rapport de police. Lors de l'arrestation, relations sexuelles, ils couchaient dans le même lit

4 janvier 1679. Marie Vigouroux est arrêtée. Liens étroits avec la Bosse et sa famille, relations sexuelles

Dans la capitale, la vente illégale de poison est gérée par un réseau de diseuses de bonne aventure. La figure centrale de ce lucratif commerce est Catherine Deshayes veuve Monvoisin, dite la Voisin


*


Marie Bosse avoue. Elle a procuré le poison utilisé par Marguerite de Poulaillon, accusée dans l'affaire, lors de sa tentative de meurtre sur son mari

8 mai 1679. Marie Bosse est condamnée au bûcher pour sorcellerie. Exécutée à Paris

François Bosse dit Belamour est pendu. Guillaume Bosse, innocenté

D'abord emprisonnée à la citadelle de Besançon, Manon Bosse termine sa vie dans un couvent

9 mai 1679. Interrogatoire, torture. Marie Vigouroux meurt


12 mars 1679. Catherine Deshayes, veuve du bijoutier Monvoisin, « la Voisin », est arrêtée

Soupçonnée de sorcellerie. Depuis plus de vingt ans, reine des bas-fonds de Paris, la Voisin reçoit ses clients au 23 rue Beauregard (2e), au fond d'un jardin. Quartier Saint-Denis  

Connaître l'avenir. Éliminer un mari jaloux ou de santé fragile, un amant volage, une voleuse d'amant, un enfant non désiré, un parent encombrant, un concurrent, un ennemi, ...

Elle est dénoncée par deux empoisonneuses, la Vigouroux et la Bosse -elle sous-traite le travail mais rétribue chichement les services

La Vigouroux, la Bosse, la Filastre, la Lepère. Un réseau de « spécialistes ». La Voisin leur adresse ses clients, en fonction de leur demande. Conjurations, messes noires, diableries. Elle se réserve les empoisonnements

Vêtue d'une robe de velours cramoisi, elle reçoit ses clients

« Attachée à cultiver la science que Dieu lui a donnée ».

Combien de fœtus a-t-elle enterré sans sacrements ? Brûlé dans son four à distiller ?

"Plus de deux mille cinq cents"


Elle est conviée dans les salons de l'aristocratie parisienne. Elle fournit poisons et sortilèges à des personnes de la Cour. Chrétienne fort pieuse, elle ne manque jamais la messe à l'église Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle au 25, rue de la Lune (2e). Elle va régulièrement à confesse

« Diableresse » aux « faux enchantements ». « Ennemie mortelle du genre humain ».

Elle ne sollicite aucune réhabilitation. Avant de monter au bûcher, dit-elle, "seul un miracle peut lui épargner l'Enfer". Elle ne le souhaite pas. « Je ne puis trop souffrir pour ce que j'ai commis ».

22 février 1680. Foule hystérique. En place de Grève, la Voisin est brûlée vive

Trente-trois autres personnes sont exécutées


Saint-Simon. « Il semble qu'il y ait dans certains temps des modes de crimes comme d'habits. Du temps de la Voisin et de la Brinvilliers, ce n'était qu'empoisonneurs ».


Jean de La Bruyère. Les Caractères (1688). « S'il est périlleux de tremper dans une affaire suspecte, il l'est encore davantage de s'y trouver complice d'un grand : il s'en tire et vous laisse payer doublement, pour lui et pour vous. »


La fille de la Voisin, Marie-Marguerite Voisin vivait avec sa mère

Elle va trouver La Reynie, lui raconte tout ce qu'elle sait

L'abbé Étienne Guibourg assiste sa mère. Il donne trois messes pour Madame de Montespan, la première dans une chapelle privée, la troisième chez la Voisin, sur le corps nu de la favorite. La pièce est tendue de noir. Guibourg égorge un enfant, puis invocation.

« Que la reine estant répudiée je puisse épouser le roy ».

« Toutes les fois qu'elle [Mme de Montespan] craignait quelque diminution aux bonnes grâces du Roi, elle donnait avis à ma mère afin qu'elle y apportât quelque remède. »


Condamné à la prison à vie, Guibourg meurt en 1686. Parmi ses complices, l'abbé Barthélemy Lameignan est accusé d'avoir sacrifié deux enfants lors d'une messe ; l'abbé Tournet, d'avoir célébré trois messes sur le ventre d'une jeune fille de quatorze ou quinze ans, ensuite, violée


L'Arsenal, près de la Bastille. Un tribunal dédié est créé, la Chambre ardente (la Cour des poisons)

Éclairée par des flambeaux, salle tendue de noir

Douze magistrats de haut rang, du Parlement de Paris. Le président est Louis Boucherat, comte de Compans, futur Chancelier de France (administration de la justice). Les rapporteurs sont Louis Bazin de Bezons et Nicolas de La Reynie

Les audiences sont secrètes et solennelles


En 1535, sous le règne de François Ier fut fondée la première Chambre ardente -chargée de poursuivre les protestants français

A différentes époques en France, plusieurs Chambres ardentes ont œuvré ; tribunal extraordinaire pour juger les crimes concernant l'État


... impliqués

Madame de Vivonne -la belle-sœur de Madame de Montespan

Les deux nièces de Mazarin. La comtesse de Soissons -surintendante de la maison de la reine.

Sa sœur, la duchesse de Bouillon. Marquise de Sévigné. « La duchesse de Bouillon alla demander à la Voisin un peu de poison pour faire mourir un vieux mari qu'elle avait qui la faisait mourir d'ennui. »

Le maréchal de Luxembourg. Louvois prétexte les anciennes expériences d'alchimiste du maréchal, pour l'accuser d'assassinat et de pacte avec le diable ; il est emprisonné à la Bastille en janvier 1680. Rapidement libéré, il est condamné à l'exil sur ses terres pendant un an

Les comtesses de Polignac et de Gramont. Elles ont cherché à "se bien mettre auprès du roi" et à obtenir, soit par le poison, soit par la magie, la mort de la favorite, Melle de La Vallière

Le dramaturge et poète Racine -protégé du roi, de Colbert et de son gendre, le duc de Chevreuse. Il est soupçonné d'avoir par jalousie empoisonné sa maîtresse, la comédienne Marquise-Thérèse de Gorla, Mademoiselle Du Parc     ...


Louvois intrigue, visite les prisonniers, informe le roi par des rapports personnels. La plupart des mis en cause, sont des amis ou des protégés de Colbert


Faute de preuves tangibles, la majorité des accusés de la Cour sont innocentés. Aux plus compromis, le roi conseille l'exil volontaire


La Cour bruisse de rumeurs. Madame de Montespan, sa faveur pâlit. Madame de Montespan aurait fait empoisonner l'une de ses rivales (1678-1680), Marie-Angélique de Fontanges


Le roi réagit. Il interdit aux magistrats d'utiliser des registres pour les interrogatoires. Des feuilles volantes, à lui remettre en personne

Les documents sont rassemblés dans une cassette scellée, à la main de Louis XIV


La belle et altière marquise de Montespan comparaît devant les magistrats. Pour conserver l'amour du roi, elle s'est procurée des philtres, des aphrodisiaques


1666. La marquise est en relation avec Catherine Deshayes "La Voisin" sorcière, avorteuse et empoisonneuse

1668. Elle commandite des cérémonies maléfiques destinées à éloigner Mme Louise de La Vallière, dont elle craint l'emprise sur le souverain (1661-1667). Et des « poudres d'amour » pour le roi

La dame de compagnie de la marquise, Claude de Vin des Œillets, semble impliquée ; avec sa maîtresse, elle partage les faveurs du roi. Elle a des enfants de lui, que le roi refuse de légitimer


Le roi demande à la Chambre ardente de ne plus enquêter sur les affaires, dans lesquelles est cité le nom de Madame de Montespan


La Chambre ardente auditionne quatre-cent-quarante-deux accusés

Une centaine de jugements

Trente-cinq condamnations à mort

Cinq, les galères

Une trentaine, des peines de bannissement (vingt-trois) ou d'amende


Grâce à leurs médisances sur Madame de Montespan, la fille de la Voisin, Marie-Marguerite, ainsi que plusieurs autres empoisonneurs, échappent au bûcher


1682. Louis XIV donne l'ordre aux magistrats d'éteindre les poursuites. La Chambre ardente est dissoute

Par lettres de cachet, le roi disperse les derniers accusés dans les différentes prisons royales du pays. Jusqu'à la fin de leurs jours


Louis XIV est le premier législateur dans le domaine du contrôle et de la sécurité des substances vénéneuses

Juillet 1682. Édit pour la punition de différents crimes -magie, sortilèges, empoisonnement. Publié dès la clôture des procès, l'édit fait de l'empoisonnement un crime puni de mort. Il proscrit du royaume ceux qui se disent devins, magiciens et enchanteurs. Dorénavant, les professionnels de la santé ont seuls accès aux produits toxiques

L'édit transforme la sorcellerie en simple délit d'escroquerie


13 juillet 1709. Louis XIV ordonne que les registres d'enquête soient brûlés

Louis XIV brûle lui-même "les faits particuliers", conservés dans sa cassette


1679-1682. Partie des faubourgs parisiens, l'interminable affaire politico-judiciaire des poisons est close

Elle a atteint jusqu'au sommet de l'État  


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