" On marche sur la tête "

gautier

Une chronique sur une des pièces du 50 ième festival d'Avignon OFF , aujourd'hui "On marche sur la tête" Cie de l'Instant Volé (retrouvez le format audio sur le lien média.)


Adapté des œuvres d'Aristophane, en autres le fameux Ploutos,  le "On marche sur la tête" n'est pas une version remaniée du célèbre "On a marché sur la tune!" américano-belge, ni non plus celle très actuelle du "On a marché sur la dette" de nos amis Grecs ...les modernes pas les anciens! Pourtant c'est un peu tout cela en même temps. Le fond du propos comme celui du tiroir-caisse est hélas toujours le même. L'inégalité criante et révoltante de la répartition des richesses, le cynisme vulgaire, voire même crasseux des élites, demi Dieu ou simples élus, qui usent et abusent de la grande masse des soumis. Pourtant, un pauvre parmi les pauvres, semblable à Job mais sans emploi, refuse ce fatalisme divin, ce déterminisme social. Il décide  de demander des comptes aux tout puissants.  Le mythe de l'indigné née peut-être avec Aristophane, 2500 ans avant celui crucifié pour l'exemple!

Notre clochard, plus don qui chiotte là où il peu, plutôt que don qui chochotte à la moindre déconvenue, découvre ici-bas le dieu argent, Ploutos SDF lui-aussi, Sans Dent ni Femme et aveugle de surcroît. On saisit alors la cause de cette erreur millénaire d'une distribution à l'aveuglette, d'une cécité par nécessité du maintien des pouvoirs. L'argent comme l'amour souffrirait donc du même mal! Il décide alors de lui rendre la vue puis l'argent à tous, quant à l'amour de son prochain, il viendra après, tout naturellement.

La pièce mise en scène par David Legras nous entraîne dans un tourbillon saisissant, imaginatif, volubile et drôle dans l'expression, Rabelaisien à l'excès, subtil dans le texte. Avec trois fois rien, ou plus exactement quelques sacs poubelles et un simple container métallique zingué, tel un Pégase, un bousier ailé apparait, puis la Piti vient en mangeant, un peu plus tard également. L'imagination est au pouvoir et une poésie du réel  celle des plus démunis, des oubliés de la terre explose sur scène, dans un carnaval de papiers gras. C'est un régal sans faim car le théâtre contrairement aux nectars des dieux est nourri-ciel ici-bas ! Les quatre comédiens, Denis (un peu) Barré, Walter Hotton (toute censure), David Legras (sûrement pas dans ces milieux-là) et Laurent Richard (il aspire toujours à le devenir), composent des personnages entiers tonitruants, avec des gueules de l'emploi burlesques étonnement  justes. On rit des apartés culottés, imaginant qu'elles sont du jour, comme un vulgaire poisson jetés dans la benne, encore frais.
Mais on comprend vite  que s'ils "marchent sur la tête" c'est sur celle du plus grand nombre afin qu'il ne reste pas très longtemps la tête hors de l'eau, endettement, précarité, pauvreté, tu bois la tasse mais jamais avec une cuillère dorée!

      Thierry Gautier (copyright SACD Avignon OFF 2015)

Signaler ce texte