orange et ronde

Iris Rey

Les cheveux d’Arthur  étaient orange. Ils s’élevaient en boucles rondes au-dessus de sa tête comme une auréole. Les autres enfants n’aimaient pas Arthur puisqu’il ne leur ressemblait pas. Ils le poursuivaient dans la rue en criant: «sale rouquin», ou «vilaine tomate» et ils lui tiraient cruellement les cheveux.

A l’école, Arthur restait toujours seul à son pupitre, au dernier rang de la classe. Pendant la récréation, aucun enfant ne voulait jouer avec lui, alors, Arthur s’asseyait par terre dans un coin de la cour, et il recevait des coups de pieds et des injures. Il était très malheureux.
 
 
Arthur habitait avec sa maman dans un immeuble situé à l’orée du jardin public, juste devant  l’entrée du jardin. Ce jardin aménagé en parc de divertissement pour les enfants faisait rêver Arthur. Chaque dimanche, le front collé à un carreau de la fenêtre, il regardait les filles et les garçons qui entraient en riant dans ce petit paradis. Arthur aurait tant aimé courir avec eux dans les allées vertes, le long des manèges et des portiques, jusqu’au petit zoo plein d’animaux rares.
 
 
La maman d’Arthur, comme toutes les mamans, trouvait son petit garçon était très beau et elle aimait beaucoup ses cheveux orange. Elle ne comprenait pas pourquoi Arthur était toujours seul, toujours désolé.
 
 
- Va au jardin jouer avec les autres enfants, disait-elle souvent.
 
 
Mais Arthur secouait la tête tristement. Un jour sa maman lui acheta un beau ballon, tout rond, tout rouge. Arthur ne résista pas au plaisir de voir bondir son ballon dans les rayons dorés du soleil, et il courut jusqu'à l’entrée du jardin .
 
 
Le petit train vert et jaune qui se promène dans le bois arrivait justement, avec ses wagons remplis d’enfants.
 
 
- Oh une tomate! Cria l’un des enfants  en apercevant Arthur .
 
 
Aussitôt une dizaine de gamins formèrent une ronde autour d’Arthur. Ils tournaient en chantant:
 
 
«Regardez la vilaine tomate, qui a un ballon rouge comme sa tête»
 
 
Arthur lâcha son ballon et s’enfuit en pleurant.
 
 
Pour le consoler, sa maman lui offrit une grande bouteille d’encre de chine, une plume et un bloc de papier à dessins.
 
 
Assise près de lui, elle lui tricotait des chaussettes rouges tandis qu’il dessinait quelques animaux. Arthur aimait beaucoup dessiner, pourtant, il ne pouvait oublier les enfants du jardin. Lorsque la cloche du petit train tintait, Arthur s’élançait vers la fenêtre et de grosses larmes roulaient sur ses joues.
 
 
- Fais attention Arthur, disait sa maman, ne renverse pas l’encre de chine sur mon tricot, il deviendrait tout noir.
 
 
Tout noir? Arthur eut une idée. Il vida une bonne partie de la bouteille d’encre de chine sur ses cheveux en prenant bien soin de tous les imbiber, puis il se planta devant un miroir. Son visage était maintenant encadré de grosses boucles noires.
 
 
- Je peux aller au jardin, je peux aller au jardin, répétait-il en tremblant de bonheur.
 
 
- Prends bien garde à la pluie, car l’eau fait disparaître l’encre, cria sa maman lorsqu’il  descendit joyeusement l’escalier.
 
 
Des enfants, blonds ou bruns, sautaient du petit train en riant. Une fillette, aux grands yeux bleus, s’approcha doucement d’Arthur
 
 
- Je m’appelle Adda. Je ne connais personne ici, veux-tu jouer avec moi? dit-elle avec un sourire, je suis trop ronde.
 
 
Arthur regardait avec ravissement les longs cheveux noirs et bouclés d’Adda. Il murmura enfin:
 
 
- Je m’appelle Arthur, je ne connais personne...
 
 
- Viens, dit Adda en lui prenant la main.


 Ils entrèrent dans le jardin.
 
 
Arthur émerveillé découvrait les manèges qui tourbillonnaient dans le vent, les balançoires roses et bleues. Il riait devant les miroirs déformants qui lui renvoyaient son image grossie, allongée, ou tordue, mais toujours surmontée d’une belle toison noire.
 
 Arthur et Adda jouèrent longtemps parmi les autres enfants, puis, ils achetèrent des gaufres pour les distribuer aux grosses otaries et aux petits singes gris.
 
 
Soudain, Arthur vit un gros nuage dans le ciel, quelques petites gouttes de pluie commençaient déjà à tacher les allées.
 
 
Il cria effrayé:
 
 
- Il faut que je rentre tout de suite.
 
 
Et il se sauva à toutes jambes.
 
 
 
 
Le dimanche suivant, Adda attendait Arthur devant la porte du jardin. Ils s’embrassèrent en mêlant leurs boucles noires, puis ils entrèrent dans le jardin en se tenant par la main.
 
L’après -midi fut merveilleuse. Arthur et Adda couraient d’un manège à l’autre. Ils se perdaient dans le labyrinthe, ils grimpaient derrière les autres enfants sur de petits échafaudages de bois et retombaient en riant, dans le sable, ils glissaient à perdre haleine sur le toboggan géant. Ils étaient heureux.
 
 
Ils suçaient une glace à la fraise devant le petit enclos des biches lorsque l’orage éclata. C’était un orage terrible, le tonnerre grondait, le ciel était  noir  et la pluie tombait à grosses gouttes. En une minute Arthur fut trempé, il sentait l’eau ruisseler dans son cou. Il baissa la tête, de longues traînées noirâtres apparaissaient sur sa chemise. Il savait bien que ses cheveux étaient de nouveau écarlates, il n’osait plus regarder Adda. Il attendait les moqueries de la petite fille, mais Adda ne disait rien.
 
 
Arthur releva enfin la tête. Il vit briller les cheveux d’Adda dans la lumière grise de la pluie et il poussa un cri. Adda avait aussi  des cheveux rouges, des cheveux rouges qui entouraient son visage tout rond.
 
 
La fillette avait caché son visage dans ses mains et elle disait tristement:
 
 
- j’avais mis de l’encre sur mes cheveux parce que je ne voulais plus qu’on se moque de moi, et je voulais jouer avec les autres enfants.
 
 
Chaque dimanche Arthur et Adda jouent et rient au jardin public et leurs cheveux rouges resplendissent dans le soleil. Ils ont l’air  tellement heureux que tous les enfants qui bondissent du petit train jaune et vert les envient et voudraient bien leur ressembler.


 
 

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