On ne dit pas assez que l'amour est la panacée

katondutick

Incertitudes entre les baisers volés

Que m'importe si je n'ai pas fini mon sommeil , me voilà écarlate et liée à un grain offert par le sablier .Nuit courte, trop énervée. J'aurais tenté de vaincre la malédiction sur des boulevards où des peintres qui n'ont jamais rien vendu traînent leur fiel ,en paletot .Où l'on débite un chariot de fadaises à la figure des passants incrédules. Pâle sur mon visage qui en a vu bien d'autres, s'attarde un soupçon de fatigue .Que m'apportera ce jour à moi ?Une rare aventure, de celles qui font froid dans le dos et tracent un sillon de larmes vives ? Ou la jeunesse embrassée avec la gaieté ivre que chacun mérite ?Autant de tempêtes qui nous emportent très loin d'ici et ravissent le présent. Pour les autres. Moi d'ordinaire, je reste muette  devant des façades où des rebelles inscrivent des slogans, des espoirs qui s'effondrent tôt ou tard.

Il est midi au carillon de l'entrée. Je rentre précautionneuse avec mon bouquet bien joli , comme un œuf de Fabergé. Une douzaine de tiges à disposer en usant de talents que je n'ai pas .Sous ma main, la fleur de pivoine ,à peine mise dans l'eau claire tremble par instants .Est-ce c'est parce qu'elle sait, la moqueuse, que je redoute de changer de jour avec le glissement de la lune haute sur les toits .Alors qu'est-ce que je vis sans vouloir me l'avouer ? Une triste déchéance? Non ! En vérité, j'attends un nouveau venu qui m'a fait les yeux doux entre deux volutes de cigarette à une terrasse de café .J'ai glissé ma carte de visite dans sa poche en faisant tomber un briquet à ses pieds. Stratagème qui rappelle un peu un film de Lubitsch. Un sourire m'a rassuré sur ma manœuvre de docile envergure. Il-mon beau ténébreux- a appelé avant-hier. Son prénom ?Baudouin. Royal, non ? Ne sachant pas si cette idylle offrira des peut-être, des souvent, des toujours en cascade, je recours aux calories. J'avale un gâteau Opéra, triple couche de chocolat , il paraît que cela amenuise les angoisses. Pourvu que la fleuriste ait eu la main heureuse. Son perroquet ne cessait de répéter : "  Pivoines ! Pivoines ! " J'avais envie de fuir sans demander mon reste. Le langage des fleurs m'est inconnu. Comment informer le beau visiteur de l'état de trouble où il m'entraîne ?J'aurais dû lui dire au téléphone :

Vous savez ,je vis au temps de l'amour courtois

Le langage des fleurs ne ment pas. Je relis ces pages dans l'encyclopédie et qui me glacent. Les couleurs choisies, rouge et rose, parlent plus qu'un aveu. Surtout que les voilà dans un vase transparent.Aussi évident qu'une promesse en sourdine. Mais où placer le vase pour que vraiment sa vue délivre un message moins fort? Si le visiteur le voit dès l'entrée , cela fera penser que je suis pas en péril. Que je m'offre sans coup férir. Cela ne va non plus dans le salon, car je verrais tous mes défauts, toutes les incertitudes de mon corps. Ce serait une histoire de fou, je ne tiendrais pas en place. Prise de vertige, je devrais m'asseoir en plein marasme. Je pensais même fermer un peu les volets, mais je ne tiendrais pas ainsi recluse jusqu'au soir. Je vais finir par faire n'importe quoi .Réciter des poèmes à côté des fenêtres , m'affoler, perdre pied. Dans la chambre, j'ai songé à mettre en vue des romans à l'eau de rose. J'envisage les échappatoires, les mots abandonnés en vertu des corps déplacés. Je me construis , comme à l'école de guerre, les trajectoires. Les courtes, les imprévues, voire les anormales. Je calcule les mots qu'il me faudra abandonner en vertu des événements . Pour, finalement, me dire que tout ce manège confère au décor un côté solennel. Grand siècle, avec des couleurs , des remparts très factices. Manque plus que la calèche en bas. J'entre en transe à force de chercher un endroit complice.Je compulse des revues élégantes, pour vérifier ma tenue. Je les étale sur un guéridon. Mes nerfs lâchent ! Les voilà bousculées sous une chaise !Je vais bouger des meubles, déranger les tapis,je transpire, je manque me tordre un bras avec une amphore trop lourde. A quelle heure est mon rendez-vous avec l'inconnu ? Il me reste vingt minutes !En plein délire, je pense à poser ma photo d'enfant sur la bibliothèque. Astuce ou pédantisme ?Il me faut jouer un coup pour de vrai, pas en amateur. Soudain, me vient l'idée lumineuse, magnifique qui me transporte au septième ciel !Je vais placer le vase sur les chenets de la cheminée à l'aide d'une planchette qui reste d'une caisse de bon Bourgogne. Derrière le pare-feu, les fleurs feront leur effet en dépassant quelque peu du métal .Ce choix farfelu change mon humeur et je me sens presque rassérénée en contemplant le résultat. Et si Baudouin me prend pour une accro à l'alcool ?… On sonne à l'interphone !

- Bonjour, c'est Beaudouin.

Je regarde, heureuse, par la fenêtre du quatrième étage .Oh rage, oh désespoir !Ce n'est pas le jeune homme que j'avais remarqué dans le café.

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