Optima
Marc Chataigner
Cequi rend, à mes yeux, Optima si singulière n'a pas pour vocation de rester propriété de cette ville à jamais. Nombre de cités volontaires pourraient suivre son exemple, et parvenir à cultiver, comme c'est le cas derrière les grandes portes ornées d'Optima, les champs du temps libre.
C'est à celui, qu'il est coutume de nommer le Grand Philippe, qu'Optima doit son visage actuel si singulier. Il se dit qu'il n'y eut pas plus fin observateur que lui, ni plus éclairé instructeur. La ville qui le vit naître est aujourd'hui méconnaissable, et il faut faire un sincère effort d'imagination pour parvenir à visualiser une cité ôtée de tous les charmes et textures que le Grand Philippe, tel un pygmalion, y fit renaître en l'espace d'une génération.
Bien qu'Optima n'ait eu alors plus d'atours que quelconque ville de second rang, dés qu'il fut apte à la parcourir à pied Philippe chérit d'amour sa tendre cité. Comme la majeure partie des agglomérations qui parsèment notre monde, Optima a un corps commun ; avenues, lieux de commerce et de culte, places publiques arborées, quelques monuments ou éléments de façade agissant, aux yeux du touriste, comme des grains de beauté sur une peau sobre. Philippe, lui, sut voir et partager sa vision d'un corps suave, que des générations avaient usé au fouet de la compétition et à la peur des gens de l'étranger, et qui petit à petit, sentait ses quartiers se disloquer à force de se conformer à un régime d'austérité.
Alors qu'il œuvrait encore comme professeur des écoles, bien aimé de ses élèves autant que de leurs parents, Philippe n'était pas convaincu que les us et coutumes que l'Agence lui imposait d'inculquer étaient les plus aptes à révéler le pouvoir d'Optima. Les protocoles en place tendaient, inversement, à intercéder entre tous les agents de la cité, de façon à assurer le bon déroulement des procédures instruites par quelques puissants. Philippe vit dans cette interface imposée une imposture qu'il se mit à dénoncer, puis à saboter, toujours avec une discretion et un allant indétrônables.
S'appuyant sur ses étudiants et leurs familles, il réussit à expérimenter dans plusieurs quartiers les principes que plus tard, quand il se vit proposer le poste de Grand Magistrat d'Optima, il put promulguer à l'ensemble des citadins. De ses premières expérimentations il tira des enseignements et des disciples, tous aidant à faire reconnaître sa science et sa capacité à révéler le meilleur des pupilles de la cité. Parmi les premières lois, figurent des arrêtés aussi simple que celui stipulant “Tout Optimum doit posséder un animal de compagnie propre à la promenade, si possible un chien” ou celui précisant “Après 18h, extinction de tout média numérique”.
Dés les premiers mois, les habitants purent goûter aux fruits de cette politique de désintermédiation simple. En parcoururant à nouveau leur ville, guidés de leur toutou, ils rencontraient leurs voisins avec qui ils échangèrent en direct de tout et de rien. Très vite aussi, les soirées virent se renouer familles et amis qui, transportés par le seul véhicule de leur langue, réinventaient les protocoles les liant. Avec le renforcement de ces liens immédiats s'estompaient les peurs introduites pour diviser les masses, et les sujets de discussion se firent à leur tour plus joyeux aussi. Le visage d'Optima fut moins tiraillé par la compétition, ni tendu par les craintes de l'autre, les couleurs revinrent s'accrocher à ses façades, ses avenues charièrent tard le flot des fêtards, d'heureux évènements fleurirent ses places et son histoire, et de nouveaux monuments s'érigèrent tous les mois, se répondant les uns les autres.
Le génie du Grand Philippe fut de savoir discerner, dans les artères d'Optima, les capacités des agents qui y résidaient, puis de réussir, à l'aide de quelques règles simples, à les mettre en résonance de telle manière à ce que de nouvelles propriétés communes émergent. Une ville n'est autre qu'une propriété émergente.
Récemment, dans un courrier parfumé, un ami ayant élu résidence à Optima m'informait que lors du dernier Conseil Général Ouvert, fut proposé de revoir les protocoles de la propriété et de renommer la ville. Furent proposés des noms simples et plaisants tels que OuiMedia, Nautreville, Immedia, ou Belleville. C'est pour moi un éternel ravissement que de percevoir la passion incommensurable qui anime les hommes bâtissant une ville, et la simplicité avec laquelle le visage de celle-ci peut-être ravivé quand, habités du bon sens, ils osent faire davantage confiance en leur prochain qu'en un intermédiaire tiers de confiance.